Inventé par les partisans de la République et de l’Empire pour faire contrepoids à la Terreur de 1793-1794, la Terreur blanche est une dénomination particulièrement malhonnête. En effet, en termes de victimes, si la première fit plus de 40 000 morts dans la France entière, la seconde n’en fit qu’au maximum 500, et ce uniquement dans le Sud de notre pays. Cependant, l’étude de ce moment historique, facilité par la reparution aux éditions Ars magna de La Terreur blanche d’Ernest Daudet (frère d’Alphonse et oncle de Léon), est particulièrement intéressante pour tout ce qu’elle révèle et annonce.
Le peuple occitan se soulève
L’historien André-Jean Tudesq a analysé la Révolution dans le Midi comme une « une promotion bourgeoise et protestante » et attiré l’attention sur l’élite marchande et manufacturière qui a entre ses mains les plus grosses fortunes de l’aire Occitan. Par un effet mécanique, la contre-révolution est le fait des élites anciennes (l’aristocratie) et des classes dominées (petits agriculteurs et ouvriers). Guerre de classe, la Révolution est dans le même temps vécue comme un nouvel épisode des guerres de Religion, tant et si bien qu’en 1791 les catholiques fêtent ostensiblement la saint Barthélemy ! Dans le même temps dans les zones montagneuses, où la guérilla est plus facile à se manifester que dans les plaines, se multiplient les soulèvements et les « Vendées » locales avec leurs héros maintenant bien oubliés : le Grand Chanéac, le Donnat Duny, Claude Brun, l’abbé Pialat, Jean-Louis Solier dit SansPeur, etc.
Le calme revenu avec le Directoire et l’Empire, l’hostilité aristocratico-populaire ne disparaît pas et s’organise dans diverses sociétés secrètes. Dès 1795, apparaissent la Société des amis de l’ordre, la Coterie des fils légitimes (qui assassine en 1797 le maire républicain de Toulouse), la Sociétés des centeniers et dizainiers. L’ensemble fusionne en 1796 en un Institut philanthropique divisé en provinces (Toulouse, Bordeaux, Lyon). Lui succède, en 1810, l’Ordre des chevaliers de la foi qui est au cœur des divers complots, dont le coup d’État de Malet de 1812.
Il y a donc un maillage du territoire qui se maintient avec la Restauration et qui se réactive dès l’annonce du retour de l’île d’Elbe. Si l’armée et l’administration prennent immédiatement le parti de l’Empereur, des volontaires civils affluent soit pour constituer une armée dirigée par le duc d’Angoulême (fils du futur Charles X) qui tente en vain de s’opposer à sa marche vers Paris ; soit pour garder, tout aussi vainement, à la monarchie les principales villes du Sud.
Dès Waterloo, le Sud entre en ébullition. Les Verdets – du nom de la cocarde verte que portent les partisans du comte d’Artois, futur Charles X – soulèvent les campagnes et les villes. C’est le début de la Terreur blanche qui entre Toulouse et Marseille va durer de juin à novembre 1815. Des républicains extrémistes, des bourgeois protestants, des bonapartistes, quelques mamelouks implantés à Marseille et des officiers célèbres comme le général Ramel à Toulouse ou le maréchal Brunet à Avignon, en sont les victimes.
Ultras contre modérés
Deux éléments sont marquants dans la Terreur blanche. Tout d’abord, elle est le fait d’éléments radicaux et populaires, qui ne sont nullement soutenus par le roi Louis XVIII et qui sont même parfois victimes de procès et de prison quand ils ont été trop zélés. D’où une amertume certaine qui se manifeste dans le slogan, courant à l’époque, « Vive le roi, quand même ! » et dans un engouement pour le comte d’Artois, plus radical que son frère. Ensuite, le mouvement des Verdets représente non seulement une réaction royaliste antirépublicaine et antinapoléonienne mais aussi un mouvement méridional anti-parisien.
Tout cela aboutit en juillet 1815, à Toulouse, à l’installation d’un gouvernement composé d’ultras proches du comte d’Artois et opposés à Louis XVIII qui envisage la création d’un Royaume d’Aquitaine. Bien sûr ce gouvernement est dissout le 13 août et la troupe est envoyée dans la ville rose pour réduire à néant les velléités scissionnistes.
Après la Terreur blanche, la Montagne blanche
Si le règne de Charles X de 1824 à 1830 marque le triomphe des ultraroyalistes, ceux-ci se retrouvent dans l’opposition suite à la prise du pouvoir par Louis-Philippe d’Orléans. Réapparaissent alors les sociétés secrètes, la Société des amis de l’ordre, les Chevaliers de la légitimité, les Chevaliers de la fidélité et l’Affiliation catholique, tandis que naît dans le Midi une opposition, durable et largement populaire, des partisans de Charles X. De Marseille à Toulouse en passant par Avignon, des cellules légitimistes s’organisent en vue du soulèvement qui doit ramener Charles X sur le trône.
Et pour les royalistes qui manquent d’action, les guerres carlistes en Espagne sont l’occasion de se former militairement en attendant le prochain soulèvement.
L’arrestation à Nantes, en novembre 1832, de la duchesse de Berry met fin à l’aventure insurrectionnelle. Un grand nombre de légitimistes se font alors politiques. Trois tendances structurent à partir de ce moment le légitimiste : l’une traditionaliste, est abstentionniste et en faveur d’un État autoritaire ; une autre est en faveur de l’union des conservateurs alors qu’une troisième, la « Montagne blanche », est démocratique, veut accorder le droit de vote à tous (alors qu’à l’époque le vote est censitaire) et en faveur de l’appel au peuple par un référendum pour restaurer la monarchie. Or, c’est de la mouvance des Ultras de 1815 que nait cette dernière qui concilie royalisme légitimiste, tradition catholique gallicane, régionalisme et liberté démocratique, et qui préfère faire voter pour des candidats républicains que pour des louis-philippards. Le quotidien La Gazette de France diffuse ses idées au niveau national, tandis que dans le Sud elle dispose de L’Étoile du Midi, qui paraît deux fois par semaine et porte comme devise : « Catholicisme, vote universel, appel au peuple ». Si le choix du comte de Chambord pour l’alliance des conservateurs met à mal cette stratégie, l’influence de la « Montagne blanche »ne sera pas négligeable à l’avenir et peut se discerner comme un fil rouge allant jusqu’au Mouvement socialiste monarchiste de 1944 (voire à la Nouvelle action royaliste de Bertrand Renouvin) en passant par l’Action française d’avant 1914.
Article rédigé pour Réfléchir et agir en mai 2020.