Le 28 avril 2025, James Porrazzo, New-Yorkais d’ascendance italienne mais vivant en Serbie, est décédé à l’âge de 53 ans.
La vie de Porrazzo a été une longue et continue révolte contre le monde moderne. Cette révolte a pris des formes politiques, spirituelles et éditoriales très variées. L’étendue des entités, des courants et des influences auxquels il fut associé, ou qu’il a lui-même initiés, fut et reste suffisamment vaste pour dérouter ses adversaires, ses amis et les simples spectateurs. La vie et l’œuvre de Porrazzo ont couvert pratiquement toute une « époque », voire plusieurs « époques » de l’histoire récente et la vie de plus d’une poignée d’organisations, d’individus et même de pays.
Après avoir été sympathisant du Sentier lumineux péruvien et membre, un bref instant, du Parti communiste révolutionnaire américain, il rejoignit l’American Front dont il devint un des dirigeant. Étant entré en contact avec des nationalistes-révolutionnaires européen, il transforma l’AF en New Resistance en prenant le mouvement français Nouvelle Résistance comme exemple. Avec cette organisation et son organe de presse Open Revolt !, Porrazzo joua un rôle historique de passeur en faisant connaître les idées et les auteurs de la révolution conservatrice européenne et du paysage russe post-soviétique, notamment Alexandre Douguine, aux dissidents américains en particulier et, bien sûr, au monde virtuel anglophone dans son ensemble, ce qui, à l’ère numérique, signifie pratiquement le monde entier.
Open Revolt! a publié, entre autres, la première interview en anglais de Daria Platonova Dougine et il fut le premier média américain à promouvoir la quatrième théorie politique d’Alexandre Dougine.
Après la transformation, en France, de Nouvelle Résistance en Unité radicale, Porazzo maintint le nom vivant et développa un conséquent réseau de groupes affiliés dont subsiste toujours l’important Nova Resistencia au Brésil.
Après avoir renoncé à la direction de New Resistance, James Porazzo contribua à la Global Revolutionary Alliance et au Center for Syncretic Studies (deux structures regroupant des partisans d’Alexandre Douguine) avant de s’orienter vers les nouveaux médias où il anima Total War News, qui fut souvent cité par les organes de presse internationaux mainstreams pour, entre autres, sa couverture des opérations Wagner de Prigozhine en Ukraine et en Afrique, et ses analyses géopolitiques.
Ces dernières années, il avait salué publiquement la fondation de l’American Communist Party (groupe désigné par la grande presse comme représentant le « Maga communism ») dont il connaissait les dirigeants.
Parallèlement ou derrière les facettes politiques et médiatiques de Porrazzo, sa quête spirituelle était moins publique, mais nullement moins importante dans ses activités et ses relations. Dans une interview accordée en 2022, il déclarait : « Dès que mon cerveau a été capable de fonctionner, j’ai suivi la voie de la main gauche. » Par là, Porrazzo entendait les traditions, les mouvements et les pratiques qui postulent que la période sombre actuelle du cycle cosmique, le Kali-Yuga, appelle une spiritualité transgressive et antinomique centrée sur la réalisation de soi tout en vivant dans le tumulte du monde moderne — ou, comme le disait Julius Evola, « chevaucher le tigre ». Porrazzo se qualifiait lui-même de « shivaïte non orthodoxe ». Il croyait – et intégrait dans sa pratique – que l’homme européen moderne avait la possibilité et le défi sans précédent de puiser dans des énergies spirituelles provenant de sources diverses, orientales et occidentales, anciennes et modernes, « authentiques » et « idiosyncrasiques ». Ainsi, on put voir Porrazzo contribuer à des organisations hindouistes, exprimer son admiration pour le christianisme orthodoxe, réciter les paroles d’Odin dans les Eddas et préconiser l’étude de l’histoire religieuse juive, tout en expérimentant les courants modernes de la magie.
Bien qu’il ne fût pas personnellement un admirateur de Guénon ni de la plupart des ouvrages qui sont devenus des « classiques » de la littérature traditionaliste, Porrazzo partageait une grande partie de la vision traditionaliste et considérait la publication des œuvres d’Evola comme l’un des développements les plus importants et les plus positifs du XXIe siècle.
En accord avec ses études spirituelles et sa sensibilité, Porrazzo a également laissé une empreinte moins connue mais sans aucun doute fructueuse dans le monde de l’édition. Disciple et collaborateur du regretté Adam Parfrey des éditions Feral House, son travail en faveur de l’édition indépendante et dissidente s’étendit ensuite à Arktos et à PRAV Publishing. Porrazzo a contribué de multiples façons à la publication de nombreux titres, toujours sans y apposer son nom, mais a laissé ses propres projets de livres inachevés. L’autobiographie de Porrazzo, commandée par PRAV Publishing, n’a jamais été écrite.
Ses nombreux articles et interviews sont dispersés sur de nombreux sites web (dont beaucoup ont aujourd’hui disparu) dans près d’une demi-douzaine de langues. Le sort de ses manuscrits inachevés reste incertain, mais on sait qu’ils comprenaient un commentaire sur La raza cósmica de José Vasconcelos, un livre sur Wagner, un traité sur la méditation et une série d’essais sur l’Atlantide. Comme beaucoup de penseurs et d’enseignants du monde antique, l’œuvre de Porrazzo était principalement orale, fruit de conversations influentes en coulisses, et reste l’héritage d’un petit cercle de destinataires. Porrazzo était davantage un « influenceur » qu’un « auteur », et rares sont les auteurs qui oseraient révéler leurs interactions avec lui ou ses commentaires sur leurs œuvres.
En outre, en plus de ses écrits, Porrazzo est également connu pour avoir touché à la musique. Entre sa jeunesse passée dans la scène hardcore new-yorkaise et son dernier projet musical « Porrazzo & Red Mercury », Porrazzo a promu le T.S.I.D.M.Z. (ThuleSehnsucht In Der MaschinenZeit) de Solimano Mutti et a contribué à Der Drakos et Front of Hell de Steve Drakos (qui fut bassiste de Skrewdriver) et rédigé la préface de Poems of Blood and Fait le livre de ce dernier. Parmi toutes les paroles et mélodies qu’il a composées, Porrazzo considérait les morceaux « Makarov Gospel » et « Nuclear Dharma » de Porrazzo & Red Mercury comme les plus représentatifs de lui-même.
Alors que la nouvelle du décès de Porrazzo se répand dans le monde, il faut s’attendre à ce que sa personne, sa vie et son œuvre soient bientôt soumises à la campagne de diffamation habituelle, sous la forme réductrice et éculée qui lui est habituelle. Les journalistes feindront d’être objectifs sur la mort d’un « extrémiste d’extrême droite » et présenteront une liste de crimes de pensée, insinuant que le monde est désormais meilleur sans lui.
Laissons les derniers mots à Jafe Arnold qui fut son ami : « Sa vie était des vies qui se vivent au-delà de leur temps, en décalage, à contre-courant, et sans aucune honte de participer au grand Jeu Divin de l’univers. Quoi qu’il en soit, la mort de James Porrazzo marque la fin d’une époque, la fin d’une vie incarnée et vécue à travers les nombreux courants radicaux qui bouillonnent sous le béton de l’« ordre mondial » illusoire et qui éclatent parfois avec violence. Il ne fait aucun doute que le fantôme de Porrazzo continuera de hanter le monde, tant au-dessus qu’en dessous de la terre.
Au milieu de tous ses mouvements, parmi tous les continents et tous les pays où sa voix et son influence se sont fait entendre, et malgré toute son agitation, Porrazzo a néanmoins trouvé la paix dans le lieu de sa mort. À la fin de sa vie, Porrazzo rêvait de retourner sur le continent européen, de s’installer sur le sol européen, mais sur le sol d’une Europe qui n’avait pas capitulé, et non sous l’occupation atlantiste. Porrazzo a ainsi réalisé l’un de ses rêves et s’est installé en Serbie, un pays et un peuple qui lui étaient chers depuis son opposition au démembrement de la Yougoslavie par l’OTAN et à la diabolisation des Serbes dans les années 1990. Bien que l’idée de tout abandonner pour mener une vie de nomade en Amérique du Sud ou en Asie du Sud-Est, ou de rejoindre les forces d’un seigneur de guerre quelque part en Afrique ne l’ait jamais quitté, il a décidé de rester dans l’Europe serbe, quelles que soient les circonstances dans lesquelles il se trouverait. Il n’est pas exagéré de dire que Porrazzo restera dans l’histoire, ou plutôt dans les mémoires, comme l’un des Américains les plus singuliers et les plus appréciés de l’histoire récente de la Serbie.
De plus, l’âme éternellement agitée de Porrazzo continue de vivre dans l’idée et l’enseignement qui ont motivé toutes ses entreprises, la « doctrine Porrazzo » qu’il a toujours transmise : au milieu du Kali-Yuga, chacun d’entre nous a la chance de devenir et d’être quelqu’un et quelque chose qui se démarque du troupeau ennuyeux et désespéré — mais ce troupeau n’est pas seulement séparé de nous quelque part là-bas, il est aussi parmi nous et en nous. Par conséquent, une vigilance (auto-)constante et un réveil permanent sont toujours à l’ordre du jour et de la nuit. Sinon, « aucune vie n’a d’importance ».
Dans notre situation, disait-il souvent, il serait bien plus vrai et divin d’être un pirate, un pillard, un mercenaire, un spin doctor ou un magicien du chaos forgeant et martelant son propre code, plutôt que de s’identifier à une organisation, une idéologie, un parti ou un pays car il n’y a pas de partis ni d’idéologies au Valhalla. Selon Porrazzo, ce n’est qu’à travers une dissidence radicale et transgressive et en « chevauchant le tigre » du monde postmoderne que l’homme contemporain peut redécouvrir et reproduire la spiritualité et l’éthique originales des cavaliers indo-européens des steppes et des marins de l’Atlantide, c’est-à-dire les radicaux aventureux qui ont allumé les feux sacrificiels et forgé les fondations de la façade désormais en ruine que nous appelons civilisation ».
Photo : James Porazzo à l’époque de l’American Front (à gauche).