Norman Lindsay, artiste scandaleux et fasciste

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Considéré comme « un des plus grands artistes australiens », Norman Lindsay (1879-1969) auteur d’une œuvre importante et variée (contes pour enfants, romans, sculptures, peintures, dessins de presse, affiches, eaux fortes, etc.) est totalement inconnu en Europe. Il mériterait pourtant d’y être découvert car il incarne un nationalisme qui n’est pas celui des culs serrés mais qui se caractérise par son orientation dionysiaque, sensuelle et scandaleuse.

Artiste comme ses frères et sœurs

Né de l’union d’un chirurgien et d’une fille de pasteur, Norman Lindsay est le cinquième d’une fratrie de dix. Chose assez extraordinaire, cinq de ses frères deviendront des artistes connus et reconnus dans le monde anglo-saxon.

À seize ans, le jeune Norman quitte son village de naissance pour débuter une carrière de journaliste à Melbourne. En 1901, il entre à la rédaction du Sydney Bulletin où il restera 50 ans ! Ses revenus de journaliste lui permettent bientôt un séjour de trois années sur le vieux continent où il commence à peindre et à dessiner en s’inspirant des peintres européens.

De retour en Australie, en 1911, il écrit un livre pour enfants The Magic Pudding: Being The Adventures of Bunyip Bluegum and his friends Bill Barnacle and Sam Sawnoff qui connaît un important succès de librairie, devient un classique de la littérature australienne et est toujours réédité. Suivent ensuite plusieurs romans. Mais cela ne lui suffit pas, il a tant d’énergie à revendre qu’il s’essaie à tous les modes de création possibles. Plusieurs témoins de sa vie dans les années 1920-1940 en ont fait le même récit : Norman Lindsay se lève tôt et peint une aquarelle avant le petit-déjeuner, puis il travaille à ses eaux fortes jusque tard l’après-midi. Ensuite, il sculpte dans son jardin, et le soir il écrit un article ou un chapitre d’un roman qu’il a commencé. S’il lui reste du temps, il le consacre à ses hobbies : la réalisation de maquettes et la boxe !

Une œuvre qui fait scandale

Si c’est un conte pour enfant qui le rend célèbre, les autres livres de Norman Lindsay scandalisent les bien-pensants et lui valent les foudres de la censure.

En 1930, Anastasie interdit de publication son roman Redheap, qui relate la vie d’une famille dans son village natal de Creswick.

En 1938, un autre roman, Age of Consent, récit de la relation amoureuse entre un peintre et une modèle adolescente est publié en Grande-Bretagne mais frappé d’interdit en Australie jusqu’en 1962.

Quant à ses eaux fortes et ses peintures, elles scandalisent tout autant.

En 1913, un dessin à la plume titré Crucified Venus et représentant son épouse est retiré de l’exposition annuelle de la Society of Artists à cause des réactions outrées que son érotisme provoque dans le public.

Pire, en 1940, seize caisses de ses peintures, dessins et gravures qui transitent par les États-Unis, sont examinées par les douanes. Elles sont considérées comme du « matériel pornographiques » et un juge décide leur incinération.

De la gauche nationaliste au fascisme

Norman Lindsay ne choque pas les bien-pensants australiens uniquement avec ses œuvres artistiques, il en fait de même avec ses idées politiques.

Son engagement commence intellectuellement dans la mouvance de la gauche nationaliste australienne à laquelle appartient The Sydney Bulletin, qui est alors la voix des Australiens, républicain, nationalistes et ouvriéristes. Le journal qui a porté comme sous-titre « L’Australie aux Australiens », le change en « L’Australie aux Blancs » et attaque de manière récurrente les Britanniques, les Chinois, les Japonais, les Indiens et les Aborigènes. Il n’est donc pas surprenant que Norman Lindsay, émaille son The Magic Pudding, pourtant destiné aux jeunes générations, de remarques antisémites (elles ont été supprimées des rééditions récentes du livre) et consacre plusieurs dessins de presse à dénoncer le « péril jaune ».

Mais, dans les années 1900-1920, tout ceci ne relève pas, en Australie, d’un positionnement de droite, tout au contraire. Cependant, si son fils Jack rejoint dans les années 1930 le Parti communiste, Norman Lindsay quant à lui ne va pas si loin, bien qu’il ne marque pas, alors d’hostilité au bolchevisme puisqu’il s’associe, en 1932, pour créer une maison d’édition avec un de ses plus flamboyant représentant en Australie, l’écrivain Percy Stephensen. L’influence de ce dernier sur lui est grande et il le suit dans son ralliement au fascisme en 1935. Stephensen devient alors le directeur de The Publicist, un journal d’abord rabiquement antibritannique et antisémite, puis ouvertement fasciste à partir de 1938, avant de rejoindre l’Australia First Party qui s’oppose à l’entrée de l’Australie dans la guerre contre les forces de l’Axe.

Norman Lindsay commet alors nombre de caricatures et dessins de presse contre « la menace rouge » et ne cache pas qu’il souhaite la victoire des forces des États totalitaires.

Une célébrité que la mort ne fait pas cesser

Contrairement à Stephensen et à de nombreux autres Australiens opposants à la guerre, Lindsay n’est pas emprisonné durant la Deuxième Guerre mondiale. De plus, paradoxalement, son engagement ne lui nuit pas et il continue ses activités de graveur, de peintre, de journaliste et d’écrivain jusqu’à son décès.

Celui-ci ne le fait pas oublier de ses concitoyens. Sa résidence de campagne, à 70 kilomètres de Sydney, est achetée par le National Trust et transformée en un musée en son honneur.

Dans le même temps, son œuvre romanesque est adaptée au cinéma – avec un film tiré d’Age of Consent en 1969 – et à la télévision – cinq de ses romans y sont devenus des films dans les années 1970.

Enfin, l’aspect sensuel et érotique de ses tableaux ne choque plus et ceux-ci atteignent maintenant des côtes importantes (de l’ordre de 350 000 euros l’un) et figurent dans nombre de grands musées occidentaux.

Article rédigé pour Réfléchir et agir en août 2017.

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