9 mai, Il n’y a pas eu une année sans que des militants, de génération en génération, organisent une commémoration pour Sébastien Deyzieu, quel que soit le contexte répressif

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Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs et retracer votre parcours politique?

Frédéric Châtillon : Mon histoire française débute en 1984. Auparavant, je vivais en Afrique, d’abord au Maroc puis, les dernières années, en Côte d’Ivoire. J’ai été élevé dans une certaine fascination de la Bretagne et de la France, d’autant plus que je n’y avais pratiquement pas vécu. C’est un peu le syndrome des expatriés qui fantasment leur pays (je ne parle évidemment pas du macroniste new-yorkais). Pour les lecteurs de Breizh-Info, mon attachement charnel à la Bretagne vient de ma mère (finistérienne) qui fut militante dans sa jeunesse au MOB (Mouvement pour l’organisation de la Bretagne), la Bretagne était sa première patrie. Mon environnement politique ne me prédisposait pas à devenir militant nationaliste révolutionnaire, mes parents étaient plutôt de droite modérée avec un penchant très anti-gaulliste, je crois que mon père fut un temps giscardien (!).

Je suis donc arrivé à 16 ans en France pour intégrer le Prytanée militaire de la Flèche. L’ambiance y était plutôt «bien pensante» et c’est logiquement que j’ai voté pour la première fois Front national en 1986 à l’occasion des élections législatives, je venais d’avoir 18 ans. Je suis ensuite parti à Paris pour poursuivre mes études. J’ai commencé par un DUT avenue de Versailles et c’est là que j’ai été recruté par l’UNI dont le siège était à 150 mètres de l’IUT. Parallèlement, je commençais à militer au GUD, en passant de nombreuses heures à la cafétéria d’Assas, ce qui entraînera mon exclusion quasi automatique de l’UNI. (C’est l’époque où l’UNI se métamorphosera en mouvement 100 % chiraquien, les trublions nationalistes n’y avaient alors plus leur place, le GUD encore moins!). Après mon DUT j’ai poursuivi mes études à Paris V Jussieu tout en continuant à militer. C’est au début des années 90 que j’ai pris la direction du mouvement. La chute du mur de Berlin nous a imposé une nouvelle lecture du monde et de ses équilibres, le communisme était mort.

Le GUD devint alors un mouvement très anti-impérialiste avec deux cibles privilégiées : l’impérialisme yankee et l’impérialisme sioniste. C’est dans ce contexte que s’est organisée la manifestation du 7 mai 1994 contre l’impérialisme américain. Il faut rappeler que les États-Unis détenaient déjà en 1994 le triste record du nombre de pays bombardés, du nombre de civils tués, du nombre de pays envahis… depuis 1945! Aujourd’hui les USA sont toujours les champions toutes catégories.

Le 7 Mai 1994, vous faisiez partie, je crois, des organisateurs d’une manifestation visant à dénoncer l’impérialisme américain. Quel était le contexte, la genèse de cette manifestation ?

Frédéric Châtillon : Les relations entre le GUD et les JNR n’étaient pas vraiment au beau fixe. Nous nous sommes donc rencontrés avec Serge Ayoub (le chef des JNR) et avons décidé d’organiser cette manifestation commune pour enterrer la hache de guerre et montrer notre unité. La manifestation avait été déposée en préfecture comme cela devait se faire. Mais, suite à des échanges avec la maréchaussée, nous avons rapidement senti que notre manifestation était sur le point d’être interdite.

Selon la Préfecture, un McDonald’s (entre autres) était présent sur notre parcours et il y avait un risque trop important que celui-ci soit endommagé. Nous avons alors décidé de ne plus dormir chez nous dans les jours qui ont précédé la manifestation afin d’empêcher les flics de nous notifier officiellement une interdiction éventuelle. Nous avions alors plusieurs associations déposées sous le même nom (UDEA – Union et Défense des Etudiants d’Assas) en préfecture ou à la faculté d’Assas. Toute personne membre d’un des bureaux était susceptible de recevoir la visite matinale de la police. C’est donc seulement le jour de la manifestation, en sortant du métro Denfert Rochereau à une centaine, que nous avons compris que nous avions vu juste : la manifestation était bien interdite.

Lorsque nous sommes arrivés à Denfert-Rochereau, la police, après m’avoir notifié l’interdiction, nous a immédiatement encerclés (plus précisément des gardes mobiles bien équipés) pour nous empêcher de défiler et pour dissuader nos militants de se joindre à nous. Des camarades étaient venus des quatre coins de l’Europe, d’Italie, d’Espagne, de Belgique, d’Allemagne… De leur côté les JNR étaient bloqués par les forces de l’ordre à Port Royal. Nous nous étions équipés (comme nous le faisions à chaque fois) en cas de coup de force avec des gauchistes ou des militants sionistes). Et c’est finalement les lignes des bleus que nous avons « chargées » avec nos maigres moyens pour nous désenclaver (et éviter de nous prendre une grosse branlée). Certains d’entre nous ont réussi à fuir mais la plupart ont été rattrapés à quelques centaines de mètres par les flics en civil (dont moi-même).

A l’occasion de cette manifestation interdite, ou plutôt à l’issue de celle-ci, un jeune militant, Sébastien Deyzieu, a perdu la vie. Pouvez-vous revenir sur le déroulement de cette manifestation et sur cette fin, tragique ?

Frédéric Châtillon : Le cas de Sébastien Dezieu est assez différent. Sébastien, alors militant a l’Œuvre française, avait été repéré (sûrement en raison de son apparence) par des flics en civil à plus d’un kilomètre de la place Denfert. Il n’avait commis aucun délit, il était seul et n’avait pas de comportement agressif ou factieux. C’est donc de façon totalement gratuite que deux fonctionnaires zélés l’ont poursuivi jusque dans l’immeuble de la rue des Chartreux. Et c’est ce zèle qui a provoqué la chute et la mort de Sébastien qui essayait juste d’échapper à ses poursuivants. Savait-il seulement à qui il avait à faire ?

Nous vivions sous un gouvernement de droite « dure » (le rêve de Reconquête) avec Charles Pasqua comme Ministre de l’Intérieur et son fidèle Patrick Gaubert (en charge de la coordination de la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie). Au cours de cette période plusieurs de nos militants, par ailleurs très bons étudiants, ont été incarcérés pour de simples bagarres sans conséquence. La persécution était systématique et particulièrement violente. Je crois que mon divorce avec cette droite atlantiste et libérale a été définitif suite à cette séquence.

Quels ont été, dans les heures, dans les jours qui ont suivi, les retentissements de cette mort, y compris politiques ? Pouvez-vous revenir sur l’occupation des locaux de Fun Radio notamment ? Ou sur les déclarations de Charles Pasqua ministre à l’époque ? Pourquoi avoir baptisé ce comité « du 9 mai » et pas du 7 mai ?

Frédéric Châtillon : Lorsque nous avons été embarqués au poste, les policiers savaient déjà que Sébastien était entre la vie et la mort. Ils ne nous diront évidemment rien. Il décédera finalement le 9 mai. Nous ne l’apprendrons qu’en sortant de garde à vue, (je fus le dernier relâché parmi les 113 interpellés). Une fois libres, sonnés par la nouvelle, nous nous sommes réunis entre responsables pour réfléchir à ce que nous pourrions entreprendre pour faire entendre notre colère et donner de l’écho à ce drame. Le Front National a immédiatement manifesté sa solidarité à travers ses nombreux dirigeants de l’époque, en particulier Samuel Maréchal alors dirigeant du FNJ. C’est dans ces circonstances que sera créé le Comité du 9 mai (date de la mort de Sébastien) regroupant le GUD, les JNR et le FNJ. À l’époque l’Œuvre française restera aux abonnés absents, Sébastien était pourtant un de ses militants.

Une marche silencieuse de plus de 2000 personnes fut organisée le 16 mai avec en tête de nombreux élus du FN. Plusieurs opérations coup de poing furent organisées dont l’occupation de Fun Radio. Cette radio FM était très écoutée à l’époque par les adolescents et était située à Neuilly sur Seine dans les Hauts de Seine, département alors dirigé par Charles Pasqua (celui par qui le malheur était arrivé). Après avoir envahi les studios, l’antenne fut prise en direct pendant 30 minutes à une heure de très grande écoute. Nous avons pu à cette occasion raconter aux auditeurs les circonstances de la mort de Sébastien et dire tout le mal que nous pensions de Pasqua. L’opération s’est plutôt bien terminée (six interpellations alors que nous étions une cinquantaine), nous avons réussi à nous enfuir par les toits alors que la police nous attendait devant la porte principale des studios. Les deux abrutis d’animateurs de l’antenne (Doc et Difool) avaient alors raconté (pour donner un peu de piquant à leur histoire) que nous parlions entre nous en allemand !

Avez-vous personnellement encore des contacts avec la famille de Sébastien Deyzieu ? Pouvez-vous nous dire, vous qui l’avez connu, qui était Sébastien Deyzieu ? Et qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui encore, en 2023, que des jeunes militants, venus de tout l’hexagone, mais même aussi d’autres régions d’Europe, se rassemblent, chaque 9 mai pour cet hommage ?

Frédéric Châtillon : En ce qui concerne Sébastien, je ne le connaissais pas mais son visage m’était familier. Il faisait partie de notre grande famille politique et nous nous croisions lors de différents rassemblements. Sa famille n’a jamais souhaité se manifester, ni se joindre à nous. Je crois me souvenir que nous avons eu un contact éphémère avec son père.

Cela fait maintenant presque 30 ans que Sébastien est mort et il n’y a pas eu une année sans que des militants, de génération en génération, organisent une commémoration, quel que soit le contexte répressif. J’ai moi-même participé à de nombreuses commémorations du 9 mai. Je vis maintenant en Italie (pays où la mémoire des militants est particulièrement vivace et célébrée), je n’ai donc plus aussi souvent l’occasion d’y participer. Mes vieux amis y participent (d’ailleurs leur présence ne passe pas inaperçue) et je tiens à rendre hommage et à féliciter ceux qui entretiennent le flambeau. J’espère que les 30 ans de la mort de Sébastien seront un évènement majeur et je compte bien y être présent, je lui dois bien ça !

Propos recueillis par YV pour Breizh Info

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