« L’Union militaire générale russe annonce… que le 21 décembre, un fidèle ami de l’Union… le professeur Ivan Alexandrovitch Ilyine est décédé en Suisse… »
C’est arrivé ; un ami fidèle et de longue date nous a quittés, un ami non seulement de l’Union militaire générale russe, mais aussi un ami indéfectible et talentueux de la Cause Blanche… Un ami depuis le jour où les anciens commandants suprêmes des armées russes, les généraux Alekseiev et Kornilov, ont levé l’étendard de la résistance aux communistes dans le sud de la Russie et ont entamé la Lutte blanche…
De retour à Moscou, Ivan Alexandrovitch Ilyine entra immédiatement en contact avec le général Alekseiev. En 1922, exilé par les bolcheviks avec un groupe de professeurs expulsés de leur patrie, il contacta dès son arrivée à Berlin le représentant du Commandement blanc, le délégué du général Wrangel. J’occupais alors cette fonction. Par mon intermédiaire, le professeur Ilyine entra en contact avec le commandant en chef, pour qui il avait un profond respect. Quelques années plus tard seulement, au château du duc G. N. Leuchtenberg, à Seeon, dans le sud de la Bavière, je présentai Ivan Alexandrovitch au commandant en chef, qu’il vénérait sincèrement et auquel Ivan Alexandrovitch resta fidèle même après la mort du général Wrangel en 1928.
Notre rencontre avec Ivan Alexandrovitch, qui débuta en 1922, se mua en une profonde amitié dont j’ai toujours été fier, et je le reste encore aujourd’hui. Dans les jours de mélancolie qui suivirent sa mort, si clairement et si longuement annoncée par l’Union militaire générale russe (dans le journal Ruskaya Mysl à Paris), je tente de brosser brièvement un portrait du défunt. Je comprends que l’œuvre vibrante et engagée de ce dernier mérite une étude sérieuse et approfondie. Mais je sais aussi qu’un tel article exige une approche large et érudite de sa personnalité. Je ne me sens pas capable de faire cela, surtout si peu de temps après la perte irréparable que nous avons tous subie. Pour l’instant, je voudrais seulement lui consacrer ce court message, ainsi qu’aux bulletins d’information qu’il a créés, inspirés par ses convictions blanches, intitulés « Nos Tâches », dont l’éditeur est actuellement confronté à la tâche impossible de décider s’il faut continuer à publier ces bulletins, et si oui, comment.
En 1945, mon épouse et moi fûmes contraints de quitter Berlin en raison de l’avancée de l’Armée rouge. Le destin nous conduisit tout au sud de l’Allemagne, à Lindau. Là, de sa propre initiative, mon regretté ami me rechercha et, non seulement il me retrouva, mais lui-même, gagnant sa vie à Zurich grâce à son travail littéraire, fit tout son possible pour nous aider – nous avions quitté Berlin avec pour seuls bagages nos valises.
Au cours des années suivantes, grâce à l’aide de Yu. I. Ladyzhensky, qui vivait alors à Genève, et d’amis suisses d’Ivan Alexandrovitch Ilyine, j’ai pu me rendre en Suisse à six reprises, passant à chaque fois plusieurs jours à Zurich et communiquant constamment avec lui ; la dernière fois remonte à exactement un an, et le 15 janvier 1954, je lui ai dit adieu pour la dernière fois avant de retourner à Paris…
L’idée de publier « Nos tâches », lancée le 14 mars 1948, venait de lui personnellement, de même qu’il avait rédigé TOUS les articles parus dans les 215 numéros du bulletin. Les premiers articles étaient très brefs, et parmi les « personnes partageant les mêmes idées » auxquelles ils étaient adressés, on choisissait celles qui possédaient une machine à écrire et pouvaient donc reproduire et diffuser elles-mêmes les écrits d’Ivan Alexandrovitch. Progressivement, grâce en grande partie aux soins d’Ivan Alexandrovitch lui-même, des fonds commencèrent à affluer pour la publication des bulletins (qui étaient toujours envoyés gratuitement), ce qui permit d’augmenter le nombre de numéros, mais ne rendit jamais possible leur publication dans une imprimerie.
En raison des difficultés rencontrées pour obtenir un permis de séjour permanent en Suisse, Ivan Alexandrovitch ne signait pas ses articles dans les bulletins. Mais son style, son érudition exceptionnelle et sa présentation caractéristique révélaient depuis longtemps aux lecteurs russes des bulletins qui en était l’auteur. En 1952, à Bruxelles, lors d’une réunion organisée pour le 80e anniversaire du général Arkhangelski, dans mon discours, en mentionnant ceux qui félicitaient le vénérable héros du jour, j’ai ouvertement nommé pour la première fois I. A. Ilyine comme l’auteur de « Nos tâches ».
Les articles d’Ivan Alexandrovitch, dans leur version originale, m’étaient envoyés à Paris. Après quoi, si nécessaire, ils étaient discutés en partie ou en totalité par correspondance, puis, dans leur version finale, ils étaient envoyés à Bruxelles où, s’ils étaient approuvés par le chef de l’Union militaire générale russe, le général Arkhangelski, ils étaient imprimés et diffusés…
Le nombre de lecteurs « partageant les mêmes idées » des bulletins d’information a augmenté régulièrement, et ces dernières années, les lecteurs ont distingué un certain nombre de personnes qui avaient compris l’importance de ce travail d’Ivan Aleksandrovitch Ilyine, qui cherchaient à se procurer l’intégralité des numéros à partir du premier, et un travail a donc été entrepris pour retrouver les numéros manquants. Les 215 numéros, fruits de l’esprit brillant du défunt, constituent aujourd’hui un recueil tout à fait exceptionnel de pensées, d’images, de concepts et de définitions qui, sans aucun doute, non seulement à l’heure actuelle, mais aussi à l’avenir, serviront de base aux travaux sur la Russie de tous les Russes attachés à leur identité nationale. La question de la publication de tous les numéros sous forme typographique, sous la forme d’un livre, est désormais une préoccupation particulière de la maison d’édition, qui appelle tous ceux qui ont compris et apprécié nos bulletins à collaborer avec elle afin de trouver un moyen de perpétuer ainsi le souvenir de notre regretté professeur et ami.
J’ai dit que dès le début de la Lutte blanche, dès l’instant où le général Alekseiev a « allumé le flambeau » de la lutte dans le sud de la Russie, le professeur Ilyine, qui s’est dévoué sans compter à la Cause Blanche (il signait souvent ses lettres et articles de ce nom), s’est rallié à lui depuis l’autre extrémité de la Russie.
En 1922, lors de mes premières rencontres avec le professeur, j’écoutais avec stupéfaction ses réflexions sur la lutte menée et, hélas, perdue par les Blancs sur les champs de bataille. Avec son intuition sans bornes, il avait compris ce qui avait motivé les Blancs dans ce combat… et, ayant franchi les frontières de l’URSS, d’où les bolcheviks avaient si imprudemment relâché leur ennemi le plus puissant, Ivan Alexandrovitch formula ses pensées sous la forme d’un article, « L’Idée blanche », que j’ai placé « en guise de préface » dans le premier volume du recueil « Le Tout blanc » (« Chroniques de la Lutte blanche »), publié fin 1926 à Berlin. Lors de la discussion sur la manière de poursuivre la publication des bulletins malgré cette perte irremplaçable, il a été suggéré de republier cet article d’I. A. Ilyine dans plusieurs numéros de « Nos tâches ».
Ma brève note s’allonge. Et pourtant, j’ai à peine effleuré ce qu’il représentait, non seulement pour ses partisans « partageant les mêmes idées », les membres de l’Union militaire générale russe, mais aussi pour tous les Russes, notre « vieil et fidèle ami », qui nous a quittés si prématurément ! Pour affirmer cela, et l’affirmer de manière exhaustive et avec autorité, il nous faut une autre plume et, surtout, une perspective qui nous permette d’apprécier sa figure brillante et puissante… il nous faut une approche scientifique, il nous faut du temps pour surmonter le chagrin personnel causé par sa disparition et aborder objectivement l’évaluation de la personnalité de cet homme russe exceptionnel, prédicateur, érudit et penseur. Enfin, il nous faut saluer son héritage littéraire, qui me paraît exceptionnel par sa richesse, car à l’époque où j’ai eu le bonheur de m’entretenir pour la dernière fois avec lui, Ivan Alexandrovitch écrivait fébrilement et avec une énergie inlassable, conscient de sa grave maladie qui l’empêchait déjà depuis longtemps de vivre et de créer – il écrivait sans cesse pour exprimer tout ce que son esprit vif et puissant avait accumulé…
Il est donc difficile d’écrire sa « nécrologie ». Estimant que le meilleur ouvrage en la matière serait sa propre autobiographie, dans laquelle il retrace brièvement son « parcours de vie » et ses « œuvres principales », la maison d’édition « Nashi Zadachi » republie son article « Que faire ? ».
Le nom du regretté professeur Ivan Aleksandrovitch Ilyine, ses pensées, toujours exprimées d’une manière si brillante et si puissante, trouveront assurément leur place dans le futur Panthéon russe…
Nous, ses contemporains, ne pouvons que nous incliner devant la Puissance supérieure qui nous l’a enlevé si tôt !
Que Dieu fasse que la terre de la Suisse libre, qui nous était étrangère et qui l’a accueilli, lui soit paisible, là où cet homme russe exceptionnel, un ami fidèle et sincère du Guerrier Blanc russe, un ami de l’Union militaire générale russe et… mon ami personnel inoubliable, était destiné à trouver la paix !
Paris, le 15 janvier 1955.
Alexei Alexandrovitch von Lamp
président de l’Union générale des combattants russes.
