Ce texte est important car c’est sans doute le dernier que Georges Valois écrivit avant de quitter l’Action française pour fonder le Faisceau, le premier parti fasciste français.
On retrouve dans La Révolution nationale tous les thèmes que Georges Valois développera par la suite dans les colonnes du Nouveau siècle.
I
La France est aujourd’hui dans une situation révolutionnaire, par suite de la défaillance de l’État qui s’est révélé totalement incapable d’imaginer et d’appliquer les solutions à tous les problèmes nés de la guerre.
Nous sommes, à vrai dire, dès maintenant entrés dans la révolution. Mais quelle révolution est en cours ? Et quelle position prendront les patriotes dans ce mouvement ? Notre réponse est que la révolution en cours est la révolution nationale, et ce sont les patriotes qui l’accomplissent et qui la mèneront jusqu’au bout.
La révolution nationale, c’est le mouvement par lequel, au 2 août 1914, toutes les institutions parlementaires, bourgeoises, libérales, démocratiques sont brusquement renversées et remplacées par ce que Maurras a nommé la monarchie de la guerre. Et c’est l’installation au pouvoir de l’esprit héroïque, de l’esprit du combattant, qui se subordonne l’esprit bourgeois, c’est-à-dire l’esprit mercantile et juridique.
C’est cet esprit héroïque, qui fait passer le marchand après le combattant, qui nous assure la victoire des armes. Mais, au 11 novembre, l’esprit héroïque perd le pouvoir. Et sous le nom national, c’est l’esprit bourgeois, mercantile et parlementaire, qui reprend les affaires en mains, et qui perd la victoire gagnée par les combattants. Le combattant avait fait la victoire- avec l’épée ; l’esprit mercantile veut faire la paix au nom d’un droit séparé de l’épée, et au nom des affaires et des intérêts dits économiques. C’est ainsi que la victoire, abandonnée, nous abandonne. L’esprit de la victoire n’anime plus la politique française. Cela est si net que l’on ne commémore la victoire que par des monuments aux morts, conçus comme des monuments de deuil et non comme des monuments de gloire. De 1919 à 1924, les gouvernements français ont eu honte de la victoire. Ils ont conçu la guerre comme un procès, et ils ont voulu faire payer l’Allemagne au nom du droit, et non pas au nom de la victoire. C’est l’esprit bourgeois qui s’exprimait par là.
A la fin de 1918, cet esprit a fait une contre-révolution masquée ; la contre-révolution s’est développée de 1918 à 1924 ; elle a abouti tout naturellement aux élections du 11 mai.
Les patriotes reprennent aujourd’hui la révolution du 2 août 1914, interrompue pendant cinq ans. Ils ont pris conscience du caractère révolutionnaire du mouvement qui est le leur ; ils se rendent compte qu’ils ont à accomplir une révolution totale, par laquelle ils détruiront l’État libéral et ses institutions politiques, économiques et sociales. Il ne s’agit pas de réformes, mais de révolution, dont l’objet est de fonder, au-dessus des partis et des classes, un Etat national dont l’âme sera l’esprit héroïque.
II
Le gouvernement du Bloc national, c’était la contre-révolution masquée sous le langage du combattant. Le gouvernement du Bloc des gauches, c’est la contre-révolution démasquée. Masquée ou démasquée, la contre-révolution échoue dans ses entreprises. Elle est incapable de tenir l’État et de gouverner le pays. Le Bloc national avait amené le pays aux bords de la faillite, évitée au dernier moment par un acte dictatorial ; le Bloc des gauches prépare la banqueroute. Bilan des deux blocs : ruine financière de l’État ; aucun paiement de l’Allemagne ; les frais de la guerre, des réparations et des pensions à la charge de la France ; aucune réorganisation politique, économique et sociale ; ruine des petits épargnants par la baisse du franc. En résumé, faillite générale.
Mais qui fait faillite ? Est-ce l’État français .? Non : c’est la bourgeoisie qui le tient, sous le nom conservateur, libéral ou radical. Il faut le dire nettement : la bourgeoisie s’est révélée impuissante, en France comme dans toute l’Europe, au gouvernement des États et des peuples. Ceci vaut quelques explications.
Il ne s’agit pas de nier les vertus bourgeoises. Ces vertus sont grandes ; elles sont indispensables à la vie d’une nation. Lorsqu’elles sont à leur place, c’est-à-dire dans la vie municipale et corporative, économique et sociale du pays, elles sont le grand moyen de l’épargne de toute la nation, et elles assurent la prospérité matérielle des maisons privées. Mais elles ne sont pas à leur place à la tête de l’État, ce qui s’explique historiquement.
Qu’est-ce que le bourgeois ? C’est, originairement, l’homme qui, au temps de la reconstruction française du Xème siècle, a reformé, dans les bourgs et les bastides, les marchés, les lieux de l’échange, sous la protection du combattant qui tenait les châteaux-forts et chassait les brigands sur les routes. Le bourgeois a vécu à l’intérieur de ses murs, où il faisait ses affaires, pendant que le combattant assurait la paix ; le bourgeois n’assurait guère que la défense de ses murs ; il n’a eu qu’un rôle militaire passif. Dans ses bourgs et ses bastides, s’est ainsi développé l’esprit mercantile et juridique, et l’idée de la passivité dans la vie militaire. Pour cet esprit, le droit, c’est un contrat, tandis que le droit, pour le combattant, naît dans le choc des épées. La loi bourgeoise a été celle de l’argent, tandis que la loi du combattant était celle de l’héroïsme.
Mais lorsque la paix royale fut faite, l’esprit bourgeois, constatant qu’il était le grand créateur des richesses, ce qui est vrai, a perdu de vue que la paix n’était pas son oeuvre, et il a voulu organiser le royaume sur le plan de ses républiques bourgeoises qu’étaient ses bastides et ses bourgs. C’est ce qui a produit Étienne Marcel. Devant le désastre qui en est résulté, il s’est rejeté vers le Prince : alors il a consenti à servir, et il a produit Colbert. Ainsi lorsque l’esprit bourgeois veut commander dans l’État, c’est Étienne Marcel ; lorsqu’il sert, c’est Colbert. Toute la difficulté actuelle vient de ce que l’esprit bourgeois commande dans l’État.
Au surplus, si l’esprit bourgeois règne, il ne peut gouverner ; il est obligé de laisser exercer le pouvoir par les politiciens et par une ploutocratie peu nombreuse mais forte. Ce qui aggrave le mal. La ploutocratie veut résoudre tous les problèmes, intérieurs et extérieurs, selon la loi des affaires. C’est précisément ce qui est impossible.
III
Car cela produit une fausse conception de la paix.
L’esprit bourgeois dit : « Travaillons, faisons des affaires, devenons riches, enchevêtrons les intérêts des divers peuples et nous aurons la paix ». La paix pour lui est un résultat de ce qu’il appelle la solidarité économique. Et c’est pourquoi il veut la première place.
Le combattant dit, selon la raison et l’expérience : « Je fonde la paix par l’épée, et, la paix demeurant protégée par l’épée, les peuples pourront travailler ». Pour que les peuples travaillent, il faut donc que l’esprit du combattant, l’esprit héroïque, soit à la tête de l’État.
C’est le combattant qui a raison. La prospérité est le résultat et non la cause de la paix. La paix est l’œuvre du combattant. C’est pourquoi l’État, qui est le mainteneur de la paix, doit reposer sur les vertus héroïques.
L’histoire confirme cette vue de l’esprit. Particulièrement en Europe. Le grand fait qui domine l’histoire européenne, c’est que, les terres européennes étant de fertilité extrêmement inégale, il y a un mouvement constant du Nord et de l’Est, où la vie est rude, vers le Midi où la vie est plus douce et exige un effort de travail moins grand. Les peuples du Nord et de l’Est ont toujours pressé les peuples du Midi pour prendre leur place, aux bords de la Méditerranée, qui peut être regardée comme le lac sacré de la civilisation. Si les peuples du Midi laissent tomber leurs armes, ils sont inéluctablement pillés et massacrés par les peuples du Nord, qui sont invinciblement attirés par les pays du soleil.
Ce sera la gloire éternelle de Rome que d’avoir compris cette grande loi historique de l’Europe. Rome a compris que, occupant un pays privilégié, il lui fallait le défendre, et le défendre activement. en reportant toujours plus au nord les limites de la civilisation. La lance du Barbare était tournée vers Rome. Rome la retourna vers le Barbare. Le guerrier barbare est dévastateur Le soldat romain fut pacificateur et constructeur. Ainsi fut fondée la Paix romaine, qui demeure une des plus grandes oeuvres que le monde ait connues. C’est sous la protection des légionnaires, des combattants, que les peuples connurent la paix, la prospérité, la solidarité. C’est la grande création des vertus la Rome héroïque. L’œuvre s’écroula lorsque Rome fut corrompue par l’argent, et l’Europe fut saccagée pendant des siècles. Il a fallu plus de dix siècles pour rendre à l’Europe le sens romain de sa mission. L’esprit mercantile est incapable de le retrouver. Maître des États comme il l’est actuellement il rouvrirait l’Europe à la Barbarie, qui est toujours prête s’élancer au pillage du monde romain.
IV
Il faut donc rendre à l’esprit héroïque l’État et le gouvernement. C’est l’objet de la révolution nationale, qui sera celle combattant. C’est par là que la France rentrera dans la grandeur et la prospérité. Le problème pratique est donc de retirer à la bourgeoisie un pouvoir politique qu’elle est d’ailleurs incapable d’exercer, par position, de la rendre à sa fonction d’organisatrice du travail, des échanges, de l’épargne et de l’administration corporative et locale : ce sera d’ailleurs le salut de la bourgeoisie, car c’est par là qu’elle retrouvera sa grandeur propre.
Il faut renverser l’État libéral, parlementaire et bourgeois et dresser l’État national. L’État national, c’est un chef, chef d’une famille, qui devient le chef des chefs de famille. Auprès de lui, l’élite qu’il appelle au gouvernement du pays et qu’il recrute surtout parmi les combattants, et chez tous ceux qui ont le sens de la grandeur. Devant lui, pour représenter le pays l’Assemblée non politique des chefs de famille, des régions et des corporations. A tous, le Chef, le Prince impose le respect de l’intérêt national ; il refait l’alliance du Prince et du Peuple pour maintenir les grands dans la loi nationale.
La révolution nationale accomplit ensuite son oeuvre totale : elle fait de la Famille la cellule de la nation ; elle organise les corporations ; elle recrée une monnaie saine, l’instrument de mesure de toutes les valeurs ; elle fait cesser l’anarchie économique ; de concert avec les groupements ouvriers, elle donne à la vie ouvrière la sécurité et la stabilité qui lui manquent. Elle fait la chasse à la misère, à la laideur, à la médiocrité. Elle organise la prospérité, la beauté, l’ascension des meilleurs qu’elle va chercher aussi bien parmi les grands que parmi les gardiens de bestiaux. Elle coalise tous les efforts pour la grandeur.
V
Ce sont les combattants qui seront les grands artisans de la révolution nationale. Avec eux seront les patriotes. Et, vraisemblablement, d’autres hommes qui paraissent loin de la patrie aujourd’hui. Parmi les communistes, il y a beaucoup d’hommes qui ne sont communistes que parce qu’ils n’avaient pas trouvé de solution au problème bourgeois. La solution communiste, qui consiste à supprimer les bourgeois, est absurde, et inspirée d’ailleurs par un résidu d’idées bourgeoises. La solution, ce n’est pas la suppression, c’est l’utilisation du bourgeois. Il faut que l’État national, placé au-dessus des classes, oblige les bourgeois à travailler plus et mieux qu’ils ne le font, mais à leur place. Quand cette solution apparaît, le communiste est en état de changer ses conclusions, s’il n’a pas l’intelligence totalement fermée. Alors, il s’aperçoit qu’il n’est rien d’autre qu’un fasciste qui s’ignore.
Il y a une chose remarquable : fascisme et communisme viennent d’un même mouvement. C’est une même réaction contre la démocratie et la ploutocratie. Mais le communisme moscovite veut la révolution internationale parce qu’il veut ouvrir les portes de l’Europe à ses guerriers, qui sont le noyau des invasions toujours prêtes à partir pour les rivages de la Méditerranée.
Le fasciste latin veut la révolution nationale, parce qu’il est obligé de vivre sur le pays et, par conséquent, d’organiser le travail sous le commandement de sa loi nationale.
La révolution internationale rendrait l’Europe à la guerre et à la Barbarie. La révolution nationale sera la mère de la paix et de la prospérité. Lorsque l’esprit héroïque commandera de nouveau dans l’État, la France pourra accomplir la mission qu’elle tient de la victoire du combattant : elle sera la grande protectrice de la paix, c’est la charge que lui impose la victoire. Alors, sous son inspiration, les peuples formeront le faisceau romain, le faisceau de la chrétienté, qui refoulera la Barbarie en Asie ; il y aura de nouveau une grande fraternité européenne, une grande paix romaine et franque, et l’Europe pourra entrer dans le grand siècle européen qu’ont annoncé les combattants, et dont les premières paroles ont été celles que Maurras a prononcées au début a ce siècle, lorsque, par l’Enquête sur la Monarchie, il rendit à l’Esprit ses disciplines classiques.