En Italie, ainsi que dans d’autres pays européens, il existe une relative coopération entre certains courants musulmans et certains mouvements de droite radicale. En Allemagne (1), au contraire, la plupart des nationalistes sont critiques, sinon hostiles, vis à vis de l’islam. Quels sont, à votre avis, les motifs de cette différence ?
En Italie, l’extrême droite (les néo-fascistes ou ce qu’on nomme la droite radicale) est d’opinions diverses, confuses et souvent contradictoires. Certaines composantes de cette nébuleuse on toujours eu une position explicitement philo-islamique. Les raisons de cela sont dues à divers facteurs. Premièrement, le souvenir de la solidarité historique qui unit le fascisme et le national-socialisme aux peuples musulmans. Ensuite, la présentation favorable de l’Islam que donnèrent les penseurs traditionalistes et tout particulièrement Julius Evola. Enfin, la manifestation de l’Islam, à partir des années 1970, comme une force spirituelle et politique en lutte contre le même ennemi.
Cela étant, à l’intérieur de cette nébuleuse, il faut noter l’existence de comportements quasi-schizophréniques qui consistent à adopter des positions philo-musulmanes ou philo-arabes concernant l’Irak ou la Palestine et des positions anti-musulmanes ou anti-arabes concernant l’Italie, où l’immigration est dénoncée comme une « invasion islamique », à cause d’une perception irrationnelle et émotionnelle de celle-ci. Naturellement, cette schizophrénie expose les militants de l’extrême droite et de la droite radicale au risque de devenir les alliés objectifs de la droite de gouvernement, qui est philo-américaine et philo-sioniste, et hostile aux véritables intérêts européens.
La société multiraciale et multiculturelle est, sans aucun doute, un danger pour l’Europe…
Le modèle sociale communément nommé « multiculturel » est en réalité monoculturel, parce qu’il promeut l’hégémonie, sinon l’existence exclusive, d’une culture unique : la civilisation occidentale, celle des États-Unis. Le modèle occidental, qui a été imposé à une moitié de l’Europe en 1945 et à l’autre en 1989, considère l’islam comme son ennemi prioritaire. « Pour l’Occident, écrit Samuel Huntington, le véritable problème n’est pas le fondamentalisme islamiste, mais l’islam en lui-même. »
Il se dit que l’islam n’est pas concerné par les différences raciales. Un accroissement de l’influence musulmane en Europe pourrait donc accroître la tendance au métissage…
L’islam affirme de manière radicale la primauté du facteur spirituel sur le facteur biologique. Cela ne signifie cependant pas que l’islam ne reconnaisse pas les différences raciales et n’en tienne pas compte. La doctrine islamique relative à cette question se trouve résumée dans le verset 21 de la sourate XXX du Coran où l’on peut lire « La diversité de vos langues et de vos couleurs sont aussi un signe. » L’islam considère donc que « langues et couleurs » sont des marqueurs de l’identité culturelle et raciale comme des « signes divins ». Ce n’est pas un hasard si Ludwig Ferdinand Clauss, qui dans Rasse und Charakter (1936) avait exposé la composante psycho-anthropologique du fait racial, est devenu musulman, comme l’est aussi devenu un autre théoricien de la race, Johannes von Leers.
On nous dit que l’islam est une religion très agressive qui n’accepterait pas l’existence des autres religions. Julius Evola défendit l’idée d’un Imperium supra-national et supra-confessionnel. Mais l’islam peut-il tolérer d’autres religions en concurrence avec lui ?
Historiquement, à chaque fois que l’islam est devenu la religion dominante d’un pays, il a reconnu l’existence des autres religions et a garanti à leurs membres la protection et l’autonomie. Dans l’Empire omeyyade les chrétiens furent respectés au point qu’un de leur futur saint, Jean Damascène, devint ministre du Calife ; dans l’Espagne musulmane fleurit la culture des chrétiens mozarabes ; dans l’Empire ottoman, le patriarche orthodoxe était considéré de même niveau qu’un ministre du sultan et la communauté chrétienne bénéficiait de l’autonomie la plus large qui soit ; dans l’Inde de la dynastie Moghol, les hindou et les bouddhistes étaient légalement considérés comme des « gens du livre » et bénéficiait de ce fait de privilèges particuliers ; aujourd’hui, dans la République islamique d’Iran les chrétiens et les zoroastriens ont des sièges de députés qui leurs sont réservés au Parlement. En ce qui concerne Julius Evola, son opinion concernant l’islam était très positive. Dans Révolte contre le monde moderne, il écrit que l’islam est une « tradition d’un niveau supérieur à toutes les croyances qui ont conquis l’Occident ».
L’idée eurasiste est bien connue en Italie et dans quelques autres pays européens, en Allemagne elle est quasi-ignorée. Seule notre revue, Junges Forum, a tenté de faire connaître la pensée d’Alexandre Dougine. Pensez-vous que le projet eurasiste soit réalisable ? Quelles sont les idées, en dehors de la géopolitique, qui peuvent unir l’Eurasie ?
Jusqu’à la deuxième guerre mondiale, des États nationaux comme l’Allemagne, l’Italie ou la France étaient de taille suffisante – en terme de territoire, de population et d’économie – pour être indépendants. Maintenant, seules sont indépendantes les entités politiques qui disposent d’une dimension continentale. Karl Haushofer avait annoncé cela dès le début du XXème siècle en énonçant le concept géopolitique du bloc continental eurasiatique de Dublin à Vladivostok.
Cela étant, il ne faut pas oublier que si l’idée du Kontinentalblock eurasiatique est née d’une nécessité géopolitique, il a des fondements plus profonds dont l’origine se trouve dans l’unité spirituelle de l’Eurasie. Une unité qui transcende la multiplicité des formes culturelles.
Indépendamment de nos gouvernements qu’est-il possible de faire ?
La pars destruens de notre action doit consister à exposer l’essence anti-européenne de la notion d’Occident, qui a pour but de perpétuer la subordination de l’Europe aux États-Unis et de creuser un profond fossé entre l’Europe et le reste du continent eurasiatique. Il faut dénoncer la thèse du « choc des civilisations » pour ce qu’elle est : un instrument idéologique de l’impérialisme yankee qui vise à déclencher une série de guerres en Eurasie au profit des États-Unis. Si un « choc des civilisations » devait exister, ce ne serait pas celui qui opposerait l’islam au christianisme, mais la civilisation eurasiatique à la barbarie nord-américaine.
Notre pars construens, doit être de créer une conscience eurasiste en utilisant le contenu des œuvres qui montrent l’unité spirituelle de l’Eurasie. Je ne pense pas seulement à celles d’auteurs traditionalistes comme Guénon et Evola, mais aussi aux travaux de spécialistes en histoire des religions comme Mircea Eliade et Giuseppe Tucci, d’historiens comme Franz Altheim et Lev Gumilev, de théoriciens classique de l’eurasisme comme Nikolaï Troubetskoï et Petr Savickiï.
L’idée eurasiste peut-elle être vu comme une renaissance de l’esprit du Saint-Empire médiéval ?
Avec Charlemagne, le Saint-Empire romain unifia l’espace compris entre la mer du Nord et la Méditerranée, entre l’Ebre et l’Adriatique. Avec Frédéric II, que Nietzsche qualifia de génie, un empereur qui parlait latin et allemand, grec et arabe et qui écrivait des poèmes en italien, le Saint-Empire fit un premier pas en direction d’une synthèse eurasiste après être entré en possession de Jérusalem grâce à une politique de « paix et d’amitié avec l’islam » (Nietzsche). Le grand Staufen réunissait dans sa propre personne les caractères d’un empereur romain, d’un roi germanique, d’un basileus byzantin et d’un sultan musulman. Ce n’est pas par hasard que les musulmans le comparaît à Alexandre de Macédoine qui le premier chercha à unir l’Europe et l’Asie. Aujourd’hui, à l’aube du troisième millénaire, l’idée eurasiste irradie le même esprit impérial sur tout le grand espace compris entre l’Atlantique et le pacifique.
1 – Cet entretien a été réalisé par la rédaction de la revue NR allemande Junges Forum en 2008.
Claudio Mutti, qui milita à Jeune Europe dans les années 1960, est journaliste, écrivain et éditeur. Il est le rédacteur en chef de l’édition italienne de la revue Eurasia.