Le tour du monde de la radicalité 2 – La situation du nationalisme-révolutionnaire au Brésil

nr poster 01 724x1024

Le Brésil. Plages, football, carnaval et joiles femmes. Y a-t-il de la place dans ce prétendu « paradis tropical » pour une lutte nationaliste révolutionnaire ? Y aurait-il même besoin d’une organisation dotée d’un esprit national-révolutionnaire ?

Le besoin est donné par les conditions objectives. Au cours des 30 dernières années, le Brésil a été témoin de vagues de privatisation, d’une concentration accrue des revenus, d’une pasteurisation culturelle américano-centrée, d’une perte de souveraineté et d’un assaut libéral-libertaire important sur les médias, les universités et les institutions.

Dans ce contexte, la période 2010-2012 a été marquée par quatre phénomènes pertinents pour comprendre la construction d’une lignée nationaliste révolutionnaire brésilienne : la création du blog Legio Victrix, la réalisation des Rencontres évoliennes, la visite d’Alexandre Douguine et la création d’Editora Austral.

Le blog Legio Victrix, toujours actif, a été créé pour répondre à un besoin idéologique brésilien : offrir des textes politiques « hétérodoxes » et « hérétiques » inaccessibles en portugais. Le blog s’est spécialisé dans la révolution conservatrice, la quatrième théorie politique, le traditionalisme évolien, le national-bolchevisme, la mystique politique et les courants les plus « gauchistes » de la troisième théorie politique.

Même s’il ne s’agissait que d’un blog, le projet ne peut être sous-estimé, non seulement en raison du nombre d’articles rassemblés et de sa durée de vie de 13 ans, mais aussi parce que le blog a pratiquement servi de « formation idéologique » à de nombreuses personnes qui allaient devenir des militants dans des projets nationaux-révolutionnaires au cours des années suivantes.

Les Rencontres évoliennes ont également été pertinentes en tant que facteurs de formation idéologique. Organisées annuellement entre 2010 et 2014, il s’agissait de cycles de conférences et de débats autour du thème du traditionalisme, mais pas seulement. Dans le cadre de ces événements, le Brésil a reçu d’importants visiteurs internationaux tels qu’Alexandre Douguine et Alain Soral.

L’influence des évoliens est pertinente dans un contexte organisationnel parce qu’elle a rassemblé au même endroit certaines des personnes qui allaient plus tard collaborer au développement du nationalisme révolutionnaire au Brésil. Et aussi parce qu’une caractéristique spécifique de la pensée nationale-révolutionnaire au Brésil est son attachement traditionaliste, mais à un Evola lu à travers les yeux radicaux d’Alexandre Douguine et de Franco Freda, c’est-à-dire via des notions telles que celle d’un « communisme platonique » ou d’un « communisme aristocratique ».

La première visite d’Alexandre Douguine au Brésil est également liée à l’émergence d’Editora Austral, qui a publié pour la première fois en portugais A Quarta Teoria Política, du philosophe russe, ainsi que Geopolítica do Mundo Multipolar et Imperialismo Pagão, d’Evola. Ce lien direct a contribué à faire de certains personnages impliqués dans tous ces processus (dont, bien sûr, le présent auteur) des représentants de la pensée douguinienne au Brésil.

La deuxième visite de Douguine, en revanche, s’inscrit déjà dans une phase ultérieure, 2013-2014, marquée par la crise ukrainienne et l’intensification de la crise syrienne.

Douguine a d’abord contribué à la fondation du Front brésilien de solidarité avec la Syrie et, pendant le Maïdan, du Front brésilien de solidarité avec l’Ukraine, qui est devenu à cette époque la principale source d’information alternative au Brésil sur ce conflit.

Au cours de cette période, divers jeunes d’orientation anti-impérialiste, socialiste non marxiste, de « gauche » traditionaliste, nationale-bolchévique, post-fasciste, etc. ont commencé à se rassembler dans les médias virtuels liés à ces projets (et à la Legio Victrix, toujours active). Ainsi, lors de la Rencontre évolienne de 2014 (la dernière en date), nous avons reçu Alexandre Douguine (et Soral) et, en plus des conférences et autres activités, nous avons pu discuter de la situation dans le Donbass et de la possibilité d’aider à la cause anti-impérialiste.

Une fois que le pont avec Douguine a été établi en personne, les Brésiliens ont commencé à apparaître dans le Donbass, à lutter pour la cause des peuples et pour la multipolarité.

Toutes ces activités ont abouti à la décision, en janvier 2015, de fonder l’organisation Nouvelle Résistance. Inspirée par l’expérience française du même nom, la décision de fonder une nouvelle organisation politique découle du fait qu’il n’y avait pas de mouvement politique brésilien dédié à la Quatrième théorie politique et qu’il n’y avait pas non plus d’autre organisation politique proche du nationalisme-révolutionnaire.

Tout l’effort de Nouvelle Résistance est orienté vers la réflexion sur une Quatrième Voie brésilienne. Il ne s’agit pas de transposer la pensée douguinienne en portugais, puisque la Quatrième Théorie Politique consiste en une structure philosophique métapolitique, mais de retrouver, à l’aide de la tradition politique brésilienne elle-même, les germes perdus d’un dépassement non fasciste et non communiste du libéralisme.

En ce sens, la Nouvelle Résistance se concentre particulièrement sur le travaillisme, l’idéologie politique fondée par Getúlio Vargas, président du Brésil de 1930 à 1945, puis de 1951 à 1954.

Le travaillisme est une idéologie politique complexe, profondément enracinée dans le socialisme de Saint-Simon et la doctrine sociale de l’Église catholique, ainsi que dans une variété d’autres sources, telles que le positivisme, le vitalisme, le syndicalisme révolutionnaire, ainsi que des sources historiques et culturelles propres au Brésil, telles que l’attrait mystique du sébastianisme (1).

Nouvelle Résistance considère que le travaillisme est la base idéologique à actualiser et à dépasser grâce à l’apport métapolitique de la Quatrième Théorie Politique et à l’étude de la réalité objective du XXIe siècle, dans ses contradictions et ses questions fondamentales.

Quant au style d’activités, le désert politico-idéologique brésilien a obligé Nouvelle Résistance à assumer la totalité de la praxis : activisme de rue et agit-prop, journalisme indépendant, production théorique et métapolitique, philanthropie, diplomatie parallèle, formation de cadres, édition de livres, militantisme et action électorale, etc. En ce sens, à titre de comparaison pour le public français, Nouvelle Résistance tente d’être à la fois le GRECE, Égalité et réconciliation et l’Alvarium.

Cette multiplicité de tactiques est appliquée directement par Nouvelle Résistance, par des initiatives parallèles mais connectées comme Legio Victrix toujours existante et la maison d’édition Ars Regia (fondée en 2021), ou par l’action stratégique des militants eux-mêmes sous leur propre nom.

Au cours de cette période, Nouvelle Résistance a entièrement ou partiellement absorbé d’autres organisations similaires, telles que Ação Identitária Paulista, Ação Avante et Legião Nacional Trabalhista. Néanmoins, l’organisation a connu trois petites scissions au cours de ses huit années d’existence : le Parti national-bolchevique brésilien (de ligne nationale-communiste), la Résistance du Sud (de ligne séparatiste) et le Front solaire de la patrie (de ligne nationale-libérale), scissions qui n’ont toutefois pas dépassé le statut de groupes d’expression mineure.

Nouvelle Résistance, pour sa part, compte aujourd’hui un peu plus de 300 membres répartis dans la plupart des États du Brésil, ce qui représente en soi une grande difficulté, puisque chaque État brésilien a la taille d’un pays européen entier. Autour d’elle, Nouvelle Résistance tisse un réseau d’alliances et de collaborations avec une myriade d’autres projets ou personnalités du « camp nationaliste » (re)naissant, Nouvelle Résistance s’interprétant comme un « mouvement d’avant-garde » (car national-révolutionnaire) du camp nationaliste dans son ensemble.

Et ce rôle d’avant-garde est démontré par le fait que Nouvelle Résistance, bien que petite, finit par avoir une influence disproportionnée, étant un sujet constant d’attaques et de discussions, entre la droite et la gauche, ce qui aiguise les contradictions fondamentales à l’intérieur de chacun des deux côtés de la politique brésilienne. Un exemple de cette situation est la présence de certains membres de NR au sein du Parti démocratique travailliste (autrefois un parti nationaliste, aujourd’hui un parti social-démocrate), qui donne lieu à une dispute féroce dans laquelle les secteurs libéraux du parti sont radicalement opposés à notre présence en son sein, tandis que les secteurs véritablement souverainistes sont en notre faveur. Notre présence est donc un facteur qui empêche l’accommodement confortable entre libéraux et antilibéraux par une prétendue « fraternité » qu’elle soit de gauche ou de droite. Notre position est claire : les antilibéraux de droite et de gauche doivent rompre avec leurs « frères » libéraux et s’allier.

En ce qui concerne l’organisation elle-même, elle fonctionne avec une double structure administrative : verticale et horizontale. La structure verticale du parti a pour base les sections d’État, au-dessus desquelles se trouve le politburo du mouvement, et au-dessus de celui-ci l’état-major, avec le président au sommet. La structure horizontale est constituée des « groupes de travail », qui sont les secteurs spécialisés du mouvement : traduction, audiovisuel, juridique, trésorerie, réseaux sociaux, philanthropie, femmes, etc. Tous les membres doivent faire partie d’un secteur spécialisé.

Les membres sont divisés en prospects, membres assermentés et officiers. Les prospects sont des membres en « période probatoire », qui dure au moins 6 mois, au cours desquels ils étudient nos idées et s’imprègnent de nos valeurs, tout en prouvant leur loyauté. A la fin des 6 mois, le prospect prête serment de loyauté à l’organisation et devient membre assermenté.

Malgré les petites scissions déjà mentionnées, l’organisation a atteint une longévité bien supérieure à la moyenne des mouvements « dissidents » typiques, ce qui est attribué au modèle unique, qui combine des caractéristiques du modèle du parti léniniste et d’un ordre de chevalerie, ce qui a conduit ses ennemis à considérer Nouvelle Résistance comme une « secte ». Ce style limite la croissance, mais l’accent mis sur la qualité et la loyauté rend l’organisation plus solide et plus efficace.

Nouvelle Résistance est également la seule organisation nationale-révolutionnaire et de quatrième théorie à avoir un élu, un conseiller municipal de la ville de Cuité, dans l’État Paraíba, mais il est prévisible qu’elle aura d’autres élus lors des prochaines élections.

D’une manière générale, telle est la situation actuelle du milieu national-révolutionnaire, de quatrième position, au Brésil. La scène reste petite, et il y a de grandes difficultés géographiques et financières, mais il y a une ouverture évidente de nouvelles clairières de résistance au-delà de la droite et de la gauche (et aussi du nationalisme bourgeois) et une consolidation qualitative des espaces conquis.

En outre, il est important de souligner que le triomphe inévitable de l’Axe de résistance dirigé par la Russie sur la thalassocratie occidentale dans le conflit actuel entraînera la croissance et le renforcement de tous les mouvements (en Amérique, en Europe et ailleurs) alignés sur la cause multipolaire et quatrième positionniste, tout comme le triomphe soviétique lors de la Seconde Guerre mondiale a entraîné la croissance vertigineuse des partis communistes dans le monde entier.

Au Brésil, les nationalistes révolutionnaires préparent le terrain pour ces nouvelles possibilités.

Raphael Machado

Note

1 – Le sébastianisme (Sebastianismo) est un mythe messianique portugais, basé sur la croyance qui consiste à espérer le retour sur le trône du Portugal du jeune roi Sébastien Ier, disparu lors de la bataille des Trois Rois, dont la légende rapporte qu’il ne serait pas mort. Progressivement, l’espoir d’un retour du roi se transforme en mythe de l’homme providentiel, réincarnation du souverain disparu en plein Âge d’or du Portugal, qui doit venir pour permettre à la nation d’accomplir son destin exceptionnel. Le sébastianisme est l’un des éléments de la psychologie collective et de la culture politique du Portugal. Il ressurgit lors de la guerre de Restauration de 1640-1668, pendant la guerre péninsulaire du Portugal, et pendant les troubles politiques qui ponctuent l’histoire de la Première République portugaise. Il favorise à la fois les sursauts patriotiques et les politiques autoritaires visant à rétablir l’ordre. Le sébastianisme est introduit au Brésil au XVIe par les jésuites, notamment par José de Anchieta, mais c’est au XIXe que la croyance au sébastianisme provoque d’importantes agitations messianiques, en particulier dans la région du Nordeste. Celles-ci se manifestèrent par la création de groupes religieux s’appuyant sur les milieux ruraux de condition modeste.

Retour en haut