Depuis longtemps, dans la plupart des journaux et mouvements NR, on constate une véritable fascination pour les références permanentes, parfois pertinentes et sympathiques, à des « exemples » étrangers.
Mussolini, J.A. Primo de Rivera, C. Codreanu ou encore L. Degrelle ont la faveur des nationalistes et fascistes « classiques », tandis que les NR de gauche et les révolutionnaires conservateurs leur préfèrent des auteurs allemands, russes ou italiens, qui s’ils sont originaux et « indépassables » idéologiquement, n’en sont pas moins inconnus du grand public, et à mon avis difficilement « exploitables » politiquement.
Dans les deux cas, c’est oublier un peu vite nos exemples révolutionnaires et « socialisants » purement nationaux qui passent au second plan, quand ils ne sont pas purement et simplement occultés. C’est une double erreur, car la mise en exergue d’exemples étrangers peut faire croire à l’indigence doctrinale du courant NR français, et parce que cette tendance contribue à obscurcir le débat par des références « hermétiques ».
Pourquoi ne pas mettre plus en avant G. Valois ? Parce que son expérience « fasciste » a été courte ? Parce qu’il a évolué par la suite ? Sa contribution ne fut pourtant pas mince dans la rénovation du nationalisme, par son réancrage à gauche et par son côté « précurseur ».
Déat, Doriot ? Trop marqués par une période maudite ? Trop engagés dans des entreprises étrangères ? Pourtant Doriot fut le seul leader « fasciste » français à avoir pu mettre en place une organisation de masse et dans le même temps à avoir su attirer autant de talents intellectuels.
Reste Marcel Bucard, patriote, nationaliste et révolutionnaire, qui s’est toujours proclamé seul représentant authentique du fascisme français.
D’entrée de jeu, éliminons les critiques les plus faciles à son égard. Le militarisme ? C’est le fait des hommes de sa génération, marqués par la grande guerre. La référence au christianisme ? Alors il faudrait aussi « vider » du panthéon fasciste Degrelle, Codreanu, Primo de Rivera et combien d’autres !
Ses attaches avec des bourgeois industriels généreux ? Quel révolutionnaire de « gauche » ou de « droite » n’a pas eu recours à de généreux donateurs ?
Personne ne peut remettre en cause la radicalité de son nationalisme ni l’orthodoxie de son fascisme. Encore faut-il rappeler que le Francisme se voulait tout à la fois « l’expression française du fascisme, et l’expression particulière d’une forme de nationalisme ».
Mais il était plus que cela, il était un mouvement pour lequel le fascisme n’était pas qu’une idéologie de plus, ni même une doctrine figée ; il y avait au delà une sorte de mystique qui n’avait rien à envier à celle d’un mouvement spiritualiste tel que la Garde de Fer roumaine de Codréanu. Mystique non-religieuse, plus que politique, une véritable mystique révolutionnaire française. Difficilement descriptible mais dont on peut retrouver l’esprit dans une publication comme Le franciste, et surtout dans le ton et les thèmes abordés dans Les Cours Francistes, véritables mines d’or de l’étendue des domaines de recherche, d’analyse, qui constituait le cadre de réflexions et de formation des jeunes francistes. Mais la mystique franciste va encore au-delà et seuls ceux qui l’on vécue pouvaient exprimer, et encore assez difficilement, ce qu’avait pu être le niveau spirituel particulier du Francisme, par rapport à tous les autres fascismes français. André Cantelaube, ancien cadre de la Jeunesse Franciste, et par la suite Main Bleue (structure dont on ne sait quasiment rien, puisque c’était une sorte de société secrète à l’intérieur du parti), avait lui-même du mal à exprimer l’intensité et la teneur de cette mystique franciste, tant le côté indicible de la chose était marquant.
Dans des domaines plus « palpables », on connaît ou on reconnaît trop peu au Francisme ses côtés NR incontestables parce qu’authentiques.
Il n’en reste pas moins qu’il était véritablement socialiste et révolutionnaire à la fois dans sa filiation (Bucard a été membre du Faisceau de Valois, puis responsable de la Milice Socialiste Nationale de Gustave Hervé), que dans ses inspirations et propositions programmatiques.
Le Francisme a aussi initié l’hommage rendu par nos milieux aux insurgés de la Commune dès avant la guerre.
Il a surtout eu un réel recrutement prolétarien, et a su bien avant un événement comme la fondation du PPF de Doriot, rallier nombre de militants socialistes et communistes, mais aussi de cadres et d’élus de villes importantes, des membres du Comité central du Parti communiste, des responsables des jeunesses communistes, etc.
Il ne s’agit pas de faire ici le panégyrique du Parti Franciste, mais d’indiquer une piste de recherche peu exploitée du patrimoine doctrinal et politique NR purement et réellement français. Même les plus « intégristes » des fascistes et nationalistes français d’après-guerre s’y sont peu risqué. C’est dommage, car malgré certaines apparences trompeuses, Bucard n’était pas un homme de droite, son mouvement était plus à gauche qu’à droite, et il l’a démontré dans la pratique : en refusant de s’allier avec les ligues de « droite », en participant ou en déclenchant des grèves dans des secteurs économiques où ses militants avaient un certain poids (principalement dans l’Est de la France), en dépassant réellement tous les clivages existant antérieurement.
Cette référence, discutable parce qu’assez méconnue, au Francisme, en choquera quelques uns. Il faut l’aborder sereinement, sans veine nostalgie ni apologie inconditionnelle. Mais à bien des égards, cela reste une expérience originale, et riche humainement.
Cette organisation et cette doctrine n’ont certes pas conquis les « masses », mais ont durablement marqués leurs adeptes. Et si souvent, par volonté de transposition, nombreux sont ceux qui identifient le FN soit au PSF soit au PPF, on peut aussi soutenir que plusieurs aspects du Francisme trouvent leur place dans l’originalité du Front National : la personnalité du leader : combattant, énergique à l’extrême, adulé par ses partisans dans les deux cas ; les références doctrinales franco-françaises qu’on pourrait qualifier de national-nationalistes ; la volonté de créer un nouveau nationalisme, et un nouveau courant politique ; la défense de l’unité biologique du peuple français dans sa diversité, et l’exaltation simultanée des peuples de l’Empire (les Français de toutes les couleurs !), alliant ainsi pureté des origines et humanime lié à l’histoire particulière du pays (le FN a ses harkis, le Francisme avait ses « sections coloniales »). Ne poussons pas plus les comparaisons, elles pourraient choquer des esprits trop étroits. D’autant que si le FN tout en y faisant pas ou peu référence, n’assume aucune filiation particulière, il est l’héritier de plusieurs et surtout le créateur contemporain d’un style propre et inédit.
Thierry Maillard.
Article paru dans le n°2 de Résistance (1998).