Ils lisent aussi bien le situationniste Guy Debord qu’Alain De Benoist, rendent hommage aux communards et admirent Hugo Chavez, écoutent du punk rock comme de la musique industrielle, ils sont actifs sur le terrain et pourtant encore peu visibles, mais qui sont ces partisans d’une nouvelle « famille » du paysage politique français? Regroupés sous le vocable de « gauche nationale », de « sociaux patriotes » ou de « gaucho-lepenistes », ils refusent pourtant toute étiquette. Ne se retrouvant pas dans l’extrême droite classique, ils s’affirment fièrement au-delà du clivage droite/gauche. Rencontre avec un objet politique volontairement non identifié.
Une nouvelle génération
Dans les années 80-90, la mouvance nationaliste révolutionnaire avait été une des composantes des plus virulentes et activistes de la jeunesse nationaliste. Son éclatement, après la dissolution d’Unité radicale en 2002 laissaient un vide. Celui-ci fut progressivement rempli par l’émergence d’une nouvelle génération animée par de jeunes néophytes ou de vieux militants, souvent passés d’un extrême à l’autre. En parallèle, de nombreuses personnes issues du mouvement communiste, écœurées par le virage libéral du PCF et par le naufrage de l’extrême gauche, cherchent à trouver dans la Nation un nouvel espace révolutionnaire.
Plus qu’une véritable unité doctrinale ou qu’une structure organisée, c’est une sensibilité commune qui unit cette galaxie d’individus. Un anticapitalisme acharné et un socialisme patriotique revendiqué fondent la démarche de la majorité d’entre eux. La défense du peuple et de la nation est une priorité pour tous. Ainsi les intéressés ne jugent pas appartenir à la « droite », assimilée au libéralisme ou au conservatisme. Ils préfèrent se définir comme « ni de droite, ni de gauche » (même si certains d’entre eux affirment se reconnaître dans une « gauche nationale », par opposition à une ringarde « droite nationale »), pour représenter leur rupture avec les anciens clivages politiques du système.
La méfiance pour les étiquettes est toujours très présente quand on aborde cette tendance : pour ses partisans le refus d’être enfermés dans des classifications politiques est une expression d’une indépendance d’esprit et non d’une confusion intellectuelle. La filiation idéologique de cette « gauche nationale » est donc difficile et complexe à établir. Elle varie même considérablement entre les personnes que l’on regroupe plus ou moins dans cette mouvance. Mais on retrouve dans leur Panthéon les grands ancêtres du « socialisme français » que sont Proudhon, Blanqui ou Sorel, et le souvenir des insurrections populaires qui s’incarne dans la Commune de Paris de 1870. De même, la référence aux sans-culottes et aux soldats de l’an II de la Révolution française revient chez les plus imprégnés de l’idée républicaine héroïque.
Au niveau plus théorique, ils n’hésitent pas à se définir comme marxistes. Les analyses d’auteurs appartenant aux sphères non orthodoxes de ce courant (comme Castoriadis, Luckacs, Debord) alimentent leur réflexion. Les travaux du MAUSS comme de l’essayiste Jean Claude Michéa apportant une actualité à ces bases théoriques.
Parmi les éléments fédérateurs (avec toute une palette de nuances), se trouvent le combat pour une économie affranchie de la dictature du profit, l’ambition de faire naître une société communautaire basée sur l’unité de la nation et le rejet du Nouvel ordre mondial incarné par l’impérialisme américano-sioniste et son corollaire la mondialisation libérale. La sympathie affichée pour la révolution bolivarienne du président vénézuélien Hugo Chavez, les résistances palestinienne et irakienne ne laisse place à aucun doute sur le peu d’amour qu’ils portent aux tenants de la Pax americana.
Ce milieu, où les jeunes sont nombreux, cultive aussi des goûts communs en matière culturelle. En littérature (Vallès, Céline, Orwell, London) comme en musique (avec une forte influence d’Outre Manche avec le punk, le ska, l’electro ou la musique industrielle), on retrouve un même attachement à une « contre-culture prolétarienne ».
Une galaxie qui s’organise
Une des choses les plus paradoxales est que cette sensibilité, par sa nature, peine encore à s’incarner dans une organisation reconnue par ses diverses composantes. Beaucoup de ses partisans préfèrent encore rester autonomes et garder leur indépendance par rapport aux grandes structures. Mais tous se reconnaissent dans la personnalité de l’écrivain sociologue Alain Soral. Depuis son engagement aux côtés du Front national comme conseiller de Jean-Marie Le Pen, ce marxiste atypique est parvenu à fédérer autour de lui un noyau de sympathisants actifs. Avec le lancement de son association, Égalité et réconciliation, il veut mettre en place un réseau d’initiatives pour donner les moyens à cette tendance de peser sur l’avenir de notre pays.
Ce texte a été publié par l’hebdomadaire Rivarol durant l’été 2007.