Les prochaines élections législatives allemandes se dérouleront à l’automne 2025. Toutefois, depuis la retraite de leur nourrice en chef, la mère Merkel, les Allemands assistent à des bouleversements considérables.
Le chancelier social-démocrate Olaf Scholz a le privilège inédit de diriger une alliance tripartite, la « Coalition tricolore » (rouge pour la sociale-démocratie, vert pour les Grünen et jaune pour les libéraux). Dès le départ, cette entente se montre fragile du fait des profondes divergences entre les Verts et les libéraux. Les premiers, dépensiers, s’opposent aux seconds, tenants de l’austérité, du désendettement et de la « règle d’or » budgétaire. Les tensions internes s’avivent en raison d’une crise socio-économique croissante.
Le recours à la dissolution du Bundestag est rare outre-Rhin. Son dernier usage en 2005 vit la défaite de Gerhard Schröder et la victoire de Merkel. En outre, les politiciens allemands n’y sont guère favorables. La guerre en Ukraine, les sanctions économiques contre la Russie, le problème énergétique dû à la fermeture de toutes les centrales nucléaires et des mesures écologiques coercitives mécontentent l’opinion publique. En recul de 2,3 % en 2021 par rapport à 2017 (12,64 %), l’AfD (Alternative pour l’Allemagne) connaît maintenant une réelle popularité et pas seulement dans les sondages. Les élections régionales du 8 octobre dernier en Bavière et en Hesse (dont sa principale métropole, Francfort, représente la ville cosmopolite par excellence) confortent son ancrage historique à l’Ouest (18,44 % en Hesse et 14,65 % en Bavière). Ministresse fédérale sociale-démocrate de l’Intérieur qui persécute tout ce qui est national comme, par exemple, en septembre 2023, la perquisition et l’interdiction du mouvement païen odiniste des Artgemeinschaft, de leur association familiale et de leur revue, Nordische Zeitung (« Journal nordique »), Nancy Faeser, ne récolte que 15,09 % aux élections en Hesse, ce qui ne l’empêche pas de conserver son poste.
L’opposition patriotique ne se cantonne plus aux seuls Länder orientaux de l’ancienne République démocratique allemande. Ses succès électoraux se produisent malgré les campagnes massives de dénigrement politico-médiatique et les incroyables violences judiciaires perpétrées contre elle. Les services régionaux de protection de la Constitution de 1949 – comprendre une police des pensées, des opinions et de la parole – la surveillent avec attention. Sa figure de proue en Thuringe, Björn Höcke, se retrouve poursuivi parce qu’au cours d’une réunion électorale, il a lancé : « Tout pour notre patrie, tout pour l’Allemagne », ce qui serait une allusion implicite aux « heures-les-plus-sombres-de-l’histoire »…
Rappelons par ailleurs que les officines du Régime de Berlin menacent Götz Kubitschek, le responsable des éditions Antaïos, l’animateur de l’excellente revue Sezession et le cofondateur de l’Institut für Staatspolitik (« Institut pour la politique d’État ») pour un supposé extrémisme et – surtout – pour son indéniable courage non-conformiste. L’AfD envisage néanmoins avec une certaine sérénité l’échéance européenne de juin prochain. Sa tête de liste, le député européen sortant, Maximilian Krah, est à la fois proche de Björn Höcke et de la Fraternité sacerdotale Saint Pie X bien qu’il aurait été en pointe contre l’évêque traditionaliste Richard Williamson en 2009.
Le tripartisme s’articulant autour des démocrates-chrétiens, des libéraux et des sociaux-démocrates s’estompe progressivement avec l’entrée au Parlement des Verts en 1983, de la gauche post-communiste en 1990 et de l’AfD en 2017. À l’échelle régionale, il faut y ajouter les Électeurs libres qui gouvernent la Bavière à côté des conservateurs de la CSU (Union sociale-chrétienne) et qui se présentent parfois dans d’autres régions (environ 4,80 % en Hesse). Leur profil libéral-conservateur correspond dans l’Hexagone aux divers-droite, même si leurs deux élus au Parlement européen siègent dans le groupe macroniste.
L’arrivée massive de vagues migratoires successives extra-européennes sature les services communaux d’accueil, d’assistance et d’hébergement. L’absence de tout contrôle migratoire sérieux et les pathologies sociales qui en découlent, contribuent au succès inouï de l’AfD. Les démocrates-chrétiens de la CDU, présidée par un vieux rival de Merkel, Friedrich Merz, avancent quelques maigres mesures anti-migratoires qui contredisent la folle politique de leur ancienne chancelière. Héritiers du courant national-libéral, les libéraux se détournent pour leur part de ce sujet brûlant. Or, l’un des leurs, vice-chancelier fédéral de 1992 à 1993, Jürgen Möllemann (1945 – 2003), récusa très tôt les prémices de la société multiculturaliste. Grand critique d’Helmut Kohl, ce passionné de parachutisme décéda, suite à la non-ouverture volontaire de son parachute en 2003. Un an auparavant, il avait violemment critiqué la politique du premier ministre israélien Ariel Sharon.
Les ravages combinés de l’immigration extra-européenne et de l’inflation suscitent enfin de très fortes turbulences au sein de la gauche radicale. Accompagnée d’une dizaine de députés fédéraux, Sahra Wagenknecht vient de rompre avec les instances dirigeantes de plus en plus sensibles aux thématiques écolo-wokistes de Die Linke. Elle a aussitôt monté une nouvelle formation politique provisoirement appelée BSW (Bündis – Alliance – Sahra Wagenknecht pour la raison et la justice). La chronique n° 80, « Les audaces de Sahra Wagenknecht » mise en ligne le 27 juin dernier, portait sur cette personnalité politique très populaire en Allemagne. Son nouveau parti obtiendrait déjà 12 % des voix. Il séduirait de nombreux abstentionnistes et puiserait dans tous les autres électorats, en particulier celui de l’AfD, et à l’exception notable des électeurs de Die Linke. Cela reste à vérifier lors des prochains scrutins.
Faut-il comprendre que Sahra Wagenknecht est un instrument du Système capable de contenir, voire de contrarier l’ascension de l’AfD ? Dans « La gauche anti-immigration voit le jour en Allemagne » mis en ligne sur Breizh Info le 27 octobre dernier, Lionel Baland suggère une autre lecture de l’initiative de la nouvelle Rosa Luxemburg. Il pense que son « populisme rouge » ouvrirait la possibilité d’un « front transversal » avec l’AfD. Cependant, le parcours militant de Sahra Wagenknecht fait quelque peu douter de cette hypothèse. L’histoire politique récente de l’Allemagne témoigne néanmoins de tentatives ou d’esquisses de compromis national et populaire. Peu de temps avant son assassinat en 1979, Rudi Dutschke se rapprochait d’un certain « national-neutralisme » théorique. L’ancien avocat de la « Bande à Baader », Horst Mahler, rallie au début des années 2000 les nationalistes radicaux du NPD (Parti national-démocrate). Réfugié politique à Cuba, l’étudiant de gauche extra-parlementaire Günter Maschke devient sous l’influence de Carl Schmitt un fervent révolutionnaire-conservateur.
La vie politique allemande est désormais si convulsive et même incandescente que Der Spiegel du 5 septembre 2023 ose écrire que « la France, c’est l’Allemagne en mieux ! ». Les deux États sont pourtant dans une phase avancée de délabrement. Leurs populations respectives réagissent par conséquent avec un discernement tout relatif aux défis de l’époque.
Salutations flibustières !
Georges Feltin-Tracol.
- « Vigie d’un monde en ébullition », n° 91, mise en ligne le 7 novembre 2023 sur Radio Méridien Zéro.