Ceux qui apprécient le folklore politico-religieux et qui cherchent une destination pour leurs vacances estivales seront bien inspirés de se rendre en Irlande du Nord durant les premières semaines de juillet. C’est en effet la période de la marching season qui culmine le 12 par la célébration des victoires des troupes protestantes de Guillaume d’Orange sur les catholiques partisans des Stuart lors des batailles de La Boyne et d’Aughrim (en juillet 1690 et 1691). Ces défilés bien ordonnés d’hommes en chapeau melons et sautoirs maçonniques, précédés de porte-bannières et de fanfares sont la manifestation la plus visible de ce qui fait la spécificité des Irlandais du Nord non catholiques : l’enracinement dans la foi protestante et la fidélité au Royaume Uni.
Tout a commencé, il y a plus de trois cents ans, quand Jacques II Stuart, roi catholique d’Angleterre, voulut rétablir ses coreligionnaires dans leurs droits religieux. Il se heurta au Parlement majoritairement protestant qui le déposa et offrit le trône à Guillaume d’Orange. Celui-ci envahit l’Angleterre en 1688 et en chassa le roi légitime. Cependant, la résistance des partisans de Jacques II, s’organisa en Irlande et il fallut trois années de guerre pour que les armées protestantes orangistes triomphent des troupes catholiques jacobites.
Malgré le traité de Limerick qui mit fin au conflit, la situation resta insurrectionnelle en Irlande durant tout le XVIIème siècle et, à partir de 1790, les protestants natifs ou colons durent s’organiser en milices pour résister aux assauts de bandes d’insurgés catholiques – les Defenders – qui incendiaient de nuit leurs fermes et leur demeures.
Quand, en juin 1794, des propriétés protestantes furent attaquées dans le comté de Tyrone, un franc-maçon, James Wilson, demanda à ses « frères » de mettre en place un groupe d’auto-défense. Comme ils refusèrent, il quitta sa loge et la maçonnerie en déclarant qu’il allait « allumer les feux d’une loge qui éclipserait les leurs à jamais. » De fait, l’année suivante, il créa l’Ordre d’Orange qui adopta une structure para-maçonnique en loges et degrés et reprit à son compte tant le vocabulaire maçonnique que ses regalia.
Lors de l’insurrection irlandaise de 1798, l’Ordre d’Orange apporta un soutien efficace aux troupes britanniques, en contrepartie il fut favorisé par certains membres de l’armée et de l’administration anglaise, tandis que des loges orangiste s’ouvraient en Angleterre et aux USA (1). L’Ordre apparut alors comme une société secrète réactionnaire et contre-révolutionnaire qui soutenait les Tories et s’opposait aux Libéraux. Mais les affrontements continuels de ses membres avec ceux de la société secrète catholique des Ribbonmen, firent qu’il finit par être considéré comme un danger pour l’ordre public et un obstacle à l’établissement à la paix civile en Irlande. De ce fait, le gouvernement britannique interdit l’Ordre d’Orange de 1823 à 1845. Cela n’empêcha pas ses membres d’organiser chaque année leurs parades du 12 juillet qui dégénéraient inévitablement en émeutes d’une rare violence, ainis en 1836, à Scarva, pour ramener le calme il fallut faire intervenir l’armée qui tira au canon sur les émeutiers !, en 1849, à Castlewellan, douze catholiques furent tués durant le déroulement de la marche, etc. Toutefois, l’orangisme déclinait et était en voie de disparition, quand il fut réveillé par l’agitation nationaliste irlandaise qui reprit de la vigueur à partir de 1870. Les orangistes, alliés aux conservateurs, s’opposèrent alors au Home Rule et lors de la guerre d’indépendance irlandaise nombre d’entre eux s’engagèrent comme auxiliaires des troupes britanniques.
L’indépendance de l’Irlande acquise en 1922, fut, pour les protestants autochtones, une victoire catholique qui entraîna leur exil vers l’Ulster. L’Ordre d’Orange, auquel adhérait 20 % de la population adulte masculine, y fit, durant près de quarante ans, la pluie et le beau temps au parlement de Belfast, comme les frères trois-points en France sous la Troisième république.
Paradoxalement, l’agitation catholique et irrédentiste irlandaise en Ulster, qui y débuta au lendemain de 1968, ne profita pas à l’Ordre qui ne cessa de décliner. Ce furent des organisations plus radicales comme l’Ulster Defence Association, l’Ulster Volunteer Force ou le Parti unioniste du pasteur Ian Paisley qui prirent alors le pas sur lui. Cependant, l’Ordre d’Orange n’a jamais cessé d’organiser ses marches sectaires et folkloriques qui sont restées sources nombreux affrontements sanglants obligeant chaque 12 juillet de 1970 à 2005, l’armée britannique à être déployée à Belfast pour aider la police à maintenir l’ordre. En 2006, l’absence à cette date de soldats sur le pied de guerre dans les rues fut considéré comme un symbole fort de l’apaisement de la vie politique en Ulster.
Traditionnellement, la mouvance nationale française a toujours soutenu avec sympathie la lutte des catholiques irlandais et totalement ignoré la résistance des protestants loyalistes. Il s’est cependant trouvé un homme de droite, Jean Mabire, pour aller à contre-courant de cette inclinaison romantique, pour comparer les orangistes à nos Pieds-Noirs et à notre OAS et pour écrire dans le numéro 6 de la revue Terre et peuple : « Accepter la séparation de l’Ulster est un geste raisonnable, lucide même. Il y a un fait ulstérien qui remonte au XVIIème siècle – cela fait quand même plus de temps que la présence des Français en Algérie. Il faut aussi savoir que les protestants loyalistes à la Couronne sont majoritaires dans cet Ulster. Le Sinn Fein, dans de récentes élections libres n’a obtenu que 15 % des voix. C’est peu pour revendiquer la légitimité. (…) Je suis totalement pour l’insurrection de 1916 à Dublin, comme je suis pour la résistance acharnée d’hommes comme le pasteur Paisley à Belfast à l’heure actuelle. Dans le Nord, je me sens personnellement plus proche de l’Ordre d’Orange que des Sinn Feiners. Et ce n’est pas l’hostilité envers les orangistes de l’immense majorité des médias qui me fera changer d’avis. Bien au contraire ».
Note :
1 – Certains historiens pensent que l’Ordre d’Orange servit de modèle aux fondateurs des sociétés secrètes américaines nativistes et protestantes les Know nothing et le Ku Klux Klan.