Je m’excuse d’avance pour le pavé qui s’annonce, mais il fallait que je couche quelques considérations à l’intention de la mouvance, sur le RN et notre avenir. Je vous prie de lire jusqu’au bout et vous remercie de partager ! Ceux qui me croisent souvent dans des colloques ou des événements politiques vont connaître le discours que je m’apprête à tenir dans ce post. J’ai tendance à le répéter systématiquement auprès des militants des différentes structures de la mouvance identitaire depuis mon passage puis mon licenciement du Rassemblement National. Je vais tenter, pour une fois, de le mettre par écrit, pour rassembler et clarifier mes idées.
Aujourd’hui, nous apprenons qu’une perquisition a lieu dans les locaux du Rassemblement National à Paris. Elle se fait dans le cadre d’une enquête sur des soupçons de financements illicites du parti. Je n’ai pas d’opinion particulière à ce sujet : le système déploie évidemment un acharnement judiciaire contre le RN, qui se rapproche du pouvoir – nous l’avons vu dans le cadre de la condamnation de Marine Le Pen pour l’affaire des assistants parlementaires ; quand bien même les pratiques qui ont été reprochées au RN (faire travailler des assistants pour le compte du parti) sont usitées par ses adversaires.
Mais cette perquisition me permet de rebondir sur une théorie qu’il est, je crois, essentiel que les militants identitaires, radicaux, nationalistes – en bref, la mouvance extraparlementaire dans son acceptation la plus large, en passant de l’Action Française jusqu’aux mouvements activistes – comprennent.
La base de ma réflexion prend racine dans la stabilité électorale du Rassemblement National. Souvent concurrencé tout au long de son histoire, le RN a connu plusieurs partis que l’on pourrait qualifier de “RN-killers” : des offres politiques alternatives qui, face à des faiblesses perçues de la maison mère, cherchaient à le concurrencer électoralement. On a eu la scission mégretiste, la tentative institutionnelle des identitaires avec le Bloc Identitaire, plus tard Reconquête et la vague zemmouriste, et enfin, aujourd’hui, un statu quo avec des partis satellitaires du RN, à savoir UDR et IDL.
En général, les partis “alternatifs” au RN se construisent sur deux critiques, et l’on retrouve la même offre politique en leur sein : – une proposition alternative à la ligne économique du parti, perçue (à tort ou à raison) comme trop socialisante, – une critique sur la qualité des cadres du parti (Mégret ne se voulait pas forcément plus radical que Jean-Marie Le Pen, mais plus crédible, plus technocrate). En général, les aventures institutionnelles alternatives au RN ne font pas long feu : l’électorat du RN est sécularisé, inamovible, ne se transfère que difficilement d’une offre à une autre. La séquence Zemmour l’avait illustré : nombre d’électeurs RN (et j’ai pu le constater sur le terrain) n’étaient pas au fait des transfuges de cadres, ne percevant pas que Zemmour était un “voisin idéologique” du parti. Sans hostilité aucune pour Reconquête, sa sociologie, son offre politique, sa présentation étaient trop parisiennes, son ton trop peu populiste pour réussir à déplacer un électorat captif.
De R! et d’autres expériences alternatives au RN, nous pouvons tirer une conclusion : la surenchère en radicalité, le “retour à une ligne dure”, n’est pas un argument suffisamment convaincant pour fragiliser l’électorat RN, quand bien même le parti traverse des crises internes importantes (fuites de cadres, scissions…). Sur quelle plus-value alors peuvent s’appuyer les partis alternatifs au RN ? L’économie.
Avec un discours libéral, ces partis parviennent à séduire la maigre sociologie libérale-conservatrice qui subsiste en France. C’est grosso modo le 7 % de Reconquête. On y ajoute quelques sociologies de niche, comme les conservateurs catholiques, et l’on retrouve l’électorat “classique” des alternatives au RN. Aujourd’hui, le terrain libéral-conservateur est saturé : UDR l’occupe avec plus de crédibilité et de bénéfice pour le RN que ne le fait IDL ; et R!, qui parvient à exister médiatiquement grâce à l’efficacité de Knafo, conserve un espace politique par sa radicalité assumée et une certaine sincérité perçue (n’oublions pas que Rigault fut l’un des seuls responsables politiques à défendre les gars de l’Alvarium lors des événements de la rue du Cornet, et que R! n’a jamais cherché à condamner nos manifestations, y prenant part parfois).
Nous devons alors nous poser la question suivante : qu’est-ce qui fait voter RN ? Et plus largement, quelles sont les motivations du vote à l’extrême droite ?
Mon intuition est la suivante :
1. L’opposition à l’immigration et la volonté de la réduire. Le motif identitaire. C’est le principal moteur de vote : il se croise parfois avec des motifs sociaux, mais il est avant tout propulsé par l’instinct de survie du peuple français. Le RN bénéficiera toujours de ce vote, car le nom Le Pen est ancré dans l’imaginaire collectif comme celui de la contestation du phénomène migratoire. Marine Le Pen peut apparaître sur un plateau de télévision, considérer l’Islam compatible avec la République, refuser l’inversion des flux migratoires ou même cesser de parler d’immigration avec un Zemmour crédité à 15 % dans les sondages ; que son électorat ne la sanctionnera pas pour ça. C’est comme ça.
2. Le dégagisme politique. Le “tous-pourris”. Les Français, qui se sentent trahis à raison par une classe politique mondaine, qui les a condamnés pendant longtemps au bipartidisme, empêtrée dans des affaires de mœurs, de corruption, veulent essayer “autre chose”. Pendant longtemps, le FN puis le RN ont avancé une rhétorique de l’alternative qui leur a bénéficié : en chargeant l’UMPS, en ayant un JMLP puis une MLP intransigeante sur les affaires de moralité publique, une partie non négligeable de leur attrait électoral s’est construite sur cette plus-value, avec l’incarnation qui suivait. Un parti perçu comme populaire, honnête, moral, etc.
Mais c’est là que, je crois, les choses commencent à changer : avec son institutionnalisation massive en 2022, le parti s’est éloigné anthropologiquement de ses aspirations populistes. Il paraît moins offensif sur les questions de moralité de la vie publique, se traîne quelques affaires (desquelles il faut différencier celles qui sont pilotées et instrumentalisées de celles qui ont un fond de vérité et relèvent de véritables magouilles), et présente, par son travail parlementaire, certaines connivences avec des lobbys – le vote sur le PFAS ou la récente loi Duplomb.
Le RN ne pâtit pas encore tellement des conséquences de cette réorientation : son électorat n’est pas encore “au fait”, lui pardonne certaines affaires, mais probablement que dans un futur proche, si cette dynamique se poursuit, cette confusion entre le RN – voté et élu pour être un parti alternatif, populiste – et le reste de la politicaillerie ambiante lui portera préjudice.
3. Enfin, la question de la décentralisation comme moteur de vote à l’extrême droite me paraît essentielle, bien que plus marginale. L’électorat RN est périphérique, il ne porte pas vraiment dans son cœur la concentration du pouvoir médiatico-mondain-politique dans le tout-Paris.
En dehors de quelques endroits, les régionalismes sont marginaux électoralement en France : mais quelques signaux faibles nous indiquent qu’il y a une demande grandissante à ce sujet. La Corse place dans certaines circonscriptions Palatinu à 4 % avec une campagne de trois semaines à peine post-dissolution (et il faudra suivre les municipales). Jean Lassalle est plébiscité à hauteur de 3 %, monte à 5-6 % dans certaines régions (fait amusant, selon Fourquet, en suivant la frontière langue d’oïl / langue d’oc) et sa fin de carrière politique a laissé son électorat orphelin. Un électorat “terroir” et favorable à la décentralisation, qui plane encore aujourd’hui dans le vide. Sur la décentralisation, l’institutionnalisation n’a pas fait du bien au RN : outre des votes en défaveur des langues régionales par excès de zèle républicain, le parti s’est anthropologiquement parisianisé, avec un certain nombre de députés parachutés, peu enracinés dans leurs circonscriptions et plus passionnés par la course à la médiatisation que par le travail de terrain local. L’absence de socialisation de l’électorat se ressent particulièrement au moment de mobiliser. On songe ici à la manifestation de soutien à Marine Le Pen. Quel intérêt de garder à l’esprit les trois axes suivants dans notre militantisme ?
L’entrisme n’est plus d’actualité. Les identitaires rentrés au RN en sont sortis avec Zemmour. Et quel intérêt avons-nous, radicaux, à faire de l’entrisme au sein du RN ? Changer ses thèses le marginaliserait électoralement. Viens donc à nous le constat suivant : la mouvance au sens large doit exister politiquement. Et pour exister politiquement, elle doit se construire une plus-value, une différence consubstantielle par rapport à la doctrine du RN. En somme, un espace politique. Espace politique que l’on pourrait résumer ainsi : Intransigeance identitaire – Moralité de la vie publique – Décentralisation – Style populiste
On y ajoute quelques thématiques de niche, qui sont les nôtres : écologie de droite, spiritualité et religion, conservatisme sociétal, etc.
Cette formule doit être celle qui motive l’action des radicaux, alternatifs : dans une moindre mesure, les constats cités plus haut peuvent également inspirer les partis institutionnels (IDL, UDR, R!) pour sortir de l’impasse de la formule nationale-libérale, étroite, qui ne prend pas en France. Plus que du libéral-conservatisme, nous avons besoin d’une forme de poujadisme : c’est-à-dire, certes une certaine flexibilité sur les questions économiques, mais sans passer pour les supplétifs identitaires du MEDEF. Une justice sociale des petits, de la petite entreprise, des intérêts de la classe moyenne, etc., et avec une forme vindicative, qui tient plus de la colère légitime face au marasme ambiant que du pragmatisme cynique des économistes libéraux. Si demain, les radicaux devaient se constituer électoralement – et il le faudra un jour – je suis persuadé que c’est sur la base de cette formule que cela se fera. Non pas parce qu’il faut “détruire” le RN, mais parce qu’il est vital, pour nous, comme pour la France, qu’il existe quelque chose à sa droite.
Raphael Ayma.