La science est la recherche de la connaissance exacte des phénomènes. En découvrant les liens entre les phénomènes, c’est-à-dire en observant les conditions de leur apparition, elle a l’impression qu’elle les a expliqués. Ce type de mentalité apparaît dans une Haute Culture après l’achèvement de la pensée religieuse créative, et le début de l’extériorisation. Dans notre Culture, ce type de pensée ne commença à s’affirmer qu’au milieu du XVIIe siècle, dans la Culture Antique, au Ve siècle avant J.C. La principale caractéristique de la première pensée scientifique, du point de vue historique, est qu’elle se dispense d’équipement théologique et philosophique, l’utilisant seulement pour remplir l’arrière-plan, auquel elle ne s’intéresse pas. Elle est donc matérialiste dans son essence, au sens où toute son attention est tournée vers les phénomènes et non vers les réalités ultimes. Pour une époque religieuse les phénomènes sont sans importance comparés aux grandes vérités spirituelles, pour une époque scientifique c’est l’opposé qui est vrai.
La technique est l’utilisation du macrocosme. Elle accompagne toujours une science en plein épanouissement, mais cela ne veut pas dire que toute science est accompagnée d’une activité technique, car les sciences de la Culture Antique et de la Culture Mexicaine n’avaient rien de ce que nous appelons compétence technique. Dans le premier stade de Civilisation, la Science prédomine et précède la technique dans toutes ses tentatives, mais au début du XXe siècle la pensée technique commença à s’émanciper de cette dépendance, et aujourd’hui la science sert la technique et non plus l’inverse.
Dans une Epoque de Matérialisme, c’est-à-dire une époque anti-métaphysique, il était tout naturel qu’un type de pensée anti-métaphysique comme la science devienne une religion populaire. La religion est une nécessité pour l’homme de Culture, et il bâtira sa religion sur l’économie, la biologie ou la nature si l’Esprit de l’Epoque exclut la vraie religion. La Science fut la religion dominante des XVIIIe et XIXe siècles. Si on était autorisé à douter des vérités des sectes chrétiennes, on n’était pas autorisé à douter de Newton, Leibniz et Descartes. Quand le grand Goethe contesta la théorie newtonienne de la lumière, il fut traité d’excentrique et d’hérétique.
La Science fut la religion suprême du XIXe siècle, et toutes les autres religions, comme le darwinisme et le marxisme, se référaient à ses grands dogmes-parents comme base de leurs propres vérités. « Non-scientifique » devint un terme de damnation.
Après ses débuts timides, la science franchit finalement le pas consistant à présenter ses résultats non comme un simple arrangement ou une simple classification mais comme les vraies explications de la Nature et de la Vie. Avec ce pas, elle devint une vision-du-monde, c’est-à-dire une philosophie complète avec une métaphysique, une logique et une éthique pour les croyants.
Toute science est une reformulation profane des dogmes précédents de la période religieuse. C’est la même âme culturelle qui avait formé les grandes religions qui refaçonne son monde à l’époque suivante, et cette continuité est donc absolument inévitable. La Science Occidentale en tant que vision-du-monde est simplement la religion occidentale sous une forme profane et non sacrée, naturelle et non surnaturelle, découvrable et non révélée.
Comme la religion occidentale, la science était clairement sacerdotale. Le savant est le prêtre, l’instructeur est le frère convers, et un grand systématiseur est canonisé, comme Newton ou Planck. Toute forme de pensée occidentale est ésotérique, et ses doctrines scientifiques ne firent pas exception. La populace était maintenue en contact avec « les progrès de la science » par l’intermédiaire d’une littérature populaire qui faisait sourire les grand-prêtres de la science.
Au XIXe siècle, la science accrédita l’idée de « Progrès », et lui donna sa marque particulière. Le contenu du « Progrès » devait être technique. Le « Progrès » devait consister en plus de vitesse, plus de bruit, plus d’exploitation du monde matériel ad infinitum. Cela montrait déjà la future domination de la technique sur la science. Le « Progrès » ne devait pas être d’abord plus de connaissance, mais plus de technique. Toute vision-du-monde occidentale lutte pour l’universalité, et celle-ci déclara donc que la solution des problèmes sociaux ne devait pas être cherchée dans la politique et dans l’économie, mais dans la science. Des inventions furent promises qui rendraient la guerre trop horrible pour que les hommes s’y engagent, et ils cesseraient donc de faire la guerre. Cette naïveté était un produit naturel d’une époque qui était forte en sciences naturelles, mais faible en psychologie. La solution du problème de la pauvreté était la machinerie, et encore la machinerie. Les horribles conditions qui étaient nées d’une Civilisation de la machine devaient être soulagées par plus de machines. Le problème de la vieillesse devait être surmonté par le « rajeunissement ». On décréta que la mort était seulement un problème de pathologie, non de sénilité. Si toutes les maladies étaient supprimées, on ne pourrait plus mourir de rien.
Les problèmes raciaux devaient être résolus par l’« eugénisme ». La naissance des individus ne devait plus être laissée au Destin. Les prêtres scientifiques décideraient des choses comme les parents et la naissance. Aucun événement extérieur ne serait permis dans la nouvelle théocratie, rien d’incontrôlé. Le temps devait être « maîtrisé », toutes les forces naturelles mises sous contrôle absolu. Il n’y aurait pas d’occasions de guerre, chacun tenterait de devenir un scientifique, pas de rechercher le pouvoir. Les problèmes internationaux disparaîtraient, puisque le monde deviendrait une immense unité scientifique.
Le tableau était complet, et pour le XIXe siècle matérialiste, imposant : toute la Vie, toute la Mort, toute la Nature, réduites à un ordre absolu, sous la garde de théocrates scientifiques. Tout se passerait sur cette planète tout comme dans l’image des cieux que les astronomes scientifiques avaient dessinée pour eux-mêmes ; une régularité sereine régnerait – mais cet ordre serait purement mécanique, totalement sans but. L’homme serait scientifique seulement pour être scientifique.
II
Quelque chose arriva, cependant, pour perturber le tableau, et pour montrer que lui aussi portait la marque de la Vie. Avant la Première Guerre Mondiale, la désintégration des fondements psychiques de la grande structure avait déjà commencé. La Guerre Mondiale marque, dans le domaine de la science comme dans tout autre domaine de la vie occidentale, une césure. Un monde nouveau surgit de cette guerre – l’esprit du XXe siècle se présenta comme successeur de toute la vision mécaniste de l’univers, et de tout le concept du sens de la Vie, comme étant l’acquisition de la richesse.
Avec une rapidité vraiment étonnante, étant donné les décennies de sa puissance et de sa suprématie, la vision mécaniste pâlit, et les principaux esprits, même dans ses disciplines, se détournèrent des vieux et évidents articles de la foi matérialiste.
Comme c’est habituellement le cas pour les mouvements historiques, les expressions d’une âme supra-personnelle, le point de la plus haute puissance, des plus grandes victoires, est aussi le début de sa chute rapide. Les personnes superficielles prennent toujours la fin d’un mouvement pour le début de sa domination absolue. Ainsi Wagner était regardé par beaucoup comme le début d’une musique nouvelle, alors que la génération suivante savait qu’il avait été le dernier musicien occidental. La disparition de toute expression de Culture est un processus graduel – néanmoins il y a des tournants, et le rapide déclin de la science en tant que vision-du-monde commença avec la Première Guerre Mondiale.
Le déclin de la science en tant que discipline mentale avait largement précédé la Guerre Mondiale. Avec la théorie de l’Entropie (1850) et l’introduction de l’idée d’irréversibilité dans son image, la science était sur la route qui devait culminer avec la relativité physique et la franche admission de la subjectivité des concepts physiques. De l’Entropie vint l’introduction des méthodes statistiques dans la science systématique, le début de l’abdication spirituelle. Les statistiques décrivaient la Vie et le vivant ; la stricte tradition de la science occidentale avait insisté sur l’exactitude dans la description mathématique de la réalité, et avait donc méprisé ce qui n’était pas susceptible d’une description exacte, comme la biologie. L’entrée des probabilités dans la science anciennement exacte est le signe que l’observateur commence à s’étudier lui-même, à étudier sa propre forme comme conditionnant l’ordre et la descriptibilité des phénomènes.
Le pas suivant fut la théorie de la radioactivité, qui contient aussi de forts éléments subjectifs et requiert le calcul de probabilités pour décrire ses résultats. L’image scientifique du monde devint encore plus raffinée, et encore plus subjective. Les disciplines anciennement séparées se rapprochèrent lentement – mathématiques, physique, chimie, épistémologie, logique. Les idées organiques s’imposèrent, montrant une fois de plus que l’observateur avait atteint le point où il étudiait la forme de sa propre Raison.
Un élément chimique avait maintenant une durée de vie, et les événements précis de sa vie sont imprévisibles, indéterminés. L’unité même de l’événement physique, l’« atome », qui était encore considéré comme une réalité au XIXe siècle, devint au XXe siècle un simple concept, dont la description des propriétés était constamment changée pour suivre et étayer les développements techniques. Autrefois, chaque expérience montrait simplement la « vérité » des théories dominantes. C’était aux jours de la suprématie de la science en tant que discipline au-dessus de la technique, son enfant adoptif. Mais avant le milieu du XXe siècle, chaque nouvelle expérience provoqua une nouvelle hypothèse de la « structure atomique ». Ce qui était important dans le processus, ce n’était pas l’hypothétique château de cartes qui était érigé par la suite, mais l’expérience qui avait eu lieu avant.
On n’avait aucun scrupule à avoir deux théories irréconciliables l’une avec l’autre, pour décrire la « structure » de l’« atome » ou la nature de la lumière. La matière-sujet de toutes les sciences séparées ne pouvait plus être gardée mathématiquement claire. Les vieux concepts comme la masse, l’énergie, l’électricité, la chaleur, la radiation, fusionnèrent en un seul autre, et il devint toujours plus clair que ce qui était étudié était en fait la raison humaine, dans son aspect épistémologique, et l’âme occidentale dans son aspect scientifique.
Les théories scientifiques atteignirent le point où elles ne signifiaient rien de moins que l’effondrement complet de la science en tant que discipline mentale. On projeta l’image que la Voie Lactée était formée de plus d’un million d’étoiles fixes, parmi lesquelles beaucoup ont un diamètre de plus de 93.000.000 miles ; cela à nouveau non pas comme un centre cosmique stationnaire, mais lui-même en mouvement vers Nulle Part à la vitesse de plus de 600 kilomètres par seconde. Le cosmos est fini, mais illimité ; sans limites, mais limité. Encore cette exigence du vrai croyant de la vieille foi médiévale : credo quia absurdum, mais l’indétermination mécanique ne peut pas susciter ce genre de foi, et les grand-prêtres ont apostasié. Dans l’autre direction, l’« atome » a des dimensions tout aussi fantastiques – un dix millionième de millimètre de diamètre, et la masse d’un atome d’hydrogène représente par rapport à un gramme d’eau ce que représente la masse d’une carte postale par rapport à la masse de la Terre. Mais cet atome est formé d’« électrons », le tout formant une sorte de système solaire, dans lequel les distances entre les planètes sont aussi grandes, en proportion de leur masse, que dans notre système solaire. Le diamètre d’un électron est d’un trois milliardième de millimètre. Mais plus il est étudié de près, plus il devient spirituel, car le noyau de l’atome est une simple charge d’électricité, n’ayant ni poids, ni volume, ni inertie ni aucune autre propriété classique de la matière.
Dans sa dernière grande saga, la science dissout ses propres fondements psychiques, et quitta le monde des sens pour passer dans le monde de l’âme. Le temps absolu fut dissout, et le temps devint fonction de la position. La masse se spiritualisa en énergie. L’idée de simultanéité fut rejetée, le mouvement devint relatif, les parallèles se coupèrent, deux distances ne purent plus être considérées comme absolument égales. Tout ce qui avait jadis été décrit, ou qui s’était décrit, par le mot Réalité, se dissout dans le dernier acte du drame de la science en tant que discipline mentale.
Les gardiens de la science en tant que discipline mentale, l’un après l’autre, abandonnèrent les vieilles positions matérialistes. Dans le dernier acte, ils finirent par voir que la science d’une Culture donnée a pour objet réel la description, en termes scientifiques, du monde de cette Culture, un monde qui est à nouveau la projection de l’âme de cette Culture. Par l’étude même de la matière, on parvint à la connaissance profonde que la matière est seulement l’enveloppe de l’âme. Décrire la matière c’est se décrire soi-même, même si les équations mathématiques drapent le processus d’une objectivité apparente. Les mathématiques elles-mêmes ont succombé en tant que description de la Réalité : leurs fières équations sont seulement des tautologies. Une équation est une identité, une répétition, et sa « vérité » est un reflet de la logique de papier du principe d’identité. Mais c’est seulement une forme de notre pensée.
La transition entre le matérialisme du XIXe siècle et la nouvelle spiritualité du XXe siècle ne fut donc pas une bataille, mais un développement inévitable. Cette vive et froide discipline mentale retourna le couteau contre elle-même à cause d’un impératif intérieur à penser d’une manière nouvelle, d’une manière anti-matérialiste. La matière ne peut pas être expliquée d’une manière matérialiste. Toute sa signification vient de l’âme.
III
De ce point de vue, le matérialisme apparaît comme un grand négatif. Il fut un grand effort spirituel pour nier l’esprit, et cette négation de l’esprit était en elle-même l’expression d’une crise de l’esprit. Il fut la crise de Civilisation, la négation de la Culture par la Culture.
Pour les animaux, ce qui apparaît – la matière – est la Réalité. Le monde des sensations est le monde. Mais pour l’homme primitif, et a fortiori pour l’homme de Culture, le monde se divise en Apparence et en Réalité. Tout ce qui est visible et tangible est perçu comme un symbole de quelque chose de supérieur et d’invisible. Cette activité symbolisante est ce qui distingue l’âme humaine des formes de Vie moins compliquées. L’homme possède un sens métaphysique comme marque de son humanité. Mais c’est précisément la réalité supérieure, le monde des symboles, du sens et du but, que le Matérialisme niait en totalité. Qu’était-ce donc, à part une grande tentative d’animaliser l’homme en identifiant le monde de la matière à la Réalité et en le fondant en lui ? Le matérialisme ne fut pas vaincu parce qu’il était erroné ; il mourut simplement de vieillesse. Il n’est pas erroné même maintenant – il s’adresse simplement à des sourds. Il est passé de mode, et est devenu la vision-du-monde de cousins de provinces.
Avec l’effondrement de sa Réalité, la science occidentale en tant que discipline mentale a accompli sa mission. Son sous-produit, la science en tant que vision-du-monde, appartient maintenant au passé. Mais l’un des résultats de la Seconde Guerre Mondiale fut qu’une nouvelle stupidité apparut : le culte de la technique en tant que philosophie de la Vie et du monde.
La technique dans son essence n’a rien à voir avec la science en tant que discipline mentale. Elle a un but : extraire de la puissance physique à partir du monde extérieur. Elle est, pour ainsi dire, une politique de la Nature, à distinguer de la politique humaine. Le fait que la technique procède à partir d’une hypothèse aujourd’hui et d’une autre demain montre que sa tâche n’est pas la formation d’un système de connaissance, mais la soumission du monde extérieur à la volonté de l’homme occidental. Les hypothèses à partir desquelles elle procède n’ont aucun lien réel avec ses résultats, mais fournissent simplement des points de départ pour que l’imagination des techniciens puisse réfléchir à des voies nouvelles pour de nouvelles expériences et pour extraire encore plus de puissance. Certaines hypothèses sont bien sûr nécessaires ; ce qu’elles sont précisément est secondaire.
La technique est donc encore moins capable que la science de satisfaire le besoin d’une vision-du-monde à cette époque. Puissance physique – pour quoi faire ?
L’époque elle-même fournit la réponse : la puissance physique pour des buts politiques. La science est passée dans le rôle de fournisseuse de terminologie et d’idées pour la technique. La technique est à son tour la servante de la politique. Déjà en 1911, l’idée d’« énergie atomique » était dans l’air, mais c’est l’esprit de la guerre qui donna pour la première fois à cette théorie une forme concrète, avec l’invention en 1945, par un Occidental inconnu, d’un nouvel et puissant explosif dont les effets dépendent de l’instabilité des « atomes ».
La technique est pratique ; la politique est sublimement pratique. Elle n’a pas le moindre intérêt à savoir si un nouvel explosif dépend des « atomes », des « électrons », des « rayons cosmiques », ou des saints et des démons. Le mode de pensée historique qui inspire le véritable homme d’Etat ne peut pas prendre trop au sérieux la terminologie d’aujourd’hui lorsqu’il se rappelle avec quelle rapidité celle d’hier fut abandonnée. Un projectile qui peut détruire une ville de 200.000 habitants en une seconde – c’est pourtant une réalité, et elle concerne le domaine des possibilités politiques.
C’est l’esprit de la politique qui détermine la forme de guerre, et la forme de guerre influence ensuite la conduite de la politique. Les armes, la tactique, la stratégie, l’exploitation de la victoire – toutes ces choses sont déterminées par l’impératif politique de l’époque. Chaque époque forme l’entièreté de ses expressions pour elle-même. Ainsi pour le XVIIIe siècle riche en formes, la guerre était aussi une forme stricte, une séquence de positions et de développements, comme la forme musicale contemporaine des variations sur un thème.
Une étrange aberration survint dans le monde occidental après le premier emploi d’un nouvel explosif en 1945. Elle était essentiellement attribuable aux vestiges de la pensée matérialiste, mais elle contenait aussi d’anciennes idées mythologiques. L’idée surgit que ce nouvel explosif risquait de faire exploser toute la planète. Au milieu du XIXe siècle, quand l’idée du chemin de fer fut mise à l’étude, les médecins dirent qu’un mouvement aussi rapide provoquerait des troubles cérébraux, et que même la vision d’un train passant à toute vitesse pourrait le faire ; en outre le soudain changement de pression de l’air dans les tunnels pourrait causer des attaques.
L’idée que la planète pourrait exploser était simplement une autre forme de la vieille idée, présente dans de nombreuses mythologies, occidentales et non-occidentales, de la Fin du Monde, du Ragnarök, du Götterdämmerung, du Cataclysme. La science s’empara aussi de cette idée, et l’enveloppa dans la Seconde Loi de la Thermodynamique. Les adorateurs de la technique imaginèrent beaucoup de choses concernant le nouvel explosif.
Ils ne comprirent pas que ce n’était pas la fin d’un processus, mais le commencement.
Nous nous trouvons au début de l’Epoque de la Politique Absolue, et l’une de ses demandes est naturellement celle d’armes puissantes. Par conséquent, la technique reçoit l’ordre de tout faire pour fournir des armes absolues. Elle n’y parviendra jamais, cependant, et le fait de croire qu’elle y parviendra trahit simplement un matérialiste, c’est-à-dire, au XXe siècle, un provincial.
Le culte de la technique est complètement inapproprié pour l’âme de l’Europe. L’impulsion formative de la Vie humaine ne vient pas plus de la matière aujourd’hui qu’elle n’en venait jadis. Au contraire, la manière même de faire des expériences avec la matière, et la manière de l’utiliser, sont des expressions de l’âme. La naïve croyance des adorateurs de la technique qu’un explosif pourrait détruire la Civilisation Occidentale jusqu’aux fondations est le dernier souffle du Matérialisme. Cette Civilisation a fait cet explosif, et elle en fera d’autres – ils ne l’ont pas faite, et ils ne feront ou déferons jamais la Civilisation Occidentale. La matière ne pourra jamais détruire la Civilisation Occidentale, pas plus qu’elle ne l’a créée.
C’est encore du matérialisme de confondre une civilisation avec des usines, des maisons, et l’ensemble des installations. La Civilisation est une réalité supérieure, se manifestant à travers les populations humaines, et à l’intérieur de celles-ci, à travers une certaine strate spirituelle, qui incarne au plus haut point l’Idée vivante de la Culture. Cette Culture crée des religions, des formes d’architecture, des arts, des Etats, des Nations, des Races, des Peuples, des armées, des poèmes, des philosophies, des sciences, des armes et des impératifs intérieurs. Tous sont de simples expressions de la Réalité supérieure, et aucun ne peut la détruire.
L’attitude du XXe siècle envers la science et la technique est claire. Elle ne leur demande pas de fournir une vision-du-monde – elle la trouve ailleurs – et elle rejette positivement toute tentative de faire une religion ou une philosophie à partir du matérialisme ou du culte de l’atome. Elle les utilise cependant, au service de sa volonté-de-puissance illimitée. L’Idée est primordiale, et pour la réaliser, la supériorité en armes est essentielle pour compenser l’immense supériorité numérique des ennemis de l’Occident.
Extrait du livre de Francis P. Yockey, Imperium (1948)