Pour nos anciens de Troisième voie, Che Guevara était « un fasciste qui s’ignorait ». Pour nous il est toujours un exemple. Mais notre Che n’est pas celui des T-shirts et des posters, ni celui des antifas crasseux, il est tout autre : c’est un homme debout, une figure guerrière, un Prométhée révolutionnaire. C’est celui-ci que nous fait découvrir Gabriele Adinolfi.
Le 8 octobre 1967, tombait dans une embuscade Ernesto Guevara dit le Che.
Blessé au ventre, il fut laissé à l’agonie jusqu’à ce que la mort le prenne dans les premières heures du jour suivant (1).
Depuis Che Guevara est devenu un mythe, une légende et, malheureusement, surtout un produit de merchandising.
Il se retrouve partout : imprimé sur les T-shirts de la bourgeoisie snob, sérigraphié en pin’s, tatoué sur les bras du milliardaire Maradona, imprimé sur les banderoles des groupes de supporter de club de football quand ils se prétendent « de gauche », etc.
Devenu l’emblème d’une transgression formelle, d’une nostalgie sage, il est assassiné chaque jour que Dieu fait par cette bourgeoisie décadente contre la domination de classe de laquelle il avait décidé, lui, comme un lion indompté, de rugir et de mourir
Il a été tué une première fois par la réaction qui armait les militaires boliviens.
Il l’a ensuite été une seconde fois, en devenant la référence d’une jeunesse « progressiste » avec laquelle la révolution du Che, n’a pourtant rien, mais vraiment rien, en commun.
Entre temps, à contre-courant, discrètement, avec délicatesse, chez beaucoup de ceux qui auraient dû le haïr a mûri une passion pour ce condottiere.
Aujourd’hui que les temps sont changés, dans le camp de l’ultra-droite, il est de bon ton de détester viscéralement le guérillero parce que on n’envisage pas de pouvoir faire autrement que de mépriser ce que « les autres » encensent. Si tu me dis a, je dis b, si je dis b, tu diras c… C’est une stupidité diffuse bien que compréhensible.
Pourtant, pour notre génération, pour ceux chez qui les passions étaient de la vie et non pas du virtuel, le Che fit une brèche dans nos coeurs.
Il fit une brèche en inspirant à un des plus pointus et des plus brillants penseur de l’extrême-droite française, Jean Cau, le magnifique livre Une passion pour le Che. Un livre qui fut le préféré et le plus fut relu par Walter Spedicato durant son exil (2). Notre camarade éprouvait d’ailleurs pour le Che une passion qui n’était pas inférieure à celle de Jean Cau.
Il avait fait une brèche immédiatement après son meurtre barbare dans le coeur du très fasciste animateur du cabaret Bagaglino qui produisit alors un 45 tours qui eut vraiment « une double face ».
L’une se composait de Le légionnaire de Lucera (3) et l’autre d’Adieu au Che ! Il était expliqué sur la couverture, la raison qui avait poussée à rendre cet hommage à deux figures ainsi opposées en apparence : leur identité existentielle. Et le texte de la chanson dédiée à Guevara contenait des phrases qui voulaient tout dire : « Les gens comme toi ne crèvent pas dans un lit, ils ne meurent pas de vieillesse… » et encore « Tu n’étais pas comme eux, tu devais mourir seulement, adieu Che ! ».
Le Bagaglino avait saisi la raison réelle, c’est-à-dire l’estime et la sympathie existentielle, qui poussaient tant d’ennemis politiques du Che, animés par le feu de l’idéal, à en être des admirateurs inconditionnels.
Dans les années qui suivirent, la passion hétérodoxe pour le Che fut alimentée par des motivations beaucoup moins valides.
Pour certains, qui éprouvaient un sentiment d’infériorité vis-à-vis de la gauche extrême, qui était alors médiatiquement et militairement dominante, et qui ressentaient une certaine culpabilité pour notre passé diabolisé, le poster du Che représentait une sorte de voie de sortie, une étape esthétiquement acceptable sur la route du reniement.
Pour d’autres, la motivation était toute différente. Pour eux le Che n’était pas communiste parce que sa vie niait le matérialisme en étant l’incarnation d’une éthique guerrière. Or, ils se trompaient parce que le Che était bien communiste.
Il avait combattu et il était mort en communiste, en donnant, certes, au communisme un sens divergent, souvent opposé à celui qu’adoptait l’immense majorité, en l’anoblissant. Cependant, il était communiste, et cela en dépit d’une anecdote qu’on racontait à l’époque en Italie. Le Che, disait-on, quelques semaines avant être capturé avait refusé de donner un interview à un journaliste de L’Unita (le quotidien du PCI). « J’ai trois bonnes raisons pour ne pas vous l’accorder, aurait-il dit, parce que vous êtes journaliste, parce que vous êtes communiste, parce que vous êtes Italien ».
Même si l’anecdote était réelle, il fallait la comprendre autrement qu’il plaisait à certains, à l’époque, de l’entendre.
Le Che dans son combat pour la guerre révolutionnaire, pour l’affirmation titanesque d’une utopie latino-américaine, était en conflit avec les nomenclatures officielles du communisme. Avec celle de Moscou – qui selon certaines versions aurait facilité son élimination – et même avec celle de la Chine, alors alliée objective de la politique étrangère des Etats-Unis.
Les communistes italiens, par tradition, étaient les chiens de garde du régime soviétique et c’était pour cela, probablement, que le Che les détestait.
Il est vrai aussi que le Che n’obtint pas de grands appuis des gauches mondiales quand il décida d’abandonner un tranquille fauteuil ministériel pour aller jouer son destin en Bolivie, en espérant y allumer le feu d’une révolution continentale.
Pour préparer l’entreprise il s’était adressé à de nombreux gouvernants et hommes politiques non alignés, parmi lesquels il y avait nombre d’anciens communistes. Chez eux, il ne trouva aucun soutien alors que ce furent des anticommunistes convaincus qui l’écoutèrent et qui lui apportèrent un peu d’aide. Ainsi firent son compatriote, et adversaire politique, Peron qui se trouvait alors en exil en Espagne, le dictateur espagnol Francisco Franco et le président algérien Boumedienne. Pour le reste le ce fut le vide.
« Tu n’étais pas comme eux, tu devais mourir seulement… ».
Le Bagaglino, animé de la sensibilité particulière des artistes, comprit la véritable raison qui avait fait du Che une figure chère à beaucoup de ses ennemis politiques, à tant d’admirateurs de Mussolini, de Pavolini, de Skorzeny. (attention il y a un saut le ligne erroné)
Son Che allait à la mort pratiquement tout seul, sans aucune autre perspective possible, au nom d’une passion, renonçant à vieillir riche et puissant dans un fauteuil ministériel.
Tout ceci fit pour nous, alors, du Che, un noble guerrier et un exemple. Et pour moi, il est resté tel.
Pour comprendre l’esprit atypique, spartiate, du Che, voici quelques citations de ses paroles ou de ses écrits :
« Il faut être dur sans jamais perdre la tendresse. »
« Le vrai révolutionnaire est guidé un grand sentiment d’amour. »
« La vraie révolution doit commencer à l’intérieur de nous. »
« Le silence est une discussion continuée avec d’autres moyens.»
J’ajouterai à celles-ci, une autre, pour moi particulièrement significative, que je cite de mémoire et qui est plus ou moins ainsi : « La Révolution c’est transposer dans la vie de tous les jours les valeurs de la guérilla. »
Comme vous le voyez l’essentiel est dit.
Peu reste à ajouter, sinon que l’on peut apprécier un communiste décédé sans oublier qu’il l’était.
Nous sommes assez forts pour cela.
Nous l’apprécions parce que dans un monde de somnambules nous aimons ceux qui rêvent !
« Hasta siempre, comandante Che Guevara ».
Gabriele Adinolfi
Notes :
1 – NDLR : Si le Che tomba dans une embuscade le 8 octobre en essayant d’aider son camarde el Chino , il ne fut pas blessé au ventre mais au pied, et il n’agonisa pas mais fut assassiné le lendemain par le sergent Mario Teran d’une rafale de son uzi dans l’école de La Higuéra , il était 13h10. Comme il n’était pas mort , l’agent de la CIA Felix Ramon lui tira une balle dans le coeur.
2 – Walter Spedicato, membre de l’Organisation lutte du peuple puis de Troisième position. Poursuivi par la « justice » italienne, il décéda alors qu’il était exilé en France.
3 – Un chant du répertoire « d’extrême droite » sur un mercenaire parti combattre au Congo.