L’opération du Hamas n’était pas un faux drapeau, c’est une réussite militaire basée sur la préparation et la surprise. À la guerre, il y a les principes, il y a les hypers principes, et il y a la surprise, l’hyper principe des hypers principes.
Or, chaque fois qu’il y a une surprise stratégique, il y a des gens pour nous dire qu’elle n’était pas possible, qu’il y a forcément traîtrise ou double jeu quelque part, des gens qui, en somme, sont surpris que la surprise ait pu jouer. Ainsi, tout le monde reconnaît que la surprise est le Dieu de la guerre, et pourtant, on s’étonne toujours de ce que ce Dieu intervienne, le moment peut-être de paraphraser Baudelaire : la plus grande ruse de la surprise, c’est de faire croire qu’elle n’existe pas.
Et puis, il y a la fausse rationalité de certains, qui confondent calculs cabalistiques et pensée stratégique, en général des personnes incapables de réviser leurs schémas mentaux, des schémas mentaux devenus avec le temps des mythes, ainsi la quasi-déification du Mossad, de la CIA ou de l’État profond – un concept en lui-même intéressant à condition de ne pas en abuser, surtout quand on n’en est pas soi-même l’auteur.
Et il y a le mythe du faux drapeau, on n’en connaît en réalité aucun, surtout pas celui de Gleiwitz, les faux drapeaux sont par «définition» des opérations de grande ampleur qui impliquent un nombre anormalement élevé de complices, non seulement dans son camp, mais souvent aussi dans le camp adverse, de plus, son objet est fondamentalement et scandaleusement immoral, le risque pour son « organisateur » si le projet est éventé est énorme et dépasse largement tout gain potentiel en cas de réussite.
Imaginons à quoi pourrait ressembler une collaboration Hamas – Mossad.
Déjà, les Palestiniens n’aiment pas beaucoup ceux d’entre eux qui ont des contacts avec le Mossad, en général, ils finissent lynchés par la foule dans des conditions pas très confortables.
L’opération des « inondations d’Al Quods » a forcément été imaginé par ceux qui sont au sommet de la hiérarchie du Hamas, et ce sont justement ceux-là qui auraient tous marché comme un seul homme, la main dans la main, avec le Mossad, l’ennemi juré, pas un pour se demander ce que le Hamas ou, surtout, la Palestine, aurait à y gagner – à part la quasi-certitude d’être bombardé à outrance et de perdre sa mère, ses frères et sœurs, ses enfants, ses amis et, accessoirement, leur propre vie.
Côté Mossad, c’est aussi le sommet de la hiérarchie qui est forcément dans le coup. Alors qu’Israël est traversée de crises politiques paroxystiques et de tempêtes médiatiques catabatiques, il faut qu’ils se fassent une confiance aveugle, non seulement entre eux, mais aussi vis-à-vis de leurs correspondants du Hamas sur lesquels ils n’ont aucun contrôle, pour espérer que jamais personne n’ébruite un projet aussi monstrueux : laisser entrer l’ennemi et laisser se commettre un massacre à grande échelle avec tout ce que cela signifie en terme de perte de prestige et de risque d’embrasement au Moyen-Orient.
Le directeur du Mossad est bien entendu nommé par le Premier ministre, durant le dernier quart de siècle, 4 des 5 directeurs ont été nommés par Netanyahou, ces nominations suivent des logiques politiques et peuvent intervenir à tout moment, par conséquent, un directeur « X » en train de monter une opération aussi contestable, court en permanence le risque de devoir transférer le dossier à son successeur « Y », sans garantie que le « Y » en question ne se montre pas proprement horrifié par le projet.
À ceux qui voient le Mossad comme une sorte de divinité transcendantale douée d’une volonté propre, une première question : qui est à l’origine du faux drapeau, Yossi Cohen, en poste de janvier 2016 à mai 2021, ou David Banema, en poste depuis juin 2021 ?
Et que dire de Tamir Pardo, directeur de janvier 2011 à 2015, qui, bien que nommé par Netanyahou, s’oppose à lui dès 2011 sur la question d’une guerre avec l’Iran. Lors d’un entretien avec Haaretz en mai 2018, Pardo a déclaré qu’en 2011, Netanyahou avait ordonné au Mossad et à Tsahal de se préparer à une attaque contre l’Iran dans les 15 jours, mais lui et le chef d’état-major Benny Gantz ont remis en question l’autorité légale du Premier ministre de donner un tel ordre sans l’approbation du Cabinet. Netanyahou a donc reculé.
Pour donner encore un indice de l’ambiance générale, en juin 2018, Pardo déclarait que le Mossad était « une organisation criminelle avec une licence » – et personne au Mossad ne se serait insurgé contre une opération aussi monstrueuse que les Inondations d’Al Quods ? De même que pour le Hamas, les gens du Mossad ne sont pas isolés, ils ont de la famille et des amis, leurs enfants auraient parfaitement pu se trouver à la rave party et être tués ou pris en otage, ça non plus ça ne compte pas ?
L’affaire de la guerre avec l’Iran rappelle un point très important, le Mossad est chargé du renseignement extérieur et des opérations spéciales en dehors des frontières d’Israël. Question, est-ce que Gaza est en dehors des frontières d’Israël, ou, pour le dire autrement, est-ce que Gaza relève de la sécurité extérieure ou de la sécurité intérieure ?
C’est que la sécurité intérieure relève, elle, du Shin Bet, un service rival du Mossad. On peut penser que l’une des missions du Shin Bet est de tenir le Hamas à l’œil, pour le Mossad, il y avait donc un risque que le Shin Bet ait vent de la préparation d’Inondations d’Al Quods par le Hamas et qu’il la torpille. Dans le cas d’un faux drapeau, pour parer ce risque, il fallait que le Mossad prévienne au moins la haute direction du Shin Bet. II nous faut donc admettre que le Shin Bet a été averti par le Mossad et était d’accord avec le principe de l’opération, essentiellement mettre en péril la sécurité intérieure d’Israël, chapeau !
Mais à tout prendre, une opération de manipulation du Hamas était plus susceptible d’être mise en œuvre par le Shin Bet que par le Mossad, qu’est-ce qui fait dire aux tenants du faux drapeau que c’est l’œuvre du Mossad (à part leur pensée mythologique) ?
D’autres services de renseignements auraient pu avoir vent de l’opération, par exemple l’AMAN, qui est le renseignement militaire et qui a certainement son idée sur l’organisation de la « ligne Maginot » autour de Gaza et des menaces et risques qui pèsent sur elle.
Question, pourquoi le MOSSAD se serait préoccupé de recueillir des renseignements sur l’organisation et le fonctionnement de cette ligne ? Aurait-il pu le faire sans éveiller la suspicion de l’AMAN ou du Shin Bet, sans leur fournir la moindre explication sur cette demande, sans risquer, une fois l’événement dans les journaux, que quelqu’un de l’AMAN s’étonne publiquement de ce que le MOSSAD ait demandé des renseignements sur cette ligne ?
Il y a aussi la fameuse Unité 8200, chargée du renseignement d’origine électromagnétique, on sait toutefois que la Hamas a pris la précaution de ne pas se servir de téléphones et de PC portables. Or, cette unité aussi a des états d’âme :
Le 12 septembre 2014, 43 officiers et sous-officiers réservistes de l’unité 8200 signent une tribune dans le quotidien israélien Yediot Aharonot, dans laquelle ils déclarent refuser désormais de « participer aux actions contre les Palestiniens et de continuer à être les outils du renforcement du contrôle militaire sur les territoires occupés ». Ils écrivent : « Le renseignement permet le contrôle permanent de millions de personnes à l’aide d’une surveillance profonde et intrusive, qui s’immisce dans la plupart des secteurs du quotidien des individus. Tout cela ne permet pas aux gens de mener des vies normales et incite à plus de violence, nous éloignant toujours davantage de la fin du conflit ».
Question, qu’auraient pensé les agents de l’unité 8200 d’un éventuel faux drapeau s’ils en avaient été informés par le Mossad ou s’ils étaient d’eux-mêmes tombés sur l’information ?
En résumé, trop de personnes étaient nécessairement informées d’un éventuel faux drapeau pour que l’affaire ne court pas la risque d’éclater au grand jour, surtout dans le contexte médiatico-politique délétère qui prévaut actuellement en Israël depuis quelque temps.
Et pour quel résultat ? Non la bande de Gaza ne sera évidemment pas nettoyée de ses 2 millions d’habitants, et non, Gaza n’aurait pas pu faire valoir sur la scène internationale des droits sur une exploitation maritime offshore étant donné qu’il n’y a de toute façon pas d’État Palestinien : de ce point de vue, les Israéliens ne sont pas plus avancés – avec ou sans faux drapeau.
Francis Goumain
Passionné d’histoire et fin observateur de notre société, Francis Goumain est un fidèle contributeur de Jeune Nation.
Première parution : Jeune nation