L’épopée du Katanga racontée par un mercenaire germano-italien

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« J’ai sauvé des religieuses et des frères du bûcher des rebelles, mais le pape s’en fiche s’il me brûle la peau », disait l’une des chansons des mercenaires du Katanga. Robert Muller a été l’un des protagonistes de la célèbre guerre du Congo, ou plutôt du Katanga, qui s’est déroulée au début des années 1960 et qui a vu des milliers de jeunes Européens, y compris des Italiens, partir pour l’Afrique, en partie par esprit d’aventure, en partie pour le rêve de défendre une idée, en partie parce que l’histoire d’un petit pays se rebellant contre un grand pays et contre tout le monde était fascinante. Robert Muller, fils d’un soldat allemand de la Wehrmacht et d’une Italienne, ainsi que Ippolito Edmondo Ferrario, expert en la matière et déjà  auteur de livres sur cette guerre, nous ont livré leurs mémoires dans Un parà in Congo e Yemen -1965-1969, publié aux éditions Mursia en 2017. Ce n’est pas le premier mémoire sur l’expérience du Katanga, mais c’est une fresque vivante et immédiate de ce qu’a pu être cet enfer à l’époque, et de la façon dont ont été jetées les bases de ce qui se passe aujourd’hui, de la façon dont certains schémas se répètent de façon cyclique.

Muller est né en 1942  à Milan et y a vécu sa jeunesse. La ville qu’il décrit est profondément différente de celle d’aujourd’hui. Sa famille était de condition modeste, et la mort précoce de son père n’a fait qu’aggraver la situation. Muller s’est rapproché des cercles néo-fascistes milanais, partageant leurs luttes, leurs idéaux et leurs rêves. Et c’est peut-être à la poursuite d’un rêve qu’il est parti à l’aventure avec son inséparable ami Noni. Il faut dire qu’il a eu de la chance, car, comme il le raconte lui-même, beaucoup d’autres mercenaires ont laissé leur vie sur le sol africain, souvent en se battant pour sauver les colons et les Européens de la fureur des luttes tribales sur les feux desquelles soufflaient les puissances occidentales et les Nations unies elles-mêmes. Une autre note mérite d’être mentionnée : outre les solides Belges, Sud-Africains, Rhodésiens, Français et Allemands, il y avait, au Congo, de nombreux Italiens, sans qu’il soit jamais possible d’en connaître le nombre exact. Des fantômes, inconnus, dont la mémoire s’est perdue et dont certains sont enterrés là-bas. Les mercenaires ont été – et sont encore – méprisés par les bien-pensants, qui pensent qu’ils ne sont que des tueurs payés pour tuer.

Cette page d’histoire devrait être examinée en profondeur, car si d’un côté il y avait les mercenaires, de l’autre il y avait des mercenaires politiques, cubains et soviétiques, qui disputaient les ressources africaines à l’Europe qui, jusqu’alors, avait laborieusement occupé les États africains non pas pour les piller, mais pour construire des infrastructures, des routes, des chemins de fer, des services postaux, des administrations publiques, des hôpitaux, des maisons en briques, etc.

La décolonisation précipitée, sur laquelle ont soufflé non seulement les communistes internationaux, mais aussi les compagnies minières américaines et les organisations supranationales, a déchaîné les populations locales dans une guérilla féroce contre les Européens, avec des atrocités sans précédent, que l’on a également vues au Kenya avec les Mau Mau et, plus récemment, au Rwanda et au Burundi, des massacres auxquels seuls les mercenaires, tant décriés, ont réussi à s’opposer, sauvant la vie de milliers de civils qui, sans eux, auraient été massacrés sans pitié, comme ce fut le cas pour nos aviateurs à Kindu, une autre page qu’il faudrait peut-être lire avec plus d’attention.

La description que Muller et d’autres font du Katanga et du Congo dans ces années-là fait réfléchir : des villes bien rangées, des bars, des magasins, des usines en état de marche, un système de transport qui fonctionne. Allez au Congo aujourd’hui, dans ces mêmes lieux évoqués par Muller : Bukavu, Goma, le Kivu. Alors paradis authentiques, aujourd’hui camps de réfugiés infernaux, terres de non-droit ravagées par le crime, les épidémies, la faim. Pas d’échappatoire aujourd’hui pour l’un des territoires les plus riches de la planète mais dont la population n’a ni présent ni avenir. Les mercenaires ont dû déposer les armes et fuir, laissant cette nation aux mains de Mobutu, Kabila et autres dictateurs sanguinaires. Sommes-nous sûrs qu’ils ont gagné au change ?

Antonio Pannullo.

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