L’évolution du terme de Troisième voie

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Introduction

La terminologie de « troisième voie » n’a pas émergé de la langue politique du fascisme italien ou du national-socialisme allemand. C’est plutôt le régime de Juan Perón, en Argentine, qui a la particularité d’avoir été le premier à adopter officiellement l’appellation « troisième voie ». Avant l’adoption du terme par Perón, les expressions « troisième voie » et « troisième front » existaient déjà, mais elles étaient largement utilisées par des entités périphériques ou non dominantes au sein du mouvement de troisième position, qui se distinguaient par leur penchant pour la gauche. Dans cet article, je retracerai l’évolution lexicale et idéologique de la troisième voie et des expressions apparentées. Cette démarche mettra en lumière les chemins idéologiques divergents qui se sont détachés des préceptes fondamentaux du fascisme et d’autres idéologies de troisième position bien établies. En outre, cette étude examinera de manière critique les changements de sens et de contexte que le terme a subis tout au long de son évolution historique.

Il est également essentiel de reconnaître la cooptation particulière de la troisième voie par l’administration du président Bill Clinton, qui l’a réorientée pour articuler un programme néolibéral – une antithèse de l’éthique originale de la troisième position. Bien que cette itération néolibérale du terme ait brièvement capté l’air du temps, remodelant le discours autour du centrisme et de la réforme orientée vers le marché, elle s’éloigne nettement de la lignée historique du terme. Bien que cette itération néolibérale soit mentionnée, cet article se concentrera principalement sur l’association du terme avec des positions politiques antilibérales et radicales, plutôt qu’avec les politiques libérales centristes et favorables au marché qui ont été associées à la troisième voie au cours des années 1990. En disséquant la tapisserie complexe de la pensée de la troisième voie, cet article s’efforce non seulement de clarifier les idées fausses, mais aussi de fournir une compréhension nuancée de sa place dans l’idéologie politique.

Le fascisme italien

Dans le discours propagé par Benito Mussolini et le cercle d’intellectuels soutenant le fascisme italien, il y eut un plaidoyer prononcé pour ce que l’on peut caractériser comme une « troisième voie ». Bien que cette terminologie ne fut pas explicitement utilisée dans les discussions contemporaines, l’essence de leur rhétorique visait à délimiter une voie idéologique distincte des courants dominants du capitalisme libéral et du socialisme marxiste. Mussolini était motivé par l’aspiration à favoriser une synthèse nationale, divergeant de ces cadres établis, étayée par la conviction que la résurgence de l’Italie et le rétablissement d’un nouvel Empire romain nécessitaient de s’écarter des idéologies dominantes du XXe siècle.

Les dialogues et les textes de Mussolini et des penseurs fascistes associés soulignent fréquemment l’établissement envisagé d’un État corporatiste, pierre angulaire de l’idéologie fasciste. Cette structure étatique envisagée visait à réorganiser les mécanismes économiques et sociétaux d’une manière qui n’était ni capitaliste ni communiste. Elle reposait sur le concept de communauté nationale et sur l’intégration organique de toutes les classes sociales au sein de l’appareil d’État. Dans ses discours et ses écrits, Mussolini critiquait le marxisme pour son orientation internationaliste et son insistance sur les conflits de classe, ainsi que le capitalisme pour son individualisme et ses disparités économiques. En positionnant le fascisme comme ce qu’il appelait un « troisième front », Mussolini articulait une vision de résolution nationale et collective, comme une alternative viable à la dichotomie du capitalisme et du communisme.

Giovanni Gentile, souvent qualifié de « philosophe du fascisme », fut l’un des principaux défenseurs intellectuels de cette troisième voie. La philosophie actualiste de Gentile, qui mettait l’accent sur l’État éthique dans lequel la libération de l’individu est réalisée par et dans l’État, fournit un cadre théorique essentiel aux aspirations de Mussolini. Ce cadre visait à amalgamer les individus dans un collectif national cohésif, dans lequel les intérêts personnels étaient alignés sur les objectifs plus larges de la nation, offrant ainsi un contrepoint prononcé aux paradigmes libéraux et socialistes. Les déclarations de Mussolini et les contributions intellectuelles des théoriciens fascistes jouèrent un rôle déterminant dans l’élaboration de l’idéologie de la troisième voie à venir. Cette voie répudie les tendances matérialistes du marxisme et les penchants individualistes de la démocratie libérale, en plaidant pour une communauté collectiviste et unifiée au niveau national.

Les nationalistes allemands

Le concept de « troisième voie » dans l’Allemagne des années 1920, formulé par des personnalités comme Arthur Moeller van den Bruck et Karl Otto Paetel, représentait un premier effort pour établir une idéologie politique distincte à la fois du capitalisme occidental et du communisme soviétique. Moeller van den Bruck, figure clé du mouvement révolutionnaire conservateur, a proposé une synthèse du nationalisme et du socialisme pour créer une solution spécifiquement allemande. Bien qu’il admira Mussolini, Moeller van den Bruck critiquait Hitler et envisageait un « troisième Empire » qui mènerait un nouvel ordre sociopolitique au-delà des systèmes existants. Cette vision visait un renouveau national et un rejet de l’ordre démocratique libéral.

Karl Otto Paetel, qui appartenait aux cercles révolutionnaires conservateurs et nationaux bolcheviques, cherchea d’abord une alliance avec les éléments de gauche du parti national-socialiste (associés à Otto Strasser), le parti communiste d’Allemagne et les mouvements révolutionnaires nationaux. Son manifeste prône un nationalisme ethnique combiné à des réformes économiques radicales telles que l’abolition de la propriété privée, l’instauration d’un communisme de conseil, une position anti-impérialiste forte et un rejet du libéralisme, du capitalisme traditionnel, de l’idéologie hitlérienne et du fascisme italien en tant que capitalisme dégénéré. Cependant, les efforts de Paetel furent été contrecarrés par la montée du parti nazi, ce qui conduisit à la suppression ou à l’exil des groupes qu’il cherchait à unir. Cela montre que les racines de la troisième voie étaient ancrées dans une critique du régime hitlérien et des mouvements fascistes plus larges, et visait une voie révolutionnaire distinctement nationaliste et socialiste.

Au sein du cercle d’Hitler et de la direction nazie au sens large, les fondements conceptuels de la troisième voie, qui transcendent le capitalisme et le communisme traditionnels, étaient influents, même s’ils n’étaient pas explicitement désignés comme tels. Des hauts fonctionnaires comme Joseph Goebbels ont souligné que le national-socialisme était une solution unique, axée sur la création d’une nouvelle société allemande qui transcenderait les différences de classe grâce à une identité nationale et raciale partagée. Les politiques du régime nazi reflétaient une alternative radicale aux systèmes économiques et politiques existants, mettant en œuvre une économie planifiée avec un fort contrôle de l’État sur l’industrie tout en maintenant la propriété privée, et rejetant à la fois le marxisme et le capitalisme.

L’Argentine de Juan Perón

L’arrivée au pouvoir de Juan Perón en Argentine en 1947 à la suite d’un coup d’État militaire a marqué un moment important dans l’histoire politique du pays, puisqu’il a introduit et promu le concept de « troisième voie ». Cette idéologie se positionnait entre l’occidentalisme capitaliste et le communisme de l’Est, dans le but de forger une voie unique pour l’Argentine qui s’écartait des polarités de l’ère de la guerre froide. La capacité de Perón à obtenir le soutien d’un large spectre idéologique, y compris des marxistes et des fascistes, démontrait son habileté dans les manœuvres politiques et son engagement en faveur d’une forme de nationalisme diversifié et inclusif.

Les efforts diplomatiques de Perón furent remarquables, en particulier le maintien des liens avec le Cuba de Fidel Castro, qui souligna sa position anti-impérialiste et son désir d’affirmer l’autonomie de l’Argentine sur la scène internationale. Bien qu’il ait exprimé son admiration pour des dirigeants tels que Benito Mussolini et Adolf Hitler pour leurs capacités d’organisation et de mobilisation, Perón a clairement rejeté le nationalisme racial et l’antisémitisme. Son admiration pour l’Italie de Mussolini et l’Allemagne nazie était centrée sur leur capacité à mobiliser et à organiser la société, en particulier par l’implication des organisations populaires dans la politique et la création d’une communauté bien organisée au service de l’État.

Au cœur de la politique intérieure de Perón se trouvait son soutien résolu aux syndicats, qui jouèrent un rôle crucial dans ses réformes sociales et économiques. En soutenant les droits des travailleurs et en adoptant des positions anti-impérialistes, Perón visait à élever la classe ouvrière et à réduire l’influence étrangère dans les affaires de l’Argentine. Cependant, ses opinions socialement conservatrices contrastaient parfois avec ses politiques économiques progressistes, illustrant ainsi la complexité de son idéologie politique.

Après avoir été renversé au début des années 1950, Perón vécut en exil en Espagne, d’où il continua à influencer la politique argentine jusqu’à son retour au début des années 1970 pour un troisième mandat. Sa mort peu après a entraîné une fragmentation du mouvement péroniste en factions de gauche et de droite, qui a culminé avec la période violente et tumultueuse connue sous le nom de « guerre sale argentine ». Ce conflit a encore compliqué l’héritage du péronisme, car les idéaux fondamentaux du mouvement se sont dilués et seule son essence populiste est restée intacte.

La période qui a suivi le départ et la mort de Perón a marqué le premier moment où les factions néo-fascistes ont commencé à adopter activement le terme de troisième voie. Cette adoption a marqué un changement dans le paysage idéologique, ces factions cherchant à s’aligner sur les tentatives de Perón de transcender les dichotomies politiques traditionnelles. Malgré cela, l’essence de la troisième voiede Perón – qui mettait l’accent sur la souveraineté nationale, la justice sociale et l’indépendance économique – a continué d’influencer la politique argentine, illustrant l’impact durable de sa vision.

Henning Eichberg et la nouvelle droite

Le concept de « troisième voie », tel qu’il a été formulé par Henning Eichberg et ses contemporains dans le contexte allemand des années 1960 et 1970, visait essentiellement à redéfinir l’idéologie nationaliste en dehors du spectre politique traditionnel droite-gauche. Cette position idéologique cherchait à dépasser l’opposition binaire entre capitalisme et communisme en proposant une synthèse qui mettait l’accent sur le nationalisme, mais avec une touche unique qui incluait des éléments traditionnellement associés à la politique de gauche, tels que l’anti-impérialisme, l’environnementalisme et le soutien aux mouvements de libération nationale à travers le monde.

L’utilisation de l’idéologie de la « troisième voie » par les nazis, ou plus précisément son adaptation et son utilisation dans un contexte moderne qui renvoie au national-socialisme, est complexe. Les premiers nazis, sous la direction d’Hitler, n’ont pas utilisé le terme « troisième voie » comme l’ont fait plus tard les nationalistes d’après-guerre et les mouvements néo-fascistes. Cependant, les nazis se positionnaient effectivement au-delà de la dichotomie gauche-droite conventionnelle, prônant une « troisième voie » entre le capitalisme et le communisme, qu’ils considéraient comme les deux faces d’une même conspiration contrôlée par les juifs. Cette notion de « troisième voie » s’enracine dans le désir de créer un État autoritaire, racialement pur, qui transcende les idéologies économiques en faveur de l’unité nationale et raciale.

Les penseurs de la « troisième voie » de l’après-guerre, tout en s’inspirant des révolutionnaires conservateurs et en prenant leurs distances avec les aspects les plus odieux du national-socialisme, ont fait écho à ce sentiment en prônant un nationalisme qui n’était pas strictement aligné sur les blocs capitaliste ou communiste. Ils s’intéressaient à des personnalités comme Otto Strasser, Ernst Niekisch, Karl Otto Paetel et Arthur Moeller van den Bruck. La vision du national-socialisme de Strasser était en effet une forme de politique de « troisième voie », puisqu’elle visait un socialisme nationaliste distinct à la fois du capitalisme occidental et du communisme soviétique.

La réappropriation du terme par des personnalités comme Eichberg pour y inclure le soutien aux mouvements de libération du tiers-monde, l’environnementalisme et le pluralisme ethnique représente une évolution significative du concept, démontrant une tentative d’ancrer l’idéologie nationaliste dans le cadre des luttes anti-impérialistes mondiales. Cette évolution idéologique n’a toutefois pas effacé les éléments nationalistes et parfois ethnocentriques fondamentaux de leur pensée, ce qui leur a valu d’être critiqués pour avoir tenté de coopter des idéologies de gauche au profit d’un programme fondamentalement nationaliste. Ainsi, l’utilisation de la « troisième voie » par ces nationalistes modernes peut être considérée comme une tentative de naviguer dans l’héritage du national-socialisme en réinterprétant et en adoptant sélectivement des aspects de son idéologie d’une manière qui cherche une légitimité et une résonance dans le paysage politique de l’après-guerre, qui était de plus en plus dominé par les binaires de la guerre froide.

L’Italie et les années de plomb

Pendant les « années de plomb », une période tumultueuse qui s’est étendue de 1969 à 1988 en Italie et qui s’est caractérisée par une explosion de la violence politique et du terrorisme, le terme de « troisième position » a trouvé un nouvel écho auprès de diverses factions nationalistes et radicales. Cette période a été marquée par des actes de terrorisme perpétrés à la fois par des groupes communistes de gauche et des factions nationalistes de droite, ce qui a conduit à un état d’instabilité chronique dans le pays. C’est dans ce contexte que plusieurs groupes nationalistes ont commencé à s’identifier à la « troisième position ». Cette étiquette a notamment été adoptée par un groupe qui s’est explicitement baptisé « troisième position », suggérant un désir de présenter une alternative à la fois au capitalisme occidental et au communisme oriental.

Ces groupes, bien que distincts, partagaient souvent des fondements idéologiques et, dans certains cas, sont considérés comme interconnectés, voire comme différentes expressions d’une organisation unique. Cette période a été marquée par une divergence par rapport à l’idéologie fasciste traditionnelle, incorporant des éléments qui étaient auparavant étrangers à la pensée fasciste. Influencés de manière significative par le philosophe traditionaliste Julius Evola, ces groupes ont épousé les croyances du pluralisme ethnique, se positionnant à la fois contre les États-Unis et l’URSS pendant la guerre froide.

L’une des idées les plus radicales issues de ce milieu était le « nazi-maoïsme », un concept attribué à des personnalités comme Franco Freda, qui cherchait à synthétiser des éléments de l’extrême gauche et de l’extrême droite de l’échiquier politique. Ce mélange idéologique était révélateur de la volonté des factions de la troisième position de transcender les frontières politiques conventionnelles dans la poursuite de leurs objectifs. Malgré leurs positions radicales, ces groupes critiquaient les partis nationalistes plus classiques, tels que le Mouvement social italien, qu’ils considéraient comme trop modérés et trop accommodants avec l’ordre politique existant.

Alors que l’Italie sortait des années de plomb pour entrer dans le XXIe siècle, l’héritage idéologique de la troisième position a continué d’influencer certains segments de la vie politique italienne. Des entités politiques modernes telles que Forza Nuova et CasaPound sont apparues, incarnant l’idéologie de la troisième position avec leur mélange de positions nationalistes, anti-mondialistes et de protection sociale. Ces groupes prônent un renouveau nationaliste, s’inspirant des racines historiques du fascisme italien tout en cherchant à adapter ses principes aux problèmes contemporains, tels que la mondialisation, l’immigration et l’inégalité économique. L’évolution de la troisième position, qui est passée d’une note de bas de page historique de l’Italie de Mussolini à une caractéristique déterminante de certains mouvements nationalistes italiens modernes, illustre la nature fluide et adaptable des idéologies politiques. Elle montre comment ces idées peuvent être réinterprétées et réorientées pour s’adapter aux paysages sociopolitiques changeants des différentes époques.

La troisième voie française

Parallèlement aux « années de plomb » italiennes, la France a connu dans les années 1980 l’émergence de Troisième Voie, un groupe qui aspirait à se tailler une niche idéologique distincte du capitalisme et du communisme, à l’instar de ce que ses homologues italiens recherchaient avec Troisième Position. Dirigée par Jean-Gilles Malliarakis, un individu ayant des sympathies prononcées pour les aspects gauchistes du fascisme italien, Troisième Voie visait à établir une trajectoire politique unique qui embrassait également des sentiments antisionistes. La tentative de ce mouvement de forger des alliances avec la Nouvelle Droite française, le Front national et d’autres factions de droite n’a cependant rencontré qu’un succès limité, précipitant les conflits internes au sein du groupe.

Un schisme important au sein de Troisième Voie s’est produit lorsque Christian Bouchet et ses partisans se sont dissociés de Malliarakis pour former Nouvelle Résistance, un groupe national-bolchévique. Cette faction adopta une perspective plus favorable à l’égard de l’URSS, en contraste frappant avec la position initiale de Troisième Voie, et adopta un point de vue critique à l’égard des États-Unis. Nouvelle Résistance s’est distinguée en prônant la laïcité et l’écologie, reflétant ainsi un champ de préoccupations plus large que le programme nationaliste conventionnel. Le groupe a ensuite tissé des liens idéologiques avec le Parti national-bolchevique d’Alexandre Douguine et la National Revolutionary Faction de Troy Southgate, ce qui témoignait d’une convergence des idéologies de troisième position au-delà des frontières nationales.

Au tournant du millénaire, Jean-Gilles Malliarakis modifia notablement son orientation politique en faveur du néolibéralisme, avant de disparaître de la scène nationale française. En revanche, Christian Bouchet resta politiquement actif, s’alignant sur les visions géopolitiques de Douguine. Au fil du temps, la position idéologique de Bouchet a évolué vers le traditionalisme, s’écartant de ses affiliations nationales bolcheviques antérieures. Il a plaidé pour que l’Europe cultive des liens plus étroits avec les pays musulmans, faisant preuve d’une ouverture aux alliances interculturelles. Cette évolution des opinions de Bouchet souligne la fluidité des idéologies de troisième position, qui s’adaptent aux paysages géopolitiques changeants et intègrent divers éléments dans leur discours politique.

L’évolution de la situation en France au cours des années 1980 et au-delà révèle la nature complexe et souvent turbulente des mouvements de troisième position en Europe. À l’instar de leurs homologues italiens, ces groupes ont connu des changements idéologiques, des divisions internes et des paysages politiques en constante évolution, reflétant les défis plus larges que pose la définition d’une identité politique qui cherche à transcender les dichotomies traditionnelles entre la gauche et la droite. La trajectoire de la Troisième Voie et de Nouvelle Résistance souligne l’interaction dynamique entre le nationalisme, le traditionalisme et la pensée politique globale dans le cadre de la troisième position.

Le Front national britannique

Le British National Front (BNF), un parti politique à l’idéologie néofasciste et nationaliste blanche, a été créé en 1967 par A.K. Chesterton. Au départ, les membres du BNF étaient un mélange de conservateurs purs et durs, de monarchistes et de partisans du nationalisme ethnique britannique, qui cherchaient à créer un parti capable d’offrir une approche populiste. Toutefois, dans les années 1970, le parti a évolué vers des positions plus extrêmes sous la direction de John Tyndall et Martin Webster. Cette radicalisation a entraîné la perte d’un large soutien, qui a culminé avec la défaite du parti aux élections de 1979, où la position plus modérée de Margaret Thatcher sur les questions d’immigration s’est avérée plus attrayante pour les électeurs. À la suite de ce revers, les divisions internes se sont multipliées au sein du BNF, conduisant à l’éviction de Tyndall et de Webster par une nouvelle vague de jeunes militants. Cette nouvelle direction, composée de personnalités telles que Derek Holland, Nick Griffin, Patrick Harrington, Graham Williamson, Troy Southgate et David Kerr, trouva son inspiration dans le mouvement italien Third Position, ainsi que dans les idées d’Otto Strasser, de Julius Evola, du colonel Kadhafi, de l’ayatollah Khomeini et de G. K. Chesterton.

Les nouveaux dirigeants de la BNF, qui s’identifiaient à la pensée tiers-positionniste, commencèrent à purger le parti de ceux qui adhèrent à des idées provocatrices, aux opinions conservatrices des conservateurs et aux éléments réactionnaires. Cette faction, parfois appelée Political Soldier Faction ou faction strassériste, prit ses distances avec le racisme biologique, prônant plutôt le pluralisme ethnique et nouant des alliances avec des groupes tels que la Nation of Islam.  Elle chercha également à nouer des liens avec des pays comme l’Iran et la Libye et promut un modèle économique de distributisme. Des efforts furent faits pour atteindre les communautés asiatiques et noires d’Angleterre, mais des conflits idéologiques internes et le manque d’influence politique du BNF conduisit à une nouvelle scission. Une faction, dirigée par Patrick Harrington, David Kerr et Graham Williamson, chercha à modérer ses positions. En revanche, une autre faction, composée de Nick Griffin, Troy Southgate et Derek Holland, rejetta cette orientation.

Le groupe dirigé par Harrington créa le Third Way Think Tank et le National Liberal Party, adoptant le nationalisme civique et le distributisme tout en présentant des candidats multiraciaux. Derek Holland crée ensuite la Third Position International, qui reprenait les principes du BNF officiel, mais avec une influence accrue de personnalités telles que Mussolini et Franco. Les désaccords avec la direction de Holland incitèrent Troy Southgate à quitter le mouvement et à former la National Revolutionary Faction. Ce groupe promut des idées anticapitalistes et anticommunistes, ainsi qu’un séparatisme racial, culturel et religieux, et développa des liens avec les groupes dirigés par Bouchet et Dugin. Les membres restants de Third Position International fusionnèrent finalement fusionné avec le British National Party, que Nick Griffin a ensuite dirigé.

Le bolchevisme national russe

Après la dissolution de l’Union soviétique au début des années 1990, la Russie a connu une transition tumultueuse marquée par le passage radical d’une économie planifiée à une économie orientée vers le libéralisme de marché. Cette période, souvent associée à la présidence de Boris Eltsine, a vu la privatisation rapide des actifs de l’État, ce qui a conduit non seulement à l’instabilité économique, mais aussi à l’émergence d’une classe d’oligarques qui ont accumulé une richesse et une influence considérables aux dépens de la population en général. Au milieu des difficultés économiques qui ont suivi, notamment l’hyperinflation, le chômage et la baisse du niveau de vie de nombreux Russes, le sentiment que la souveraineté et les valeurs traditionnelles de la nation s’érodaient sous l’influence des politiques néolibérales occidentales et de la mondialisation a pris de l’ampleur.

C’est dans ce contexte que le Parti national bolchevique (PNB), cofondé par Edouard Limonov et Alexandre Douguine au milieu des années 1990, a cherché à offrir une vision politique alternative pour la Russie. Le parti synthétisait des éléments d’extrême gauche et d’extrême droite, prônant une forme de nationalisme de « troisième voie », distincte du fascisme conventionnel et du marxisme. Cet amalgame d’idéologies a fait du PNB un acteur unique, bien que controversé, dans le paysage politique russe. L’idéologie du PNB, souvent caractérisée par son opposition radicale à l’administration Eltsine, mettait fortement l’accent sur la revendication de la souveraineté de la Russie, la restauration de sa puissance géopolitique, notamment par la réintégration des territoires russophones, et l’opposition à l’empiétement perçu des influences occidentales. Les activités du parti allaient de la participation à des protestations et à des manifestations à l’engagement dans des actions plus directes, ce qui l’a parfois amené à entrer en conflit avec les autorités russes.

Le départ d’Alexandre Douguine du PNB pour se consacrer au développement de la Quatrième théorie politique, qui cherche à transcender les dichotomies politiques traditionnelles en plaidant pour un ordre mondial multipolaire et en mettant l’accent sur la diversité culturelle et civilisationnelle, a marqué un changement idéologique important. L’eurasisme de Douguine proposant une vision stratégique de la Russie en tant que pont culturel et politique entre l’Europe et l’Asie, défiant à la fois l’hégémonie américaine et la démocratie libérale. Après l’interdiction du PNB à la fin des années 2000, la création par Eduard Limonov du parti L’Autre Russie a démontré la résilience des idées centrales de troisième voie du mouvement et son attrait persistant parmi certains segments de la population russe.

Les activités du parti, y compris son implication dans le conflit dans la région du Donbass, ont souligné son engagement en faveur d’une vision de la Russie qui soit à la fois souveraine et influente sur la scène mondiale. L’héritage du mouvement national bolchevique en Russie, avec son mélange complexe d’idéologies et ses relations conflictuelles avec l’État et l’ensemble de l’échiquier politique, met en lumière la lutte permanente pour l’identité, l’orientation géopolitique et la place de la Russie dans un monde en mutation rapide. Même après la mort de Limonov en 2020, l’influence du mouvement persiste, reflétant les défis et les aspirations profondes qui continuent de façonner la société et la politique russes.

Les États-Unis

Des recherches menées par Political Research Associates ont mis en lumière le paysage des organisations néofascistes et nationalistes aux États-Unis, révélant un large éventail de groupes qui se sont alignés sur l’idéologie de la « troisième voie ». Cette position idéologique, qui vise à transcender la dichotomie politique traditionnelle gauche-droite en fusionnant des éléments de nationalisme et de socialisme, a captivé une cohorte variée d’adhérents. Il s’agit notamment de la National Alliance, de l’American Front, du Traditionalist Worker Party, de l’American Third Position Party (également connu sous le nom d’American Freedom Party), du Patriot Front, de la White Aryan Resistance et, fait intéressant, de certains groupes nationalistes noirs tels que la Nation of Islam et l’organisation Black Hammer, plus récente, à partir de 2022. Cette adoption éclectique met en évidence la nature complexe et parfois contradictoire de la troisième position, soulignant son attrait dans un large éventail de contextes sociopolitiques.

L’American Front, créé dans les années 1980, est un exemple de groupe qui a adopté avec vigueur la troisième position. Au fil des ans, il a plaidé en faveur d’une nation racialement pure tout en élargissant sa position pour inclure des éléments anticapitalistes et anticommunistes. Cette évolution illustre la capacité d’adaptation de la pensée tiers-positionniste, en particulier dans ses tentatives de critiquer le système financier mondial et les pratiques économiques mondialistes tout en plaidant pour une société qui s’aligne étroitement sur ses idéaux socialistes nationalistes et exclusifs sur le plan racial. D’autres groupes, tels que la National Alliance et le Traditionalist Worker Party, ont également fusionné le nationalisme avec une forme de socialisme qui sert leur groupe racial ou culturel particulier, en mettant souvent l’accent sur la pureté raciale, l’antisémitisme et le rejet des systèmes démocratiques, capitalistes et communistes. Le parti American Third Position, qui s’est redéfini comme le parti American Freedom, adopte explicitement l’idéologie de la troisième position pour représenter ce qu’il perçoit comme les intérêts des Américains blancs, en mariant la politique d’identité blanche à une critique du capitalisme mondial.

Le Patriot Front, qui a émergé dans le sillage d’une importante mobilisation des nationalistes blancs, a cherché à redéfinir le nationalisme américain dans une optique de troisième position, en se concentrant sur l’antimondialisme et le retour aux valeurs dites traditionnelles. De son côté, la Résistance aryenne blanche associe des opinions racistes et antisémites à une opposition aux systèmes capitalistes perçus comme étant contrôlés par les juifs, en mettant en avant une lutte raciale dans un cadre anticapitaliste et anticommuniste. Même des groupes extérieurs à la sphère traditionnelle du nationalisme blanc, comme la Nation of Islam et l’organisation Black Hammer, ont trouvé un écho dans les principes de la troisième position en critiquant le capitalisme et le communisme américains, en mettant l’accent sur l’autosuffisance, le séparatisme et l’autonomisation des peuples colonisés. En outre, des individus comme le YouTuber Cultured Thug ont joué un rôle dans la diffusion du terme de troisième position en tant que descripteur du fascisme générique auprès des audiences numériques, en défendant un mélange d’idées nationalistes et socialistes qui remettent en question les doctrines économiques et politiques dominantes. Ce large éventail d’interprétations et d’applications de l’idéologie de troisième position souligne sa malléabilité et les diverses façons dont différents groupes et individus à travers les États-Unis ont cherché à l’intégrer dans leurs programmes sociopolitiques.

Conclusions

La discussion autour de la « troisième voie » souligne son rôle non seulement en tant qu’idéologie, mais aussi en tant que terme distinctif qui englobe un mélange unique de socialisme nationaliste, qui se positionne fermement contre les cadres marxistes et capitalistes. Ce descripteur englobe un large spectre de croyances qui, tout en partageant un fil conducteur nationaliste, varient considérablement dans leurs positions spécifiques sur le socialisme, les récits raciaux et leur relation avec les facettes du fascisme. Au sein de ce spectre, certains peuvent s’aligner étroitement sur des éléments fascistes, tandis que d’autres rejettent résolument de telles associations. Pour les personnes qui se reconnaissent dans une forme nationaliste de socialisme qui critique à la fois le marxisme et le capitalisme, l’adoption du terme de troisième voie est le reflet d’un alignement profondément personnel et idéologique. Cette décision implique un examen approfondi des racines historiques du terme et de la diversité des croyances qu’il englobe. Pour comprendre la troisième position en tant que descripteur, il faut reconnaître sa signification en tant qu’étiquette qui non seulement identifie une position spécifique au sein de la tradition socialiste au sens large, mais qui délimite également une opposition claire aux idéologies économiques dominantes du marxisme et du capitalisme.

« Nous devons prendre à la droite le nationalisme sans le capitalisme et à la gauche le socialisme sans l’internationalisme », Gregor Strasser cité dans Guerres, révolutions, dictatures de Stanislav Andreski.

Traduit de Fascio Newsletter.

 

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