Les arabes de France sous le drapeau du Reich

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Si l’on excepte la Tunisie jusqu’en mai 1943, la seule communauté arabe avec laquelle le Reich fut en contact immédiat fut celle de France. Les relations entre les Allemands et les nombreux maghrébins résidant dans l’hexagone furent sereins, depuis les premiers moments de l’occupation, et cela permirent le développement d’une collaboration dans le champ politique et militaire.

A partir de 1941, les Allemands publièrent une revue illustrée en Français et en Arabe, al-Dunya-al-Jadida, par l’intermédiaire de laquelle ils diffusèrent leur programme politique. Une autre revue, Lisan al-‘Asr, s’adressa à la dizaine de milliers de soldats maghrébins internés dans les camps de prisonniers en tant que membres de l’armée coloniale française. En plus de cela, à Paris, le bureau chargé de la propagande arabe, le Werbestelle für Araber, s’occupa de la publication de plusieurs opuscules de propagande.

Un certain nombre d’arabes étaient affilié aux partis fascistes français et étaient disposés à collaborer à la cause de l’Axe et de l’Allemagne, dirigée par ce « Hadj Guillaume » qui apparaissait à beaucoup d’autres maghrébins comme le garant de la future liberté arabe hors du joug colonial français.

Il convient donc ici de traiter tout particulièrement des hommes appartenant au Parti populaire algérien, le mouvement qui joua le rôle le plus significatif dans l’histoire de l’indépendance de l’Algérie jusqu’au soulèvement de la Toussaint 1958.

Ce Parti, à la veille de la seconde guerre mondiale représentait l’aile la plus déterminée du mouvement nationaliste algérien. C’était une organisation politique minoritaire mais très dynamique, qui selon la police française comptait entre deux mille cinq cents et quatre mille militants en Algérie et environ un millier en métropole. Il était dirigé par trois chefs : Messali Hadj, Amar Imache et Belqasem Radjeff. Le premier fut une figure de pointe du mouvement arabe de libération. Né à Tlemcen en 1898, il adhéra au Parti communiste français en 1925. En 1927, il participa au Congrès anti-impérialiste de Bruxelles, à côté de deux leaders du Tiers Monde destinés à devenir célèbres : le non violent Jawaharlal Nehru et Nguyen Ai Quoc, alias Ho Chi Minh, un communiste comme lui. L’année précédente, il avait créé l’Etoile nord-africaine, le noyau originaire de ce qui deviendra le Parti du peuple algérien. En 1929, il commença à prendre ses distances avec le PCF, à son avis trop peu respectueux du nationalisme algérien. En 1935 poursuivi par la justice française, Messali s’exila à Genève où, devant les commissions compétentes de la SDN, il voulut témoigner en faveur de l’Ethiopie attaquée par l’Italie. Il fit là la connaissance de l’émir Shekib Arslan dont il devint l’ami.

Le second chef du PPA, Amar Imache, déjà secrétaire général de l’Etoile nord-africaine, avant sa dissolution par les autorités françaises, était le contraire de Messali Hadj. C’était un « faucon », violemment anti-français et anti-juif. Durant l’exil genevois de Messali, il assura la direction du mouvement en 1935 et 1936.

Belkacem Radieff, appartenait, lui, à une famille de marabouts de Fort National et il avait milité dans l’extrême gauche française. Le 5 janvier 1937, il participa à Paris à un meeting de l’Etoile nord-africaine – prélude à la constitution l’année après d’un Comité nord africain de solidarité et d’aide aux victimes arabes de Palestine – dans lequel on cria « Vive Amin al-Husayni ! La Palestine aux Palestiniens ! ». Trois semaines après le gouvernement de Léon Blum, préoccupé par la croissance du mouvement de libération algérien, procéda à la liquidation de l’ENA, suscitant chez les militants nationalistes une profonde rancœur qui rapidement se transforma en haine pour cette gauche et ce Front populaire qui après avoir donné tant d’espérances aux peuples colonisés, les trahissait maintenant. Profitant de cette situation, Amar Imache prit le commandement de la frange la plus dure et la plus intransigeante, contestant l’orientation de Messali, qui tentait, de son côté, d’éviter une dérive extrémiste du mouvement. Messali savait bien que le violent « anti-judaïsme » d’Imache était partagé par les cadres et par la base du Parti. Quelque temps après, quand le conflit éclata. Messali reçu en prison la visite du pro-nazi Mohammed al-Maâdi, il refusa d’avoir aucun contact avec l’Axe et de collaborer avec l’Allemagne. Entre temps cependant, d’autres s’étaient précipités pour serrer la main que les Allemands leur tendaient. Un Comité de défense du Maghreb arabe, un Comité des réfugiés politiques de l’Afrique du Nord et un Comité pour la défense de la Tunisie s’étaient ainsi installés à Berlin.

Quelques dirigeants du PPA, qui pressentaient le déclenchement de la guerre, s’étaient par ailleurs occupés, au tout début de 1939, de la création du Comité d’action révolutionnaire nord-africain. En faisait partie : Rashid Amara, ‘Abd al-Rahman Yasin, Sherif Bellamin, Mohammed Talebi, ‘Omar Hamza, Mahmud ‘Abdun, Mohammed Henni, Musa Belkerua, Hadj Shershalli. Désappointés par la gauche française et par le Front populaire, ces cadres de premier plan du nationalisme algérien étaient décidés à commencer dès que possible la lutte contre les forces coloniales présentes en Algérie. Pour se procurer les armes nécessaires ils pensèrent à se tourner vers l’Allemagne. Au printemps 1939, un vieux militant du PPA, ‘Abd al-Rahman Yasin, qui en France avait connu, apprécié et fréquenté des agents secrets allemands, favorisa leur rencontre avec les hommes du CARNA. Le 20 juillet 1939, Amara, Talebi, Hamza, Ahmed Flitta et Lakdar, accompagnés par ‘Abd al-Rahman Yasin, partirent pour Berlin. Il y furent chaleureusement accueillis et hébergés dans un château. Pendant deux semaines des spécialistes entraînèrent leurs hôtes algériens aux techniques de la guérilla, à la manœuvre des explosifs et au sabotage des installations industrielles. Mais les arabes espéraient aussi des fournitures d’arme, ce qui ne se produisit pas. Les Allemands promirent qu’au moment opportun, il les enverraient, avec des spécialistes en matériel, ajoutant que la guerre avec la France approchait. Peu avant le déclenchement du conflit, les Algériens rentrèrent dans leur patrie avec la promesse que les contacts ne s’interrompraient pas. Avant le départ, il leur fut communiqué qu’ils seraient contactés à Alger dix jours après la déclaration officielle de l’état de guerre entre la France et l’Allemagne.

Informé des contacts des représentants du CARNA avec les allemands, Messali Hadj fit part de sa totale désapprobation et exigea que ceux qui avaient été en Allemagne démissionnent du Parti. Mohammed Taleb, Messaoud Boukadoum, Mohammed Henri (alias Dakki), Musa Belkerrua et d’autres cadres du PPA furent exclu du Comité directeur du PPA. Messali Hadj à peine sorti de prison, chercha à reprendre le contrôle d’un Parti qui tendait à s’éloigner de sa ligne et dans ce but proposa le poste de secrétaire général à Mohammed Abdoun, qui, à la grande surprise de son chef, refusa en déclarant qu’il était d’accord avec les thèses soutenu par le CARNA, et qu’il estimait qu’il fallait chercher le soutien allemand dans la lutte contre la France.

L’effondrement de cette dernière, en juin 1940, sembla confirmer le bien-fondé de l’action entreprise par les dirigeants du CARNA. Celui-ci subit alors un coup dur avec la perte d’un de ses cadres, Mohammed Bouras, président des Scouts musulmans d’Algérie. Employé aux bureaux de l’Amirauté, le jeune Bouras avait contacté les officiers allemands de la commissions d’armistice d’Alger et il leur remit imprudemment différents documents secrets auxquels, du fait de son poste, il avait accès. Découvert par la police française, arrêté et poursuivi pour espionnage, il fut condamné à mort et fusillé.

Le tragique destin de Mohammed Bouras ne fit pas changer d’avis les dirigeants du CARNA décidés à exploiter à fond la défaite française. Quelque temps après, en août 1940, Rashid Amara et Mohammed Abdoun réussirent à s’introduire à l’Hôtel Aletti où résidaient les officiers allemands composant la commission d’armistice. Craignant que la rencontre puisse attirer l’attention du contre-espionnage de Vichy, les Allemands en fixèrent un autre, au Café Palma, dans lequel ils dirent à leurs interlocuteurs arabes qu’ils devraient demander des instructions à Berlin.

La réponse tardât à arriver, puisque la Wilhemstrasse était très sensible aux arguments et aux demandes de l’ambassadeur allemand à Paris, Otto Abetz, pionner de la politique de la collaboration franco-allemande. Abbetz souligna qu’un soutien ouvert aux nationalistes algérien serait tout de suite interprété, à Vichy, comme une tentative de démembrement de l’Empire français. Il fallait par conséquent choisir entre le soutien à un petit groupe indépendantiste et la politique de collaboration avec la France de Pétain, pour laquelle la sauvegarde de l’Empire constituait une des principales raisons d’existence. En d’autres termes concernant l’Algérie, une politique empreinte d’une grande prudence s’imposait à l’Allemagne et à l’Axe.

Le CARNA essaya de nouveau, en 1941, avec son délégué Rashid Amara, d’obtenir les armes indispensables pour commencer la lutte contre les Français, mais les Allemands se limitèrent à offrir de l’argent. Déçu, les Algériens se tournèrent alors vers les Italiens, qu’ils réussirent à contacter par l’intermédiaire d’un employé arabe de leur consulat d’Alger, un certain Said. Mohammed Taleb, Rashid Amara, Mohammed Abdoun, Hadj Shershalli et Sî Mohammed Pascià formulèrent aux diplomates italiens la même requête qu’ils avaient faite aux allemands, mais comme ces derniers les Italiens se limitèrent à offrir de l’argent. Déçus et remplis d’amertume, les nationalistes algériens se résignèrent à accepter l’aide financière italienne de trois cent mille francs et retournèrent à leurs cachettes dans le cœur de l’Algérie d’où, quelques années plus tard, serait donné le départ de la lutte armée pour l’indépendance.

L’Axe se limita à offrir de l’argent aux Algériens. Du reste, si à l’égard de la Tunisie les prétentions de Rome étaient connues de tous, en ce qui concernait l’Algérie l’attitude italienne était plus nuancée. La France craignait qu’à long terme Berlin et Rome, jouant à fond la carte du nationalisme arabe, tentent de provoquer des insurrections dans le Maghreb. Cette crainte ne quitta pas les Français jusqu’en 1943.

Quant aux hommes du CARNA, quelques-uns continuèrent à collaborer avec l’Axe, d’autres replongèrent dans la clandestinité jetant les bases de l’organisation qui permettrait à l’insu de la police de Vichy, la reconstruction du PPA ; quelque temps après Messali pardonna en effet et réadmit dans le Parti les membres du CARNA.

Messali Hadj, le 17 mars 1941, accusé d’avoir attenté à la sécurité de l’Etat, avait été condamné à dix-sept ans de travaux forcés et à vingt ans d’interdiction de séjour, à la perte de ses droits civils et à la confiscation de ses biens. Malgré cela, en avril 1943, cinq mois après le débarquement des alliés en Afrique du Nord, il sortit de prison et il put constater comment ses compagnons avaient suivi une route différente de celle qu’il leur avait indiquée.

Belkacem Radjeff, l’ex-numéro 3 du PPA et Mohammed Igherbouchène dirigeaient la section algérienne du Comité Yâsin et étaient les animateurs des émissions en langue arabe de Radio-Paris-Mondial. Radjef ne faisait pas mystère de ses sympathies pour le Rassemblement national populaire (RNP) de Marcel Déat, à l’intérieur duquel il avait retrouvé une de ses vieilles connaissances, le socialiste Félicien Challaye, rédacteur de l’hebdomadaire L’Atelier, proche du parti. Ensemble, cinq années avant, ils avaient été les organisateurs de certaines manifestations de soutien de la gauche en faveur du Mufti de Jérusalem et de la cause palestinienne.

A l’intérieur du RNP avait été créé le Front social du travail et au sein de ce dernier s’était constituée l’Union des travailleurs nord-africains qui regroupait environ trois mille membres. Pour diriger cette organisation syndicale, créée dans le but de collaborer avec les Allemands, il y avait deux hommes qui l’avaient pensée et créée au début de l’occupation tudesque. Il s’agissait de deux vieux chefs du PPA, Amar Khider et Si Djilani, qui exerçaient une influence considérable sur la colonie maghrébine en France.

Khider, déjà avant la guerre s’était engagé politiquement en faisant de la propagande contre la France. Incarcéré pour avoir reconstitué l’organisation nationaliste Etoile nord-africaine, avait été gracié. Selon les services secrets français, après juillet 1940 il fut employé par la deuxième section de l’Abwehrstelle de Paris, pour le travail de « désorganisation morale des indigènes ». De novembre 1943 jusqu’à mai 1944, il fut employé comme agent de la section I/M de l’Abwehrstelle West.

Libéré au lendemain de la défaite française, le nationaliste algérien participa activement au Front social du travail et en devint, à partir de 1943, avec Si Djilani, un des plus actifs propagandistes. Les deux hommes avaient manifesté, depuis 1939, leur sympathie pour l’Allemagne hitlérienne et les articles pro-allemands qu’à l’époque ils avaient publiés dans l’organe du PPA avaient suscité l’inquiétude de Messali.

Un autre ancien membre de l’Etoile nord-africaine, Fudil Si Larabi, était entré au Parti populaire français de Doriot en 1938. En 1942, il faisait partie de sa direction, avec Djillali ben Thami. Selon les services de sécurité français, Fudil Si Larabi, orateur célèbre qui avait l’habitude de citer le Coran de manière répétée dans tous ses discours, était alors le secrétaire de la Ligue de défense des musulmans de Paris, poste qu’il occupait sous le contrôle du colonel de la SS Hermann Bickler, qui dirigea, à partir de mai 1943, la section VI du Sichereits-Dienst (Service de sécurité) dans la capitale française. Avec Ben Thami et Amar Naroun (fondateurs de l’Union des étudiants musulmans d’Algérie), les avocats Lawhek et Maradji et l’agha Adjou Sa’id, Fudil Si Larabi faisait partie du Comité musulman de l’Afrique du Nord, présidé par Mohammed al-Maadi. Parmi les Algériens qui en France collaboraient avec l’Axe celui-ci fut probablement le plus célèbre. Fils du Caïd Mahfuz al-Ma’adi, il était né à Tlemcen en 1903. A partir de 1922 étudiant en lettre à la Sorbonne, il avait commencé à faire de la politique au sein de l’immigration, avec l’Etoile nord africaine. Retourné en Algérie en 1929, il fut arrêté en 1933. Officier de carrière, capitaine d’infanterie dans l’armée française, il quitta le service en 1936. Entré tôt en contact avec le PPA, se ralliant par conséquent à ses positions indépendantistes, il s’était ensuite convaincu que le meilleur destin pour l’Algérie était celui d’une unité avec une France rénovée ; il s’était rallié par conséquent à la Cagoule, un petit groupe putschiste d’inspiration fasciste. La conjuration découverte, il finit en prison. Par la suite, il milita dans la première période de l’occupation allemande, au sein du Mouvement social révolutionnaire, pour il passa au parti de Marcel Déat, le Rassemblement national populaire. Il en devint le responsable des questions inhérentes au Maghreb, organisant le Comité RNP nord-africain. Durant la même période, il tissa des contacts avec les cercles indépendantistes algériens présents en France et prit la direction d’une revue mensuelle, er-Rachid, publiée par la communauté algérienne grâce aux subventions allemandes. Tout cela le mena à être expulsé du RNP en tant « qu’anti-français ». En juin 1943, al-Ma’adi, tandis qu’il rendait dans les colonnes du journal un hommage aux soldats du Reich – « Aux pieds des minarets détruits, l’islam prie, avec angoisse, pour les jeunes soldats qui baignèrent de leur sang vertueux la vieille terre libyenne » – se mit en contact avec les responsables de l’espionnage allemand en France, à qui il proposa de créer une force armée pour combattre les Alliés. Grâce au capitaine Wilhem Radecke, de l’Abwehr de Paris, al-Ma’adi rencontra Henri Chamberlain, dit Lafont, chef du bureau de la Gestapo parisienne. Et ce fut Lafont qui s’occupa d’ouvrir, au n° 40 de la rue Lauriston, un bureau de recrutement. Al-Ma’adi avec son bras droit, un certain Brahim, procéda au recrutement d’Arabes et de Kabyles, provenant surtout du quartier dit « de la Goutte d’Or ».

Près de trois cents hommes furent recrutés pour ce qui fut appelé la Brigade nord-africaine ou encore la Légion nord-africaine. Les hommes fut entraînée à Neuilly, avec le soutien du chef local de la Milice. Ce corps de sécurité fut officiellement constitué le 28 janvier 1944, avec le patronage d’Helmut Knochen, le chef de la Gestapo et du SD en France et ses hommes adoptèrent un uniforme semblable à celui utilisé par la Milice française qui combattait la Résistance.

Malgré les sentiments nationalistes de nombreux de ses membres, les Allemands – commettant encore une erreur qu’ils avaient déjà faite avec les autres corps arabes -, eurent recours, pour encadrer cette force, aux collaborateurs français qui ne regardaient pas avec beaucoup de sympathie les idées indépendantistes des nord-africains. Le choix se révéla, comme c’était à prévoir, tout autre qu’heureux puisque les membres les plus radicaux de la Légion nord-africaine se considéraient comme le noyau d’une future armée algérienne et non comme un corps de sécurité dont la tâche était celle de combattre les partisans, activité dans laquelle, quoiqu’il en soit, ils donnèrent de bons résultats surtout dans la région de Limoges. Ces combattants, qui furent surnommé la SS Mohammed, se rendirent cependant compte que leur emploi contre la Résistance avait bien peu à faire avec leur objectif qui était celui de mener l’Algérie à l’indépendance et peu après le débarquement en Normandie la majorité des effectifs déserta.

Après quelques divergences avec Lafont, al-Ma’adi retourna à Paris et comme Déat et d’autres collaborateurs français, en août 1944 – avec quelques survivants de la brigade, sa femmes Mathilde et Denise de Fontfreyde, journalistes de la fois à La Révolution nationale et à er-Rachid ainsi que secrétaire du Cercle franco-musulman que présidait al-Ma’adi – il partit pour l’Allemagne, où il fut accueillit fraternellement par le Grand Mufti. Quelques survivants de la Légion nord-africaine suivirent un destin semblable à leur chef et comme lui réussirent à retourner ensuite en Algérie ; d’autres se cachèrent à l’intérieur de la communauté maghrébine de Paris et de Marseille ; d’autres encore rejoignirent la Légion indienne de Chandra Bose, représentée en France par quelques unités jusqu’à la fin de la guerre.

Les efforts des Allemands dans le recrutement de la main d’œuvre maghrébine en France connurent une réussite des plus importante. L’organisation Todt, au service de la Wermacht, avait réussi assez facilement à recruter environ dix-huit mille Arabes pour ses unités chargées de la production militaire tandis que de nombreux autres servaient comme Hiwis (auxiliaire volontaire) dans les unités allemandes en garnison en France.

La disponibilité maghrébine à collaborer avec les Allemands était si élevée qu’elle éveilla des préoccupations chez les autorités françaises de Vichy. Celles-ci donnèrent à la police l’ordre d’empêcher aux Nord-africains l’accès des consulats allemands d’Alger et de Casablanca, devant lesquels des centaines d’Arabes se rassemblaient pour obtenir des contrats de travail leur permettant de rejoindre l’Allemagne. Une telle décision provoqua en juillet 1942 un incident diplomatique entre les Allemands et les autorités de Vichy.

L’invasion alliée du Maghreb mobilisa les communautés nord-africaines en France ; une délégation de Marocains expatriés se rendit à Berlin où elle remit un don de cent mille francs à la Croix-Rouge allemande et demanda à Grobba d’exercer des pressions sur le ministère des Affaires étrangères afin que soit proclamée l’Indépendance du Maroc. Vers la fin de 1942, alors que la responsabilité des Affaires arabes à Berlin incomba à l’ambassadeur Prüfer, Grobba fut affecté à Paris, avec la tâche de rechercher et de sélectionner les documents français qui pourraient être utilisés dans la propagande arabe du Reich. Les relations avec les colonies arabes en France, après le débarquement allié en Afrique du Nord étaient à la charge des chefs arabes présents à Berlin : Fawzi al-Kawukgji se rendit à Paris pour établir des contacts avec ses compatriotes syriens présents en nombre significatif dans la capitale ; le Grand Mufti envoya son cousin Safwat al-Husayni pour accomplir une tâches analogues. La crise entre les autorités allemandes et celle de Vichy que l’invasion alliée du Maghreb aggravait faisait espérer aux Arabes une rupture définitive du Reich avec Pétain. De nombreux Arabes considéraient qu’ils devaient profiter de l’occasion, bien que celle-ci se présenta tardivement et en dépit de la situation désespérée.

Le secrétaire de l’ambassade allemande à Paris, Rohring, chargé des Affaires arabes, maintenait des contacts étroits avec les cercles nationalistes maghrébins en France et avec l’émir ‘Ali un des quatres fils d’Hussein, le Chérif de la Mecque. Alors que ses frères Faycal et ‘Abdallah, après la première guerre mondiale, avaient réussi à obtenir respectivement le royaume d’Irak pour le premier et le royaume de Transjordanie pour le second ; ‘Ali avait hérité, lui, de son père le royaume d’Arabie. Il en avait été chassé par Ibn al-Sa’ud et, convaincu d’avoir été trahi par les Anglais, il avait choisi la France comme pays d’exil. Pendant une période d’environ vingt ans Paris lui avait fait entrevoir la possibilité de le nommer – comptant sur l’appui du Parti monarchique local – roi de Syrie, nation dans laquelle les Français avaient imposé une forme d’Etat républicain. Le temps l’avait pourtant déçu l’amenant à la conclusion que jamais les Français dans leur protectorat ne permettraient l’instauration d’une monarchie. L’émir ‘Ali se rapprocha par conséquent des cercles indépendantistes cherchant à joindre les deux causes, celle de l’indépendance et celle de la restauration monarchique, et espérant conquérir les partisans de la première à celle qui lui tenait le plus à cœur.

Rohring, avec l’appui de Grobba et avec le consentement de l’émir, chercha à convaincre Otto Abetz, ambassadeur à Paris depuis 1940, qui désormais il n’y avait plus aucun motif pour tenir compte des arguments des Français et de continuer à condescendre à leurs demandes. Il fallait décider que c’était le moment opportun pour proclamer l’indépendance de la Syrie sous la monarchie d’Alî. Abetz demanda au ministère des Affaires étrangères de Berlin de l’autoriser à exercer une pression sur le Gouvernement de Vichy dans un tel sens. Par l’intermédiaire de Woermann il lui fut répondu qu’à ce moment il était superflu de s’occuper des affaires syriennes puisque les Allemands n’avaient pas les moyens matériels de mettre ‘Ali sur le trône de Syrie.

Le Bureau du Maghreb dirigé à Berlin par le Grand Mufti et parmi les membres duquel se distinguait le destourien Habib Thammer, continuait à travailler en faveur d’une toujours plus étroite collaboration entre les communautés maghrébines résidant en France et les autorités allemandes d’occupation. A Paris, au numéro 118 de l’avenue des Champs Elysée, il y avait le siège du Centre de propagande arabe appelé familièrement le Comité Yasin, du nom de l’animateur du CARNA, ‘Abd al-Rahman Yasin. A partir de 1940 le consul du Reich Vassel, les conseillers d’ambassade Kletch et Marr, avec Arpel un orientaliste, avaient apporté l’appui allemand au Comité qui se divisait en trois sections. La tunisienne était dirigée par un ex-leader étudiant Bashir Maddhebi, dont l’action jouissait de l’appui et de la collaboration d’un vieux dirigeant destourien de Gafsa, Slimane ben Ahmed Jirad. Pour diriger la section algérienne on trouvait deux vieux chefs du PPA, animateurs de la section kabyle de Radio Paris-Mondial, Mohammed Igherbouchêne et surtout Belqasem Radjef. Le directeur de la section marocaine était lui un vieux partisan d’Abd el-Krim, de nom Busin. A partir de janvier 1943, pour soutenir l’activité du Comité, il y eut aussi Grobba, alors conseiller diplomatique auprès de l’ambassade du Reich à Paris, en étroit contact surtout avec le SD et l’Abwehr.

Le journal er-Rachid, qui atteignit un tirage de quatre-vingt mille exemplaires, était le plus enflammé partisan de l’alliance islamo-allemande. Organe du Comité musulman nord-africain, animé par Mohammed al-Ma’adi, par Mohammed Louaieb et Adjou Sa’id, il connut deux parutions distinctes : la première tirée à trente mille exemplaires parût mensuellement de janvier à décembre 1943 ; la seconde hebdomadaire, mais du format d’un quotidien, fut publiée entre janvier et août 1944. Le papier pour l’impression était fourni par George Prade, conseiller municipal de Paris mais aussi une des principales autorités de la presse de l’époque et un collaborateur de Les Nouveaux temps, le quotidien de Jean Luchaire. Er-Rachid était l’organe du Comité musulman nord-africain. Celui-ci créé en avril 1941, avait pour président al-Ma’adi – membre du Comité Yasin – et pour secrétaire Ben Smaïl.

Le journal se donnait ces objectifs dans son premier numéro la fédération des trois pays maghrébin, l’égalité entre les différentes ethnies nord-africaines, la nécessité d’exproprier les juifs et les traîtres « qui ont fait envahir notre Pays par les anglo-saxons avec l’objectif de s’emparer de nos biens et d’asservir nos personnes ».

A l’origine « autonomiste » dans le cadre de la collaboration franco-allemande, er-Rachid évolua rapidement dans le sens de la revendication de l’indépendance. Si al-Ma’adi, en mai 1943, publiait pour les Editions France-Empire, L’Afrique du Nord, Terre d’Histoire, dans lequel il stigmatisait l’occupation « judéo-anglo-américaine » en Algérie, quelque mois après, le numéro du journal du 26 janvier 1944 sortait avec le titre suivant : « L’Afrique aux Nord-africains ! Indépendance totale dans la nouvelle Europe ! »

Dans son numéro d’octobre 1943, le journal lança l’idée de procéder à l’unification de l’Algérie, de la Tunisie et du Maroc et de créer un « grand Maghreb » ; cela après la victoire de l’Axe en laquelle les arabes avaient confiance : « Nos sympathie vont au national-socialisme allemand qui a toujours fait preuve d’une amitié désintéressée à l’égard de l’islam. Nous faisons des vœux pour la victoire du national-socialisme allemand et nous sommes disposés à l’aider de tout nos moyens, y compris avec le recours aux armes. »

Le 3 février 1944, la revue, qui grâce aux subventions du WESTA de mensuelle était devenue hebdomadaire, publiait un article dans lequel on pouvait lire : « Nous devons profiter des circonstances pour agir, pour nous libérer. Nous confirmons notre volonté de nous libérer des hordes anglo-américaines et les Allemands nous y aideront sans aucun doute. »

Entre temps les Alliés avançaient inexorablement et il était prévisible que d’ici peu ils traverseraient la Manche et déclencheraient l’attaque contre la France, ouvrant un autre front. Les musulmans de ce pays pourraient dans un tel cas contribuer à entraver leur avance. En mars 1944, Grobba réussit à convaincre l’ambassadeur du Reich à Paris de la nécessité de créer tout de suite un Comité pour les affaires nord-africaines qui étudiât la manière d’utiliser les maghrébins résidents en France et les prisonnier de guerre nord-africains, sur le plan militaire et dans l’édification d’ouvrages de défense. La proposition ne fut toutefois pas acceptée par le ministère allemand des Affaires étrangères et le comité ne vit jamais le jour.

Débarquée en Normandie le 6 juin, les forces alliés atteignirent Paris le 23 août. Avec les envahisseurs, il y avait les forces de de Gaulle dans les rangs desquelles se trouvaient des Algériens, des Tunisiens et des Marocains, dont un grand nombre d’entre eux auraient préféré combattre pour une autre cause, celle de la libération de leur peuple du colonialisme. Maintenant, paradoxalement, les Allemands, qui n’avaient pas d’abord exploité l’occasion qui s’était présentée, cherchaient avec une intense activité de propagande d’empêcher la campagne de recrutement mis en oeuvre par de Gaulle.

De tels efforts furent vains ou tout au moins peu efficaces. Du reste, pour les Arabes il était très difficile de comprendre les raisons pour lesquelles l’Allemagne promettait l’indépendance en 1944, quand, en 1940 puis en 1942, elle avait été dans les conditions de l’accorder mais ne l’avait pas fait. Le Reich, qui, en outre, reculait sur tous les fronts, ne pouvait non plus rien faire en appui à une éventuelle révolte des pays nord-africains. L’espérance d’indépendance pour le Maghreb ne devait plus avoir d’espoir que dans le nationalisme arabe ; Hitler, pourtant encore admiré, n’était plus le héros invincible que les Arabes avaient imaginé.

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