Dans son journal, le 22 novembre 1943, Joseph Goebbels prend le temps de noter : « Une bien triste nouvelle nous est parvenue : le comte Reventlow est mort à Tegernsee. Le mouvement national-socialiste pleure la perte d’un idéaliste généreux et fier de ses idées ». Pourtant, l’homme qui vient de décéder, n’est guère apprécié au sein du Troisième Reich (Adolf Hitler le considère comme « un vieillard, journaliste de surcroît, incapable de changer ses idées poussiéreuses »), et était étroitement surveillé par la Gestapo à cause de son passé de national-bolchevique, de son amitié avec les frères Strasser et le chef SA rescapé par miracle de la Nuit des longs couteaux Kurt Lüdecke, ainsi qu’à cause de son activisme néo-païen dans le Mouvement de la foi allemande qui en faisait un ennemi des Chrétiens allemands soutenus par le national-socialisme et de leur idée de « christianisme positif ».
Né en 1869 dans une famille comtale du Schleswig-Holstein dont la généalogie remonte jusqu’au XIIIe siècle, Ernst zu Reventlow rejoint la marine de guerre allemande à 19 ans. Dix ans plus tard, il a atteint le grade de lieutenant-capitaine. Mais son amour pour une aristocrate française, Blanche d’Allemont, et son souhait de l’épouser l’obligent peu après à démissionner de ses fonctions.
Notre homme, après une expérience décevante de colon en Amérique latine, va alors consacrer le reste de sa vie au journalisme, à l’écriture et à la politique.
Comme journaliste et écrivain, il sera particulièrement prolifique. Son biographe Horst Boog lui attribue soixante ouvrages, parfois très volumineux (plusieurs furent traduits en anglais), sept mille articles publiés dans les grands titres de la presse nationale allemande et cinq cents de plus dans des organes politiques militants dont dans son propre hebdomadaire Der Reichswart qu’il fonde au lendemain de la première guerre mondiale.
Dans le champ politique, Reventlow s’engage dès le tournant du siècle dans la mouvance völkisch d’abord au Deutschsoziale Partei pour lequel il est vainement candidat à la députation en 1907 et 1912, puis Deutschnationale Volkspartei à partir de 1918. Mais la modération de celui-ci ne lui sied pas et il contribue en son sein à la scission qui donne naissance en décembre 1922 au Deutschvölkische Freiheitspartei qui accueillera, après la dissolution du NSDAP, les nationaux-socialistes privés de parti. Durant la crise liée à l’occupation de la Ruhr, Reventlow prend langue avec Karl Radek et se déclare favorable à une alliance des nationalistes et des communistes, ce qui est salué par le quotidien de ces dernier Die Rote Fahne qui publie plusieurs articles de lui. Il en gardera un pli révolutionnaire et ouvriériste. Élu député du Deutschvölkische Freiheitspartei, il y est le principal représentant d’un courant social-révolutionnaire qui défend un programme adapté aux ouvriers et réclame la participation des salariés aux conseils d’administration et aux bénéfices des entreprises. N’ayant pas réussi à imposer ces idées au sein du parti, il se heurte rapidement à ses collègues qu’il estime trop peu radicaux et, ayant rompu avec eux, il rejoint le groupe parlementaire du NSDAP reconstitué en 1927. Il en sera député, sans discontinuité, jusqu’à son décès. Au sein du parti nazi, il est proche, jusqu’à son assassinat, de Gregor Strasser et des courants « de gauche » de la SA, ce qui entraîne sa marginalisation et explique qu’il n’occupa jamais aucun poste officiel après 1933. Joseph Neville, un autre de ses biographes, note ainsi : « Par sa personnalité, il fait figure d’outsider, un rôle qu’il affectionnait pendant la période de Weimar et qu’il était bien déterminé à poursuivre même sous le Troisième Reich. » Reventlow lui-même, relate Ersnt Niekisch, « avait conscience d’être étranger à son parti, d’être constamment sous surveillance et qu’on ne lui permettait aucun écart politique. »
Mais la politique ne recouvre pas la totalité de l’engagement d’Ernst Reventlow. Dès 1913, il confie à Artur Dinter que le « journalisme est une profession qui me répugne. J’éprouve beaucoup plus d’intérêt pour le domaine religieux que pour la politique. » À ce titre, il est partie prenante du courant völkisch qui souhaite, pour enrayer le « crépuscule des Aryens » établir ou rétablir une religion allemande. Le but ultime étant de créer un État allemand doté d’une religion germanique, soit un christianisme déjudaïsé comme en font la promotion Dinter ou les Chrétiens allemands, soit une résurgence des fois païennes natives. Reventlow choisit quant à lui la seconde solution.
Ainsi, il signe, en juillet 1933, avec, entre autres, Ludwig Fahrenkrog et Herman Wirth, l’appel « aux hommes d’un mouvement de foi germanique-allemande » rédigé par Jakob Wilhelm Hauer afin de rassembler en une seule structure toutes les organisations néopaïennes germaniques existantes. Une structure fédérale est alors créée : l’Arbeitsgemeinschaft der Deutschen Glaubensbewegung. Reventlow est membre de son conseil de direction où il côtoie Hans F. K. Günther, Herman Wirth, Ludwig Fahrenkrog et Johann von Leers. En mai 1935, la plupart des groupes membre de la fédération se dissolvent pour fonder une structure unifiée : le Deutsche Glaubensbewegung dont Reventlow devient le vice-président.
Cette initiative rencontre un certain écho. En avril 1935, l’Arbeitsgemeinschaft der Deutschen Glaubensbewegung réunit 18 000 de ses partisans au Sportpalast de Berlin. Dans le même temps de nombreuses polémiques opposent les tenants de la foi allemande au Chrétiens allemands.
Souhaitant mettre un peu d’ordre dans tout cela et intégrer le mouvement dans son orbite, Heinrich Himmler suscite au sein du Deutsche Glaubensbewegung une fraction qui lui est acquise et qui fait pression sur sa direction. Ceci entraîne la démission de Hauer en juillet 1935 et celle de Reventlow en mars 1936.
Marginalisé et réduit au quasi silence dans le champ politique, le vieux combattant l’est aussi maintenant dans le champ religieux. Peut-être a-t-il alors le temps de penser à son passé et à l’autre païenne de sa fratrie : Fanny zu Reventlow, décédée en 1918, muse du cercle révolutionnaire conservateur des Cosmiques et considérée de son vivant comme une « madone païenne» et « la renaissance des anciens hétaires » ? Il est incontestable que le frère et la sœur avaient beaucoup en commun, dont une détestation certaine de la modernité et de ses représentants !