En 1932, l’un des principaux idéologues du nationalisme-révolutionnaire allemand, Ernst Niekisch, faisait publier un texte intitulé « Lutte des classes ».
L’idée principale se dégageant du texte est la suivante : Niekisch tentait de concilier ce que nous pourrions désigner comme la « lutte sociale » des classes populaires, et le « combat national », ou nationalisme. Pour ce faire, il commence par établir un certain nombre de distinctions :
Tout d’abord, il affirme la fatalité de la lutte entre classes sociales :
« La différence entre les classes et leur antagonisme, qui a des raisons objectives, sont un fait inéluctable, inhérent à la nature humaine. Par ailleurs, c’est la conséquence des conditions sociales et de la structure de la société. »
Contre toute conception harmonieuse par son équilibre social, Niekisch précise les tensions permanentes qui minent toute société depuis la nuit des temps :
« A l’époque de la société ‘organique’, la différence des classes se cachait derrière les tensions qui ne se relâchaient jamais entre les différents états. Riche et pauvre, noble et humble, puissant et faible, haut et bas, libre et dépendant, seigneur et serviteur, employé et patron mais aussi aristocrate et bourgeois-ne sont en aucun cas des polarités complémentaires à l’intérieur d’un ensemble harmonieux. Ces antonymes désignent des forces explosives que la structure sociale doit maitriser, contre lesquels elle doit sans cesse se défendre. »
Le déclencheur de la crise sociale est la volonté de lutte venant des perdants de ce déséquilibre social :
« Lorsque le sentiment de la différence sociale atteint ce point où l’on veut en venir à bout, la différence entre les classes se transforme en lutte des classes. L’opposition entre les couches sociales est un fait en dehors de la volonté humaine. La lutte des classes est une exacerbation consciente de cette opposition que seule la volonté humaine peut provoquer. La différence des classes est une donnée, la lutte des classes doit être organisée. La différence est un état la lutte est activité. La différence entre les classes c’est le destin, la lutte des classes est révolte contre le destin. »
La différenciation sociale implique par nécessité les frustrations populaires :
« La structure sociale est verticale, elle va de bas en haut. En bas, on porte les charges. Le poids de l’ensemble repose sur la « base ». Plus on monte, plus on est « léger ». La liberté de mouvement augmente et, en haut, il est d’autant plus facile de redresser les épaules, de relever la tête. Le regard qui va de bas en haut est très différent de celui qui va de haut en bas. En bas, il n’y a rien que celui qui est en haut puisse convoiter. Celui-là n’a aucune raison « d’envier » l’autre qui est en bas. Il jouit de sa hauteur, de sa ‘’supériorité’’, dès qu’il regarde en bas. Mais vu d’en bas, cette ‘’hauteur’’ apparaît comme un destin privilégié, comme un sort plus heureux. On en est exclu lorsqu’on se trouve en bas, donc on souffre et jalouse ces heureux. »
L’origine de la lutte de classe est à trouver en bas :
« Ainsi, on comprend que la volonté d’engager une lutte des classes s’enflamme toujours en bas. Celui qui est en haut pense que le maintien de l’ordre dans le monde est lié au fait qu’il garde sa bonne place. Un homme privilégié croit toujours qu’il l’est à juste titre. » Dans le cadre de la lutte des classes, il se trouve du côté du soleil. Pour quelle raison aurait-il alors envie de conquérir des positions à l’ombre ? »
Les inégalités ne sont d’ailleurs pas remises en cause par les élites en place :
« Donc tout ceux qui sont en haut ont de bonnes raisons de condamner la lutte des classes définitivement et ignominieusement. En haut, on est bien. Pour que l’on puisse s’y sentir en sécurité, il faut que ceux « d’en bas » se sentent également bien chez eux. La lutte des classes est un cataclysme ; le terrain sur lequel on est placé commence à trembler. La lutte des classes est considérée comme le plus grand mal pouvant frapper le monde. Ceux d’en haut la condamnent unanimement. »
Au final, la lutte de classes est inévitable :
« Monter fait envie. Ceux qui n’ont rien à perdre, en dehors de leurs chaînes, essayeront toujours de tout gagner. Ainsi le vacarme de la lutte des classes ne cessera jamais. »
Au temps où Niekisch écrit ceci, il y a deux grandes réponses qui tendent à répondre à la question sociale : marxisme et nazisme. L’auteur national-révolutionnaire allemand commente ainsi l’esprit profond du marxisme :
« Le marxisme affirme que la lutte des classes est la force motrice de l’histoire. L’histoire ‘’n’est rien d’autre’’. Lui-même est la plus vaste entreprise de l’histoire mondiale pour aiguiser la conscience de classe des couches inférieures et les imprégner du fanatisme de la volonté de cette lutte. Son interprétation de l’histoire est un des moyens d’encourager la volonté de lutte des classes. Il explique l’histoire comme il voudrait la faire. »
Malgré cette inculcation de la lutte des classes au sein de la classe ouvrière, en raison de compromissions multiples avec la bourgeoisie, et par la politique de coalition des gauches suivie, il n’y a pas eu de révolution prolétarienne, et donc une trahison des aspirations populaires.
Niekisch choisit la Révolution française pour illustrer un autre phénomène, que l’on pourrait nommer la transition de la classe au pouvoir, ou le remplacement de la classe dominante par une autre. En l’occurrence, le remplacement de la noblesse de robe et d’épée par la bourgeoisie :
« En l’an 1789, la révolution de la bourgeoisie française contre la société féodale fut une lutte des classes. Sous les successeurs de Louis XIV, l’éminente position que la France occupait dans le monde s’était, peu à peu effritée. La France perdit son empire en Amérique. En Europe, elle fut dépassée par la Prusse et l’Autriche. L’endettement de l’Etat paralysa sa liberté de mouvement à l’extérieur. La couche sociale dirigeante gaspilla un splendide héritage historique. Elle était en train de précipiter la France dans une ruine complète. Cette classe-là fut une mauvaise administratrice des besoins vitaux de la nation. Y avait-il un meilleur administrateur de ces besoins vitaux ? La bourgeoisie revendiquait pour elle cette compétence. Les émigrés qui, depuis Coblence, excitèrent l’étranger contre la France, en trahissant leur pays, confirmèrent ultérieurement cette revendication. »
Niekisch use de cet exemple historique pour expliquer les raisons du succès de la prise du pouvoir de la bourgeoisie : en l’occurrence, parce qu’elle était parvenue à lier son intérêt de classe avec celui de la nation :
« Poussée par ses instincts de lutte des classes, la bourgeoisie chassa la noblesse. Pour des raisons de politique nationale, elle méritait d’être chassée. Ce bouleversement fut bien plus qu’un évènement social : l’idée de la lutte des classes se fondait ici dans une passion nationale enflammée. Le bourgeois français sauva sa patrie de l’Europe arriérée en décapitant son roi et son aristocratie. Le renversement de l’ordre établi lui rapporta un important gain social. Mais dans l’ensemble, ce bouleversement avait rempli une fonction nationale. Dans les conditions de l’époque, la lutte des classes, sous sa forme bourgeoise, fut le seul moyen permettant à la France de mener à bien son combat pour s’affirmer en tant que nation. La lutte des classes fut le moyen du combat national. La guerre nationale et non la lutte des classes donna son véritable sens aux évènements. La différence des classes fut attisée et transformée ainsi en lutte des classes pour en faire une force motrice politique pouvant satisfaire à une exigence nationale. La bourgeoisie française devint la classe dirigeante, parce que sa lutte des classes s’était subordonnée à la loi de la vie nationale et politique de la France. Le véritable sens de la Révolution française ne se limite pas aux luttes des classes. Puisque la bourgeoisie française a su donner de nouvelles bases au pouvoir national et politique de la France, elle a pu en prendre également la direction sociale. Elle sortit victorieusement de la lutte des classes parce qu’elle sut mener à bien le combat national.
Cas plus récent, celui de la Révolution russe de 1917 :
« Tel le bourgeois français sauvant la France de l’impuissance politique, l’ouvrier russe sauva la Russie du déchirement et de la colonisation. La couche dirigeante russe, féodale et bourgeoise, avait conspiré avec l’ennemi. Elle aurait sacrifié l’indépendance et l’intégrité nationale si on lui avait donné l’assurance du maintien de ses privilèges. Ainsi l’existence même des classes supérieures devenait un danger pour la Russie. Si le pays voulait garder son autonomie et sa liberté en matière de politique étrangère, il fallait anéantir ces classes-là. Elles étaient les agents secrets et les alliées des Puissances occidentales. La défense de leurs privilèges était une trahison. Par conséquent, elles subirent le châtiment réservé aux traîtres à leur patrie. La Russie éternelle se trouvait du côté des groupes de partisans et des brigades ouvrières. Du jour au lendemain, Lénine fut nommé administrateur de cette Russie-là. L’idée de la lutte des classes n’aurait pas pu enflammer les masses, si elle n’avait pas été chargée de cet explosif qu’est la mission nationale. »
Ainsi, si l’on suit l’analyse de Niekisch, Lénine fut peut-être malgré lui le véritable « feu dévorant la pourriture et purifiant la substance indestructible », qui permit « également une révolution nationale. » La volonté de lutte des classes laborieuses avait donc une fonction politique, que les Bolcheviks ont pu comprendre.
C’est précisément ce « feu national » qui aurait empêché, en Allemagne, à la même époque, le triomphe de la révolution prolétarienne. Le problème est bien que :
« Le lien, tout à fait naturel, entre la lutte prolétarienne et la passion nationale ne s’est pas crée. »
Aussi l’ami d’Ernst Jünger conclut sur une sentence digne du plus grand intérêt :
« Seule la volonté de lutte des classes, en tant qu’organe politique et réceptacle national de la volonté de vie, libère les peuples. »
Vincent Téma, le 16/04/24.