La Tradition Primordiale est un sujet pour le moins original. Très peu connu du grand public, le thème ne passionne que des cercles assez intellectuels, des milieux parfois authentiquement, parfois relativement cultivés. Le profane ne peut que se sentir intimider par ce qui semble être un déluge de spéculations métaphysiques, intelligible au prix d’un important effort d’érudition. L’autre grand problème est qu’une série d’amateurs, racistes égarés, ont utilisé le vocabulaire et l’ont en partie confisqué, ce qui peut donner à certains termes une connotation très éloignée du sens désiré. Surtout lorsqu’il s’agit de parler d’une « race supérieure » de dolichocéphales blonds. Ces quelques lignes ne s’adressent pas aux spécialistes, mais plutôt à ceux qui comme moi, ont découvert le sujet il n’y a pas si longtemps, ou alors le découvrent tout juste.
L’idée de la Tradition Primordiale est d’affirmer que toutes les religiosités qualifiées de « traditionnelles » ont, par-delà les révélations qui leur sont propres, une origine commune. En l’occurrence, une révélation première, originelle, dont dérivent ces spiritualités. Cette affirmation s’est construite à partir de la paléo-épigraphie, de l’étude comparée des mythologies comme de celle des symbolismes.
Cette révélation primordiale aurait une origine géographique précise. Elle aurait eu lieu en Arctique, à une époque où le peuple arctique, plus connu sous le nom d’Hyperboréens, l’occupe . Selon Hermann Wirth (1881-1981), un philologue néerlandais qui estima avoir trouvé non seulement l’alphabet mais aussi la religiosité de ce peuple, les Hyperboréens ont quitté leur espace d’origine, nommé par convention « Thulé », en raison d’un cataclysme, un « grand hiver », dont nombres de peuples, comme les Perses, les Celtes ou les Hindous, ont conservé la mémoire à travers leur mythologie et leurs textes sacrés. Alexandre Douguine a d’ailleurs consacré un ouvrage à ce qu’il est convenu d’appeler la « théorie hyperboréenne », publié cette année par les éditions Ars Magna. Il y vulgarise et commente les idées d’Hermann Wirth.
Alors pourquoi s’intéresser à ce sujet ? La réponse dépend du public lui-même, quoique…
Pour les croyants, il y aura confirmation de la sacralité de leur foi, mais aussi un pont à jeter entre les spiritualités traditionnelles. Ce dialogue intéressera ceux qui estiment qu’un « Front de la foi » est légitime et souhaitable. Cette perspective, nécessaire pour éviter toute nouvelle guerre de religion ou plus généralement toute division sur la base unique de la foi, ne peut déplaire qu’aux fanatiques, ceux qui appartiennent à « l’Infâme », dont parlait un certain Voltaire. Aussi, ces mêmes croyants y trouveront un argumentaire contre les spiritualités totalement révolutionnaires ou « progressistes ». D’autres croyants, s’ils en sont convaincus et en ont le courage, pourraient remettre en cause leur propre foi pour se conformer à une tradition différente, à l’image de René Guénon, passé de la franc-maçonnerie à l’islam, qu’il jugeait plus proche de la religion hyperboréenne originelle. Le croyant y trouvera sans doute aussi une confirmation de ce qu’il jugera être la vacuité de l’athéisme.
Pour les non-croyants, l’intérêt est autre, mais réel. La théorie hyperboréenne révèle que les « Thuléens » ne croyaient pas en un dieu comparable au Dieu abrahamique. Sa morale, sa conception du monde, construite si on suit Wirth autour de l’Idée de « Lumière du Monde », est une conception organique du monde, considérant la Lumière comme synonyme de vie. Les Hyperboréens, toujours selon Wirth, auraient été les ancêtres des castes dominantes, c’est-à-dire les guerriers et les prêtres. L’univers des Hyperboréens est profondément naturaliste, forgé par la seule observation du Soleil, de la Lune, du cycle des saisons, du mouvement des astres. La civilisation de Thulé établit une harmonie entre symboles, langue, phonétique, ou encore phénomènes naturels. Elle est à elle seule une conception du monde dont on peut se demander si la couche de religiosité est bien nécessaire. Julius Evola affirmera en 1942 dans son livre Le Mythe du Sang que les Hyperboréens avaient « une perception des lois spirituellement suggérées par la nature ». L’athée profond peut aussi y voir un argument contre les religiosités abrahamiques, en particulier lorsque Wirth affirme que « la conscience du Dieu d’Israël (…) ne pouvait apparaître que comme la décadence d’une religion mondiale au rang de religion locale. »
Croyants comme non-croyants peuvent ici se mettre d’accord sur une conception spirituelle de l’existence, spirituelle non pas nécessairement au sens surnaturel, puisque la religiosité hyperboréenne n’a pas de dogme. Elle justifie une conception du monde « solaire », comme l’affirme Julius Evola dans son livre Révolte contre le monde moderne, publié en 1934, où développera notamment l’idée selon laquelle les sociétés humaines ne cessent de décliner depuis la chute de l’Hyperborée, justifiant ainsi une conception du monde non pas décliniste, mais cyclique. Nous sommes même si on en croit le Baron au terme de l’âge de fer, qu’il désigne ici en reprenant un terme de la cosmogonie hindoue, le « Kali Yuga », dernière étape d’un grand cycle qui sera suivi par le grand retour de l’âge d’or, hyperboréen.
L’idée de Tradition primordiale peut être vue comme une conception égalitaire des cultures, donnant ainsi raison à Alain de Benoist qui affirmait qu’il ne pouvait pas y avoir de comparaison entre les cultures et les identités du monde puisqu’il n’existait pas de critère universel pour les juger. Elle incite aussi au respect des autres civilisations, et aussi de la Femme, dont le rôle sacré dans la Tradition primordiale hyperboréenne est commenté par Wirth.
Alexandre Douguine, en partant des thèses d’Hermann Wirth, a pu affirmer que : « On n’est pas obligés d’accepter inconditionnellement la théorie du cercle culturel de Thulé, mais une évaluation de son potentiel interprétatif est nécessaire. »
J’estime qu’il y a un autre intérêt à étudier ces thèses : La civilisation hyperboréenne telle que la voit Wirth est une civilisation dont le langage, l’environnement et l’existence tout entière ont pour socle une conception de l’Harmonie et du Sacré élevées, étrangère à toute conception matérialiste de l’existence. On ne trouvera pas dans cette spiritualité reconstituée d’interdits, de péché originel, ou de Seigneur jaloux. On trouvera bel un bien un « clergé », exclusivement composé de femmes selon le savant hollandais, et ce sans pour autant qu’il s’agisse d’un matriarcat pour autant. La civilisation hyperboréenne est une civilisation incompatible, absolument et radicalement, avec le « monde moderne ». Hermann Wirth, ce savant encore mal connu, affirmait encore que ceux de nos contemporains qui ne parvenaient pas à abandonner le culte de « Mammon » ne retrouveraient pas la « Lumière ».
Assurons-nous de la (re)trouver, notamment en accordant un intérêt réel à la culture des Hyperboréens.
Vincent Téma, 25/08/2023.