Pierre-Joseph Proudhon, une philosophie de lutte

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Né le 15 janvier 1809 à Besançon dans une famille modeste des faubourgs ouvriers, Proudhon est l’un des rares théoriciens du socialisme à être issu d’un milieu populaire. Il pourra dire avec fierté : « Je suis pauvre, fils de pauvre; j’ai passé ma vie avec les pauvres, et, selon toute apparence, je mourrai pauvre ».

C’est un homme rustique et généreux, fièrement enraciné dans son terroir franc-comtois. Il passe les douze premières années de sa vie à la campagne comme garçon de ferme. « Je ne connais pas d’existence à la fois plus contemplative et plus réaliste, plus opposée à cet absurde spiritualisme qui fait le fond de l’éducation et de la vie chrétienne, que celle de l’homme des champs », dira-t-il. Plus tard, il célébrera de manière païenne la force et la beauté de la nature dans ses écrits.

Son éducation d’homme libre le vaccine à jamais contre les illusions du monde moderne et les mensonges de l’Eglise. « Je trouve que dans cette prétendue civilisation, saturée d’hypocrisie, la vie est sans couleur ni saveur, les passions sans énergie, sans franchise; l’imagination étriquée, le style affecté ou plat » écrira-t-il quand élève boursier au collège de Besançon il sera confronté à la médiocrité et au puritanisme hypocrite de la société.

La faillite de l’entreprise familiale l’oblige à quitter ses études pour entrer en apprentissage chez un typographe. Après avoir pratiqué divers métiers, il devient journaliste dans diverses revues révolutionnaires. Il accumule les procès pour propose insurrectionnels et aura l’honneur d’être emprisonné par la Monarchie de Juillet, par la République et par l’Empire. Comme beaucoup de prisonniers célèbres, il profite de ses séjours en prison pour étudier les mécanismes de la révolution : « La prison m’a rendu toute ma liberté » pourra-t-il écrire avec ironie. Refusant toutes les compromissions avec le système, il restera toute sa vie durant dans une pauvreté volontaire. Mais Proudhon put toujours compter sur l’amour de son épouse, Euphrasie Piégard, ouvrière parisienne qui lui donna quatre filles.

La troisième voie fédérative

Dans sa réflexion, Proudhon constate que si la propriété est l’exploitation du faible par le fort, la communauté est l’exploitation du fort par le faible. Dans la propriété, l’inégalité des conditions résulte de la force et du vol. Dans la communauté, l’inégalité vient de la médiocrité du talent et du travail, glorifié à l’égal de la force. Les deux systèmes enferment la société dans l’uniformité et enchaîne l’individu à la masse stupide. Le principe fondamental des société bourgeoises, féodales ou communistes, c’est l’autorité, qu’on la fasse venir du ciel ou qu’on la déduise de Marx.

« Il ne suffit pas que la critique démolisse, il faut qu’elle affirme et reconstruise », affirmait Proudhon. L’alternative qu’il propose repose sur le mutualisme autogestionnaire et sur le fédéralisme. Ainsi, le principe mutualiste basé sur un libre contrat passé par l’individu avec le reste de la communauté, viendrait remplacer le principe de l’autorité. La coopération et la solidarité fonderaient l’union des producteurs, centraliseraient leurs forces, assureraient l’unité et éviteraient les conflits entre les différents intérêts. Séparant le pouvoir économique du pouvoir politique, la théorie proudhonienne assure à l’individu la liberté de choix et évite les dérives totalitaires.

Le fédéralisme remplaçant le centralisme jacobin, les régions pourraient donner naissance à une Europe des patries charnelles unifiées dans leurs diversités.

Proudhon et la démocratie

L’opinion de l’auteur de La capacité politique de la classe ouvrière concernant la démocratie est claire et définitive. Pour lui, les hommes ne pourront être pleinement libres qu’une fois avoir été éduqués. Par son manque de préparation, le peuple avait déjà vu, en 1789, la Révolution lui échapper au profit unique de la bourgeoisie. La Révolution qui aurait du supprimer les abus de la féodalité, n’a fait qu’en créer une nouvelle, plus immonde encore, celle du capitalisme apatride. « Religion pour religion, l’urne populaire est encore au-dessus de la Sainte Ampoule mérovingienne. Tout ce qu’elle a produit a été de changer la science en dégoût et le scepticisme en haine ». Le suffrage universel organisé de manière à servir de sanctions perpétuelle à la tyrannie démocratique, par la prépondérance des sujets médiocres, toujours en majorité, sur les citoyens capables et les caractères indépendants, déclarés suspects. Le régime parlementaire aboutit à cette démocratie que Céline définissait comme « le gouvernement du peuple, pour la peuple, par la vinasse ».

Dans ses Confessions d’un révolutionnaire, Proudhon, qui fut représentant du peuple nous décrit la vie politique sous  la république : « Il faut avoir vécu dans cet isoloir qu’on appelle une assemblée nationale, pour concevoir comment les hommes qui ignorent le plus complètement l’état d’un pays sont presque toujours ceux qui le représentent ».

Pour abattre ce régime putride, Proudhon appelle à l’unité des forces vives de la nation : « Je me rallie sans réserve aux hommes honnêtes de tous les partis, qui comprenant que la démocratie s’est démopédie, éducation du peuple; acceptant cette éducation comme leur tâche et plaçant au-dessus de tous la liberté; désirent sincèrement, avec la gloire de leur pays, le bien être des travailleurs, l’indépendance des nations et le progrès de l’esprit humain. »

 Proudhon face à Marx

« Entre le socialisme proudhonien et le socialisme marxiste, il y a un désaccord plus grave qu’une querelle politique ou qu’une rivalité d’école. Ce sont deux tempéraments qui s’affrontent, deux conceptions de la vie qui s’opposent » écrivait Robert Aron dans Le Socialisme français face au marxisme.

L’antagonisme entre Proudhon et Marx vient en effet de la confrontation de deux mentalités inconciliables. Alors que Proudhon voit dans l’homme un individu libre, Marx le réduit à un simple animal économique. Marx par sa pratique du dogmatisme et de l’intolérance a poursuivi le délire messianique des peuples du désert. Proudhon, qui n’avait que mépris pour ce petit bourgeois frustré, avait compris toute l’intolérance du communiste, digne fis du judéo-christianisme. On ne peut pas dire non plus qu’il portait le « peuple élu » dans son coeur : « le juif est l’ennemi du genre humain. Ce sont des êtres méchants, envieux, bilieux, qui nous haïssent … Il faut renvoyer cette race en Asie » pourra-t-on lire dans ses Carnets posthumes.

A la doctrine mortifère de la lutte des classes, Proudhon préfère la réconciliation autour du projet de la nouvelle société fédérative. Il demande aux travailleurs de tendre la main aux patrons et aux patrons de ne pas refuser l’avance de ceux qui furent leurs salariés.

La révolution, vivre en travaillant ou mourir en combattant

Proudhon affirme : « Une révolution est une force contre laquelle aucune autre puissance, divine ou humaine, ne peut prévaloir, dont la nature est de se fortifier et de grandir par la résistance même qu’elle rencontre On peut diriger, modérer, ralentir une révolution. On ne refoule point une révolution, on ne la trompe pas, on ne saurait la dénaturer, ni à plus forte raison la vaincre. Plus vous la comprimez, plus vous augmentez son ressort, et rendez son action irrésistible. La révolution ne démord pas, et par une raison toute simple, c’est qu’elle ne peut pas avoir tord. »

Pour lui, il n’est pas dans la nature des masses de ses révolter, si ce n’est contre ce qui les touche directement, comme la misère ou le chômage. La réussite d’une insurrection ne dépend pas d’une véritable bataille, elle provient surtout et même uniquement de la généralité et de la rapidité du mouvement. Les forces révolutionnaires doivent être prêtes à prendre le pouvoir et à répondre rapidement à la demande du peuple.

La guerre peut devenir révolutionnaire, elle permet à l’homme de se dépasser dans le combat et  à la civilisation de progresser. Proudhon a chanté les vertus guerrières dans un de ses livres les plus important La Guerre et la paix, dont le titre fut repris par Tolstoï : « Salut à la guerre ! C’est par elle que l’homme, à peine sorti de la boue qui lui sert de matrice, se pose dans sa majesté et sa vaillance. C’est sur le corps d’un ennemi battu qu’il fait son premier rêve de gloire et d’immortalité ».

Proudhon meurt en 1865, il laisse une oeuvre immense et de nombreux disciples venus des horizons politiques les plus variés. La richesse de la pensée proudhonienne lui permet de rester toujours d’actualité après la faillite des systèmes communistes et libéraux. Les NR sont ses héritiers directs, les seuls à lutter pour la sauvegarde de la nation et la défense du peuple.

Frédéric Canfranc

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