Engelbert Dolfuss et l’austro-fascisme

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Introduction

Les conséquences de la Grande Guerre ont entraîné d’importantes transformations en Autriche et dans les anciens territoires de l’Empire austro-hongrois. Le traité de Saint-Germain a exploité l’ethnopluralisme pour démanteler une grande puissance mondiale, ce qui a conduit à la fragmentation de la région en plusieurs États. Cette division a été marquée par l’absence d’un symbole ou d’une identité unificatrice, ce qui a contribué à la persistance de conflits tels que les guerres de Yougoslavie et les conflits oustachis-tchetniks. Le traité a effectivement désintégré les relations de l’Autriche avec la Hongrie, dont des territoires ont été annexés par la Roumanie, tout en établissant les nouveaux États de Yougoslavie et de Tchécoslovaquie.

Alors que de nombreuses nations ont pu se redresser après la guerre, l’Autriche et les nouveaux États ont dû faire faceaux lourdes pénalités imposées aux vaincus et ont eu du mal à les rembourser. Isolées et incapables d’unir leurs forces en raison de la menace d’invasion de la Petite Entente, ces nations se sont retrouvées dans une situation financière difficile. L’Autriche, qui était autrefois le « cerveau » central de son empire, se trouvait désormais en situation de ruine économique. Les perturbations causées par l’Entente ont conduit à une révolution en Hongrie, où le marxisme semblait être la seule voie viable. Au milieu de ces défis, un personnage nommé Engelbert Dolfuss, en Autriche, s’est efforcé de préserver les éléments de l’héritage des Habsbourg et de tracer une nouvelle voie pour son peuple dans les circonstances tumultueuses auxquelles il était confronté.

Les débuts de Dollfuss

Dollfuss est né dans une humble famille de paysans dans le petit village de Great Maierhof, qui fait partie du Saint-Gothard, près de Texingtal, en Basse-Autriche. Pendant son enfance, il réside chez son beau-père à Kirnberg, un village voisin, où il fréquente l’école primaire. Le soutien des prêtres de sa paroisse a été crucial pour financer l’éducation de Dollfuss, car ses parents n’avaient pas les moyens de le faire de manière indépendante. Cette aide s’est avérée précieuse, car elle lui a permis d’accéder à l’éducation alors que la plupart des individus n’avaient qu’une mobilité limitée au-delà de leur communauté immédiate. Dollfuss a ensuite poursuivi ses études dans un lycée de Hollabrunn. Après avoir obtenu son diplôme de fin d’études secondaires, il aspire d’abord à la prêtrise et commence des études de théologie à l’université de Vienne en 1912. Cependant, après une brève période, il s’oriente vers le droit. Pour subvenir à ses besoins pendant ses années d’études, Dollfuss donne des cours et s’implique dans le Mouvement social des étudiants, un groupe d’étudiants qui se consacre à l’aide sociale aux travailleurs.

Au début de la Première Guerre mondiale, Dollfuss tente de s’enrôler à Vienne, mais sa candidature est rejetée parce qu’il lui manque deux centimètres pour atteindre la taille minimale requise. À l’âge adulte, il mesure moins de 1,52 m, ce qui lui vaut le surnom de « Millimetternich », mélange de « Millimeter » (millimètre en allemand) et de Klemens von Metternich. Sans se décourager, le jour même de son refus à Vienne, Dollfuss se rend à St. Pölten, où se trouve la commission de recrutement locale, et insiste pour s’engager dans l’armée afin de servir son Empire. Bien qu’il ne réponde pas aux critères de taille, il est finalement accepté comme volontaire et autorisé à choisir le régiment dans lequel il servira ; Dollfuss choisit la milice tyrolienne, également connue sous le nom de Kaiserschützen. Gravissant rapidement les échelons, il est bientôt promu caporal et sert 37 mois sur le front italien au sud du Tyrol. Son dévouement et ses compétences lui valent d’être promu lieutenant en 1916.

Après la guerre, alors qu’il est encore étudiant, Dollfuss trouve un emploi au sein de l’Union des paysans de Basse-Autriche, ce qui lui permet de subvenir à ses besoins. C’est au sein de cette organisation que Dollfuss fait ses premiers pas en politique. Au sein du syndicat, il mobilise les paysans pour les aider dans leurs efforts de redressement d’après-guerre et les protéger des influences du marxisme. Les compétences de Dollfuss sont remarquées au sein de l’Union, ce qui lui permet de poursuivre ses études à Berlin. Son séjour à Berlin l’expose à un environnement universitaire essentiellement libéral et marxiste, ce qui suscite chez lui un mécontentement croissant vis-à-vis de ses professeurs. Malgré cela, Dollfuss se plonge dans les principes chrétiens de l’économie pendant ses études. Pendant son séjour en Allemagne, il rejoint l’Union des paysans allemands et la Preussenkasse, une banque centrale pour les coopératives, ce qui lui permet d’acquérir une expérience pratique précieuse. C’est en Allemagne qu’il rencontre sa future épouse, Alwine Glienke, descendante d’une famille poméranienne. Dollfuss fréquente également Carl Sonnenschein, une figure importante des activités sociales des étudiants et un personnage clé du mouvement catholique à Berlin.

De retour à Vienne, Dollfuss devient secrétaire de l’Union des paysans de Basse-Autriche et concentre ses efforts sur le renforcement du secteur agricole. Il joue un rôle essentiel dans la création de la chambre régionale d’agriculture de Basse-Autriche, dont il devient le secrétaire et le directeur. En outre, Dollfuss contribue à la formation de la Fédération de l’agriculture, de l’Institut d’assurance des travailleurs agricoles et à l’élaboration d’une nouvelle politique agraire en Basse-Autriche, jetant ainsi les bases de la structure corporative de l’agriculture. Ses propositions percutantes au Congrès agraire international lui valent une réputation internationale dans le domaine de l’agriculture, le positionnant comme un leader officieux de la paysannerie autrichienne. Le 1er octobre 1930, Dollfuss est nommé président des Chemins de fer fédéraux, la plus grande entreprise industrielle d’Autriche, ce qui marque un tournant dans sa carrière. En mars 1931, il devient ministre fédéral de l’agriculture et des forêts, démontrant ainsi sa polyvalence et son leadership dans divers secteurs.

L’ascension au poste de chancelier et la route vers le fascisme

Le 10 mai 1932, à l’âge de 39 ans et avec seulement un an d’expérience au sein du gouvernement fédéral, Dollfuss se voit proposer le poste de chancelier par le président Wilhelm Miklas, membre du Parti chrétien-social. D’abord hésitant, Dollfuss passe la nuit à prier dans son église préférée avant de répondre au président le lendemain, après un modeste repas et un bain, en acceptant l’offre. Assermenté le 20 mai 1932, Dollfuss dirige un gouvernement de coalition composé du Parti chrétien-social, du Landbund (un parti agraire de droite) et du Heimatblock (la branche parlementaire de la Heimwehr, un groupe paramilitaire ultranationaliste). Bien que les sociaux-démocrates aient été invités, leur réticence était due à des attitudes élitistes, principalement influencées par leurs origines juives aisées. Cette décision s’avérera plus tard un faux pas important, d’autant plus que l’austro-marxisme représentait une forme nationaliste de social-démocratie, à l’instar de Ferdinand Lassalle. La coalition est confrontée à un défi de taille : faire face aux répercussions de la Grande Dépression. Après la Première Guerre mondiale, une grande partie de la base industrielle de l’Empire austro-hongrois était située dans des régions qui ont été intégrées à la Tchécoslovaquie et à la Yougoslavie en vertu du traité de Saint-Germain, ce qui a placé l’Autriche d’après-guerre dans une situation économique désavantageuse. La coalition de Dollfuss détient une majorité fragile au Parlement, avec seulement une voix d’avance.

En mars 1933, l’Autriche est confrontée à une crise constitutionnelle due à des irrégularités de vote au Parlement. Karl Renner, le président social-démocrate du Conseil national (la chambre basse du Parlement), s’est retiré pour participer à un vote en tant que membre du Parlement. En réponse, les deux vice-présidents des autres partis ont démissionné pour participer au vote. Le parlement ne pouvait pas poursuivre sa session sans président en place. Dollfuss prend prétexte de ces démissions pour déclarer que le Conseil national n’est plus fonctionnel. Il conseille au président Wilhelm Miklas de promulguer un décret ajournant indéfiniment le parlement. Lorsque le Conseil national tente de se réunir à nouveau après les démissions, Dollfuss ordonne à la police de bloquer l’accès au parlement, suspendant de fait la démocratie en Autriche. Par la suite, il gouverne par décret d’urgence, acquérant des pouvoirs dictatoriaux et éliminant les processus démocratiques dans le pays.

Dollfuss a exprimé sa profonde inquiétude quant à la montée potentielle des nationaux-socialistes autrichiens (DNSAP) à la suite de la nomination d’Adolf Hitler au poste de chancelier d’Allemagne en janvier 1933. Il craignait que le DNSAP n’obtienne une minorité substantielle lors des futures élections. Selon les estimations du spécialiste du fascisme Stanley G. Payne, si des élections avaient eu lieu en 1933, le DNSAP aurait pu recueillir environ 25 % des voix. Des analyses contemporaines du magazine Time laissaient entrevoir un soutien encore plus important, de l’ordre de 50 %, en notant en particulier un taux d’approbation de 75 % dans la région du Tyrol, frontalière de l’Allemagne nazie. Parallèlement, l’influence de l’Union soviétique en Europe s’est accrue au cours des années 1920 et au début des années 1930. En réponse, Dollfuss a pris des mesures décisives en interdisant le Parti communiste autrichien le 26 mai 1933 et le DNSAP le 19 juin 1933. Par la suite, sous la bannière du Front de la patrie, il instaure une dictature à parti unique ressemblant étroitement au modèle fasciste italien, interdisant de fait tous les autres partis politiques autrichiens, y compris le Parti social-démocrate du travail. Les sociaux-démocrates restant une entité distincte, l’interdiction de leur groupe paramilitaire, le Republikanischer Schutzbund, le 31 mars 1933, affaiblit considérablement leur influence sur l’administration de Dollfuss. Le 1er mai 1933, le chancelier déclare : « Notre objectif premier est de supprimer le socialisme marxien ». Il pense que les nationaux-socialistes ne persisteront pas à s’opposer au gouvernement une fois qu’ils auront pris conscience de sa détermination à éliminer le socialisme marxien et à remodeler l’État sur la base des principes chrétiens et allemands. À l’époque, il ne pouvait pas prévoir une tension potentielle dans les relations entre l’Autriche et l’Allemagne lorsqu’il a publiquement exprimé l’objectif de favoriser des liens amicaux avec toutes les nations, en particulier avec le Reich allemand.

Peu de temps après avoir exprimé un geste de bonne volonté, les tensions se sont rapidement aggravées lorsque Dollfuss a mis en œuvre l’austrofascisme, s’alignant étroitement sur le fascisme italien et distançant l’Autriche de l’unification allemande sous le régime nazi. L’interdiction par le gouvernement autrichien des uniformes du parti a suscité les critiques du Dr Frank, ministre bavarois de la justice, qui a qualifié ces actions de « terrorisme » et a fait allusion à une intervention potentielle pour soutenir les militants allemands. Le fossé entre l’Autriche et l’Allemagne s’approfondit, ce qui incite Dollfuss à mettre l’accent sur le « front autrichien » contre les pressions extérieures. En août 1933, face à la montée du terrorisme nazi, Dollfuss s’engage dans des « lettres secrètes » avec Mussolini pour garantir l’indépendance de l’Autriche, considérée comme un tampon crucial contre l’expansionnisme nazi. Cela a marqué un tournant dans l’histoire de l’Autriche, car Dollfuss a cherché à contrer le nazisme et le communisme en s’alignant sur le fascisme italien, en soulignant les parallèles entre le régime d’Hitler en Allemagne et le règne de Staline en Union soviétique. Dans Le second danger : une mise en garde du Front de la patrie, le Dr Edwin Rollett, propagandiste du Front de la Patrie, met solennellement en garde les Autrichiens contre le péril imminent que représente le national-socialisme pour leur nation, en insistant sur les différences.

Lors de la mise en place du gouvernement, Dollfuss a consulté Ignaz Seipel afin d’obtenir des conseils pour stabiliser l’économie autrichienne. Malgré l’obtention d’un prêt et l’équilibre du budget, les difficultés financières persistent, entraînant des retards de paiement et le mécontentement des travailleurs. Les efforts déployés pour parvenir à la stabilité en augmentant les droits de douane et en limitant les dépenses se heurtent à l’opposition des sociaux-démocrates et des nationaux-socialistes, ce qui alimente la discorde. L’escalade des tensions donné lieu à des affrontements violents qui incitent le gouvernement à restreindre les rassemblements publics. Malgré ces mesures, de fausses rumeurs et des grèves continuent de saper la stabilité. Les tentatives du gouvernement pour étouffer les dissensions sont insuffisantes, ce qui permet aux nazis et aux communistes d’exploiter les échecs économiques et de semer la discorde pour servir leurs propres intérêts.

Afin de démanteler le Schutzbund des sociaux-démocrates, l’administration Dollfuss procède à des perquisitions dans les résidences et les lieux de réunion de ses membres, à la recherche d’armes. La guerre civile autrichienne éclate le 12 février 1934, déclenchée par la résistance armée de la branche de Linz des sociaux-démocrates contre la perquisition du siège de leur parti. La nouvelle du conflit se répand rapidement, entraînant d’autres affrontements armés, notamment dans les zones industrielles autrichiennes et à Vienne. Malgré les efforts du Schutzbund, celui-ci est largement dépassé par la police et l’armée, qui utilisent l’artillerie contre les insurgés. La grève générale prévue pour soutenir le soulèvement ne se concrétise pas. Le 15 février, la rébellion s’est effondrée, faisant environ 350 victimes, les civils, les insurgés et les forces gouvernementales subissant des pertes égales. Le gouvernement fédéral réagit en interdisant les sociaux-démocrates le 12 février 1934, ce qui conduit à l’emprisonnement ou à l’exil de leurs dirigeants.

En avril 1934, Dollfuss orchestre une réunion parlementaire restreinte composée uniquement de membres du Front de la patrie afin de faire approuver une nouvelle constitution, la deuxième constitution au monde à adopter des principes corporatistes après l’Estado Novo portugais. Cette session valide rétroactivement tous les décrets émis depuis mars 1933. Le 1er mai 1934, la nouvelle constitution abolit les derniers vestiges de la démocratie et la structure de la première République autrichienne, établissant l’État fédéral d’Autriche. L’Autriche devient officiellement un État totalitaire à parti unique. En opposition à l’Anschluss, Dollfuss et le Front de la patrie ont stratégiquement tiré parti de la foi catholique autrichienne pour favoriser un sentiment d’identité nationale et résister à l’absorption par l’Allemagne nazie.

L’idéologie du Front de la patrie

L’État fédéral d’Autriche a exalté l’héritage historique du pays, en particulier à l’époque de la monarchie des Habsbourg. Cette période est présentée comme celle de la grandeur autrichienne, où la nation a joué un rôle paternel en guidant son empire et en exerçant une influence sur la scène mondiale. En revanche, Adolf Hitler a profondément méprisé l’Empire autrichien et son histoire. Il reprochait aux Habsbourg d’avoir favorisé les peuples slaves au détriment des Autrichiens allemands. Hitler soutenait que l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand était le résultat d’une justice divine, car l’archiduc avait été perçu comme favorable aux Slaves. La haine d’Hitler à l’égard de l’Autriche se manifesta par son rejet de l’alliance entre l’Autriche et l’Allemagne, qu’il considèrait comme sacrilège malgré son rejet du nationalisme culturel au profit de l’idéologie raciale. Il dénoncit les Habsbourg pour l’hypocrisie dont ils faisaient preuve en présentant l’Autriche comme un État allemand, ce qui alimentait sa haine et son mépris envers la monarchie. Lorsque la Première Guerre mondiale a éclaté, Hitler a choisi de passer en Bavière et s’est porté volontaire pour y servir au lieu de se battre pour l’Autriche.

L’Église catholique a joué un rôle important dans la formation de l’histoire et de l’identité autrichiennes, à la différence de l’influence culturelle allemande et de la fascination d’Hitler pour les concepts américains tels que la destinée manifeste, qu’il cherchait à mettre en œuvre à l’Est. Hitler s’est également inspiré de la science raciale et de l’eugénisme promus par les progressistes Bull Moose aux États-Unis. Contrairement au régime laïque d’Hitler, l’Église catholique a exercé une influence considérable dans divers domaines sous le gouvernement autrichien. L’État encourageait l’enseignement religieux dans les écoles, l’imposant comme condition pour passer les examens de maturité. Cette idéologie propageait la croyance que les Autrichiens étaient un type supérieur d’Allemands. Adhérant aux valeurs catholiques du régime, le gouvernement a approuvé les principes non communistes et non capitalistes énoncés dans les encycliques papales, en particulier dans le Quadragesimo Anno du pape Pie XI.

L’une des principales caractéristiques de l’austrofascisme fut la mise en œuvre de mesures d’austérité. Dollfuss visait à réduire les dépenses inutiles et à favoriser une société qui adopte un mode de vie plus simple, en accord avec ses convictions catholiques de vivre modestement pour Dieu et sa famille. Cette approche était une réponse à l’envahissement du consumérisme dans les pays voisins comme la Tchécoslovaquie, qui menaçait les valeurs traditionnelles. Dollfuss y voyait une méthode pour réduire les excès, combattre le consumérisme superficiel et promouvoir un mode de vie pieux et ascétique au service de Dieu. Dollfuss prônait un mélange de corporatisme chrétien inspiré par Seipel, un partisan de l’enseignement social catholique. Cette idéologie appelait à un État « corporatif » pour remplacer le système parlementaire existant, en s’inspirant d’encycliques telles que Rerum Novarum du pape Léon XIII, ainsi que du concept d’État corporatif du fascisme. L’objectif était de faire de l’État autrichien le fondement de la société, avec le catholicisme comme principe directeur de la culture politique et de l’économie. Dans ce système, chaque membre d’un secteur économique spécifique devrait adhérer à un groupe d’intérêt officiellement reconnu. Ces groupes, classés par industrie ou par profession, auraient alors un statut public et participeraient à l’élaboration de la politique nationale. Par conséquent, l’État exercerait une influence significative sur ces groupes d’entreprises, tandis que les groupes réglementeraient leurs membres.

Le cadre économique du corporatisme s’est souvent heurté à Ludwig von Mises, qui plaidait pour l’établissement en Autriche d’une économie mondiale de marché, où l’identité nationale était reléguée au second plan par rapport aux produits de base et à la concurrence sur le marché international. Le Front de la Patrie n’adhérait pas à une approche de laissez-faire, et diverses factions au sein de la coalition, y compris les conservateurs, considéraient les politiques de libre marché comme potentiellement préjudiciables à la stabilité financière du pays. Une critique importante de Dollfuss a été sa décision de nommer Mises comme conseiller principal de son gouvernement. Si certains ont pu y voir l’influence d’une personnalité juive, la réalité est que les efforts de Mises en faveur des principes du marché libre n’ont pas réussi à s’imposer en Autriche, face à la résistance des sociaux-démocrates et des chrétiens conservateurs.

Hans Hermann Hoppe fait la lumière sur la présence de Mises dans le gouvernement Dollfuss en expliquant : « Pendant cette période, Mises était l’économiste en chef de la Chambre de commerce autrichienne. Avant l’assassinat de Dollfuss pour ses convictions politiques, Mises était l’un de ses conseillers les plus fiables. La question qui se pose est la suivante : pourquoi l’éminent libéral autrichien partisan de l’économie de marché a-t-il soutenu un interventionniste militant ? Dans The Cultural Background of Ludwig von Mises, Erik Ritter von Kuehnelt-Leddihn nous éclaire : « Face à l’opposition de l’université, Mises a cherché un emploi stable à la Handelskammer, la chambre de commerce semi-officielle. En 1920, le gouvernement autrichien était largement contrôlé par le parti chrétien-social, un parti clérical-conservateur qui donna plus tard naissance à la dictature de Dollfuss et au Front patriotique. Ce parti doit lutter contre les socialistes internationaux et, par la suite, contre les nationaux-socialistes. Bien que Mises, agnostique et vrai libéral, ne soutienne pas intrinsèquement les chrétiens-sociaux, il reconnaît la nécessité de collaborer avec le gouvernement étant donné les circonstances précaires de l’Autriche ».

En 1934, l’économiste autrichien Mises a quitté son poste au sein du gouvernement autrichien. Fervent défenseur du libéralisme classique et de l’économie de marché, Mises s’opposait de plus en plus aux politiques autoritaires et corporatistes mises en œuvre par Dollfuss sous son régime de 1932 à 1934. Après avoir quitté l’Autriche, Mises s’est installé à Genève en 1934, où il a obtenu un poste à l’Institut universitaire de hautes études internationales. C’est le début d’un exil prolongé de Mises hors d’Autriche, qui le conduit finalement aux États-Unis en 1940 pour échapper à l’influence croissante des nazis et au début de la Seconde Guerre mondiale en Europe. Bien que Mises ne soit pas parti spécifiquement à cause de Dollfuss, l’atmosphère politique sous Dollfuss et les événements ultérieurs ont certainement influencé sa décision de chercher un environnement plus accueillant pour son travail et ses idées. Le départ de Mises d’Autriche en 1934 fait suite à l’échec du Parti de la patrie à mettre pleinement en œuvre le programme qu’il avait proposé, ce qui a culminé après l’adoption de la Constitution de mai.

La Constitution de mai 1934 en Autriche, qui s’ouvre par la phrase « Au nom de Dieu, le Tout-Puissant, de qui émane toute loi », instaure un État totalitaire avec des pouvoirs de décrets d’urgence détenus par le gouvernement fédéral. L’objectif de cette Constitution était d’éliminer les obstacles à une gouvernance efficace, d’abolir l’immunité des membres des entreprises et de défendre les principes démocratiques tels que les libertés individuelles. La représentation démocratique était structurée par des entités corporatives telles que le Conseil d’État, le Conseil fédéral de l’intellect, le Conseil fédéral de l’économie et le Conseil provincial. Ces groupes conseillaient le gouvernement fédéral sur la législation, leurs membres étant nommés par le gouvernement ou élus par les différentes corporations. Ce système vise à garantir que divers secteurs de la société participent à l’élaboration des lois. Le système du chancelier Dollfuss, influencé par le fascisme mais profondément lié au catholicisme, cherchait à harmoniser les intérêts du capital et des travailleurs dans le cadre d’un État corporatif. Dollfuss croyait en l’importance de la paysannerie comme fondement de la nation et estimait que le travail agricole était vital face à la mondialisation libérale. Le Conseil d’État et le Front de la Patrie ont joué un rôle crucial dans le maintien du régime et la promotion du développement national, guidés par la vision de Dollfuss d’un rajeunissement spirituel de la nation dans le contexte de la transformation industrielle de l’Autriche et du déclin de l’empire.

Le chancelier a énoncé des principes clés : Encourager le libre développement tout en maintenant le leadership de l’État dans le domaine de la construction. Construire des entreprises à partir de la base pour une véritable autonomie. Mettre l’accent sur un changement des perspectives individuelles pour faire de l’organisation corporative une véritable structure communautaire.

Dans ses discours, Dollfuss a mis l’accent sur l’utilisation des structures économiques existantes pour les efforts de reconstruction, en soulignant l’importance des associations professionnelles et de la structure des entreprises. Il a insisté sur la nécessité d’un sens de la communauté au sein des différentes professions, plaidant pour l’égalité des droits et la coopération entre tous les membres. Dollfuss a défendu l’idée que le travail devait unir les individus et éliminer les conflits de classe, en soulignant l’importance de la solidarité et d’une gouvernance responsable fondée sur l’altruisme et le sacrifice. Le système qu’il envisageait était fortement influencé par Seipel, ce qui a conduit à une forme de fascisme catholique. Seipel considérait le système des partis en Autriche comme une source de division qui entravait l’unité nationale et le lien avec Dieu. Il considèrait également que la communauté juive d’Autriche était liée au capitalisme et avait une mentalité marchande spécifique qui constituait une menace pour le bien-être économique de la population. Seipel s’inquiètait de voir l’Autriche dominée économiquement, culturellement et politiquement par la population juive. En abordant la question juive, Seipel a proposé de reconnaître les Juifs comme une minorité nationale, ce qui nécessitait une supervision significative de l’État, sans toutefois atteindre les mesures extrêmes observées dans l’Allemagne nazie.

L’accent mis sur le renouveau religieux et moral était considéré comme essentiel pour la reconstruction de la nation, pénétrant tous les aspects de la vie, y compris la famille, la politique, l’économie et les sphères sociales. La vision de Dollfuss pour l’Autriche se concentrait sur un réveil spirituel, visant à créer un État corporatif qui comblerait le fossé entre le capital et le travail, s’éloignant du conflit de classe pour aller vers la coopération. Le principe de base était d’infuser les idéaux catholiques dans la vie publique et politique, en promouvant une rechristianisation de la société.

La mort et l’héritage de Dollfuss

Le 25 juillet 1934, le chancelier autrichien Dollfuss est tragiquement assassiné lors d’une tentative de coup d’État orchestrée par un groupe de nazis autrichiens. Les insurgés prennent d’assaut le bâtiment de la Chancellerie, et Dollfuss est mortellement touché. Le raid nazi sur la chancellerie visait à capturer tous les membres du gouvernement, à les forcer à démissionner et à éliminer le chancelier afin d’ouvrir la voie à un gouvernement dirigé par les nationaux-socialistes. Dollfuss, connu pour sa bravoure, a été abattu par les insurgés qui ont exploité un moment de vulnérabilité. Malgré sa blessure, Dollfuss reste déterminé et refuse de démissionner, exprimant son désir de paix et de succession du Dr Schuschnigg. Après l’assassinat, Mussolini attribue l’attentat au dictateur allemand et apporte son soutien à la veuve de Dollfuss par l’intermédiaire du prince Ernst Rüdiger Starhemberg. Malgré cette issue tragique, la nation est sauvée grâce à la rapidité d’action des fidèles du gouvernement.

Mussolini mobilise les forces italiennes à la frontière autrichienne, avertissant Hitler d’un conflit potentiel si l’Allemagne tente d’envahir l’Autriche pour faire aboutir le coup d’État. Il défend fermement l’indépendance de l’Autriche et affiche sa détermination en inaugurant une statue à Bolzano, symbolisant les frictions entre le fascisme italien et le national-socialisme. L’assassinat de Dollfuss a déclenché des soulèvements dans toute l’Autriche, entraînant de nouvelles violences. Une tentative nazie de prise de pouvoir en Carinthie est déjouée par les forces italiennes, ce qui surprend Hitler et l’incite à prendre ses distances par rapport à l’attaque. Les conspirateurs sont jugés et exécutés, Kurt Schuschnigg assumant le rôle de chancelier après la mort de Dollfuss. Des centaines de milliers d’Autrichiens ont rendu hommage à Dollfuss lors de ses funérailles, soulignant ainsi son importance. Même le romancier catholique conservateur G. K. Chesterton a condamné le coup d’État et l’assassinat de Dollfuss.

Dollfuss repose au cimetière de Hietzing, à Vienne, aux côtés de son épouse Alwine. Il a incarné une forme unique de fascisme catholique, s’opposant à l’idéologie racialiste, au capitalisme et au marxisme. Son lien profond avec l’Autriche et la terre a façonné son héritage en tant que défenseur des valeurs et de l’identité de sa nation.

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