Ce matin Jordan Bardella a annoncé qu’il refuserait de prendre la tête du Gouvernement s’il n’obtenait pas à l’assemblée une majorité absolue lui permettant d’avoir les mains réellement libres pour agir.
Sa position traduit pour certains une crainte des responsabilités : pourtant il est logique de ne pas vouloir se démonétiser à jamais à cause d’une mauvaise configuration. Et en même temps, pardonnera-t-on à quelqu’un d’avoir refusé le pouvoir si c’est pour le donner à la coalition des gauches ? Pourquoi serait-ce une mauvaise configuration pour le RN ?
Et pourquoi la gauche est-elle en mesure de l’accepter alors que cela « nous » est impossible malgré des projections électorales supérieures ?
Pour 2 raisons :
– La gauche discute sur des bases programmatiques et doctrinales au-delà des haines mortelles (ce à quoi on se refuse au sein même du RN)
– La gauche voit plus loin que les élections pendant que de l’électeur au chef de parti, les héritiers des du courant monarchiste ne jurent que par le petit papier et la grosse urne. Elle possède un véritable ancrage local, syndical, associatif.
1- La gauche discute : elle parvient à organiser des meetings réunissant les gros partis et les plus petits groupuscules, les modérés et les plus caricaturaux. Ce n’est pas parce que tous les médias sont de gauche qu’elle y arrive : nous avons des gros médias aussi, mais à l’instar des chefs de partis ils préféreraient pour beaucoup plaire à l’adversaire que d’être assimilés à tel ou tel courant qu’ils jugent caricatural. Parfois à raison, le plus souvent sans voir que la mouvance radicale qu’ils méprisent est plus cultivée et ouverte d’esprit qu’on ne se l’imagine. Mais surtout : plus ancrée dans un certain nombre de territoires.
Si la gauche y arrive, c’est parce qu’elle ne doute pas d’elle-même.
Enfin, la gauche discute sur des bases programmatiques. Elle est divisée, mais elle sait appartenir à un camp et pas à un autre, et elle préfère convenir de positions communes que de perdre. Elle sacrifie les egos à la Cause.
La droite a peur de ses idées et des idées en général : ses représentants vous parlent d’union et de la France avec des trémolos dans la voix, mais pour la plupart leurs egos et leurs postes passent bien avant le reste.
Le RN est l’illustration absolue de cela : il n’envisage les autres que comme des marche-pieds.
2- La gauche voit plus loin que l’électoralisme : elle possède et entretien un tissu associatif, médiatique et économique qui lui permet d’envisager de diriger un Gouvernement sans majorité absolue. Elle a des relais locaux, plus radicaux souvent que les représentants officiels, plus caricaturaux (comme chez nous à droite) mais plus ancrés, plus courageux. Et les partis institutionnels de gauche ne les méprisent pas totalement, ils négocient avec eux, les utilisent et leur rendent service.
À l’inverse, le RN qui court après les personnalités dissidentes (et souvent incompétentes) du Système, considère toute personnalité ou organisation à sa droite comme un ennemi à abattre. Ce faisant il peut bien prendre le pouvoir, il est dans l’incapacité de l’exercer. Se contentant d’être une performante machine de guerre médiatique, il se cantonne au rôle de thermomètre des colères populaires. Espérons qu’il comprenne rapidement qu’on ne dirige pas un pays comme un parti, en essorant la base et les cadres et en se contenant de parler à la télévision.
Parce que même pour appliquer le programme d’Alain Juppé dans les années 90 (c’est-à-dire de saines mais toutes petites mesures), il va falloir affronter la magistrature, les grèves, les lobbies économiques, les banlieues etc etc.
En 2015, MLP était entrée en conflit avec Pascal Gannat et Marion Maréchal qui avaient promis de supprimer les subventions régionales au Planning Familial. Tous deux ont été marginalisés du FN pour cette raison (entre autres). « Ça fait partie de la vie des Français » leur a-t-on dit en substance. Et c’était vrai.
10 ans plus tard le Planning Familial appelle à voter pour La France Insoumise. Et le RN, en dehors de satellites bidons, ne possède aucun écosystème faisant partie de la vie des Français susceptible de contrebalancer. Si Melenchon 1er ministre lui réduit de moitié son temps de parole, il réduira de moitié sa performance électorale sans autre perspective que de geindre. Ce qui ne changera pas grand chose à la vie des Français, j’en conviens…
On me demande souvent ce que signifie ce « faites sécession » : il ne s’agit pas de vivre en hamiche dans les bois. Mais d’atteindre l’autonomie, la liberté et le poids nécessaires pour permettre aux hommes politiques de tenir leurs promesses. Ceci passe par faire partie de la « vie des gens » c’est à dire assumer des entreprises, des associations, des candidatures locales de gens certes un peu plus « radicaux », mais qui sont les seuls à pouvoir et vouloir incarner localement des idées qui conduisent parfois à la mort sociale et judiciaire.
Ce qui n’interdit pas d’aller voter, au contraire !
Jean-Eudes Gannat.