Le 11 décembre 1936, onze mois seulement après son accession au trône, Édouard VIII, roi du Royaume-Uni et empereur des Indes, abdique. Officiellement parce qu’il souhaite épouser l’Américaine Wallis Simpson et parce que le gouvernement britannique et l’Église d’Angleterre s’opposent à ce mariage car la mondaine en est à son deuxième divorce. Officieusement, car celui qui allait devenir le duc de Windsor était empêché d’être un véritable roi et refusait d’endosser le rôle de marionnette que lui imposait l’establishment britannique.
Un prince près du peuple
Investi comme prince de Galles, c’est-à-dire héritier du trône, en 1911, Édouard s’était préparé à son accession au pouvoir, moins par ses études (militaires dans la marine et civiles à Oxford) que par de nombreux voyages au Royaume-Unis et à l’étranger où il se rendait fréquemment dans les zones les plus pauvres montrant un intérêt réel pour les conditions de vie des classes laborieuses. Lors d’un séjour en Autriche, survenu après les évènements du Februarkämpfe, le prince avait ainsi scandalisé ses hôtes en insistant pour visiter les quartiers ouvriers de Vienne et en arborant à la boutonnière, à cette occasion, un œillet rouge, signe de reconnaissance des membres du Parti social-démocrate interdit. Devenu roi, Édouard VIII persista dans cette voie et sa déclaration lors d’une visite dans les mines de charbon en déclin de Galles du Sud selon laquelle « quelque chose devait être fait » pour les mineurs au chômage fit scandale car elle fut considérée comme une critique directe du gouvernement conservateur.
De même, durant la Première Guerre mondiale, alors que le gouvernement refusait de le laisser combattre sur le front en invoquant le risque que l’héritier du trône puisse être capturé par l’ennemi, le prince de Galles fit tout son possible pour visiter les premières lignes aussi souvent que possible et partager le vécu des simples soldats, ce qui le rendit populaire auprès des hommes de troupe.
Devenu roi, Édouard VIII choisit pour lui une vie humble : il imposa de sévères économies à la maison royale en réduisant notablement son personnel et en diminuant des deux tiers ses frais de bouche.
Ses options politiques, déjà affichée quand il était prince de Galles, étaient pacifistes et anticommunistes. Il fit connaître son opposition aux sanctions adoptées par son pays contre l’Italie après l’invasion par celle-ci de l’Éthiopie et il discuta avec Pierre Laval (alors ministre des Affaires étrangères) d’une grande alliance Royaume-Uni/France/Italie/Allemagne tournée contre l’URSS.
Pire, il ne cachait pas en privé sa sympathie pour les nationalismes totalitaires. En juillet 1933, il déclara ainsi que « les dictateurs sont très populaires actuellement. Il en faudrait un pour l’Angleterre » et, en 1934, il fit des commentaires suggérant qu’il soutenait la British Union of Fascists d’Oswald Mosley (qu’il rencontra discrètement un an plus tard).
Aimé par le peuple, haï par les dominants
Présenté par la presse américaine à l’ouverture de son règne comme étant « le roi d’un peuple jeune et l’idole d’une jeunesse pleine d’intelligence. Il sait monter à cheval, danser, piloter, se mêler aux petites gens, traiter avec les diplomates. Peut-on citer quelque chose qu’il ne sache pas faire ? Il est parfaitement préparé pour son métier », il était par contre haï et méprisé par la classe politique britannique qui l’accusait de vouloir régner et donc se mêler de ce qui ne le regardait pas !
Bien qu’il fût roi, ses lignes téléphoniques étaient mises sur écoute, ses ministres ne lui communiquaient qu’avec réticence (voir pas du tout comme le fit Anthony Eden à parti de l’été 1936) leurs dossiers et tout était fait pour l’éloigner des affaires de l’État.
Son souhait d’épouser l’amour de sa vie, Wallis Simpson, une américaine deux fois divorcée, permit à l’establishment de se débarrasser de lui en lui refusant toute possibilité de mariage y compris le morganatique (qui n’aurait pas fait de Wallis Simpson une reine et qui n’aurait pas permis aux éventuels descendant du couple d’être dynastes). Il y eut donc une crise dynastique. Le soutien au roi fut fort dans la classe ouvrière et chez les anciens combattants, les politiques lui étant tous hostiles à l’exception de Winston Churchill, d’Oswald Mosley et des communistes. Tout se termina le 10 décembre 1936, par l’abdication du monarque. Le soir de cette abdication des chemises noires de la BUF manifestèrent devant Buckingham Palace en scandant « Nous voulons garder Édouard » et, le lendemain, Oswald Mosley demanda en vain que la question de l’abdication du roi soit soumise à un référendum populaire.
Après l’abdication
Le 12 décembre 1936, le nouveau roi, George VI, fit de son frère « Son Altesse Royale Le duc de Windsor », décision généreuse en apparence mais en réalité vicieuse car, devenant duc, Edward ne pouvait pas se présenter à une élection pour la Chambre des communes ou parler de sujets politiques à la Chambre des lords. Le 3 juin 1937, le roi déchu épousa Wallis Simpson en France où le couple s’installa car il lui fut interdit de résider au Royaume-Uni.
En octobre 1937, le duc et la duchesse de Windsor visitèrent l’Allemagne nationale-socialiste. Ils furent les hôtes officiels de Robert Ley, le chef du Front du travail, rencontrèrent Joseph Goebbels, Joachim von Ribbentrop et Hermann Goering, et ils furent reçus par Adolf Hitler à sa résidence de l’Obersalzberg. La visite fut largement annoncée et relatée par les médias allemands.
Installé ensuite en France, le duc de Windsor dut émigrer en 1940 en Espagne, puis au Portugal, avant d’être nommé gouverneur des Bahamas, un poste très secondaire qui ne correspondait nullement à ses capacités. De nombreux historiens ont suggéré qu’il fut envoyé sur ces îles pour minimiser ses possibilités d’action et afin qu’il ne puisse pas devenir un enjeu de la propagande de l’Allemagne nationale-socialiste.
Après la guerre, le couple Windsor retourna en France pour passer la fin de sa vie essentiellement en retraite car le duc n’occupa plus aucun poste officiel. À défaut de jouer un rôle politique, il devint une personnalité mondaine et resta fidèle à ses amis, fréquentant les Mosley (eux aussi émigrés en France) jusqu’à son décès en 1972.
Si Édouard VIII avait gagné son bras de fer contre l’establishment britannique et était resté roi, l’histoire aurait-elle été changée ? On peut le penser et on peut aussi estimer que, du fait d’un système d’alliance totalement différent, la seconde guerre civile européenne aurait été évitée et la montée des doubles impérialismes (USA et URSS) contenue.
Article rédigé pour Réfléchir et agir en septembre septembre 2016.
Visuel : mural de soutien à Édouard VIII réalisé par la British Union of Fascists.