Réfléchir et agir questionne Christian Bouchet

valois

Ton père étant officier dans la marine marchande, tu as surtout été élevé par ta mère et ta tante. Elles étaient des lectrices de Rivarol et d’Aspects de la France. Je me doute que ces journaux ont joué un rôle dans ta formation de jeunesse, non ? Quels autres événements ou motifs t’ont-ils poussé à t’engager très jeune ?

Ces journaux ont sans doute eu une influence indirecte par ce qui se disait entre les adultes à la table familiale. Mais ce qui m’a surtout fait politiquement c’est d’avoir été élevé dans une famille immergée dans la droite radicale. Un de mes oncles avait été Camelot du roi, un de mes mes cousins était dans l’OAS, mon grand-père avait été épuré, ma mère et ma tante avaient fait de la prison politique, la majeure partie de leur relationnel était constitué d’épurés ou de militants et plusieurs amis de la famille connurent la prison pour fait d’Algérie française.

Je me suis engagé en réaction à mai 68, mais il n’y aurait pas eu mai 68, il est très vraisemblable que je me serais engagé quand même. Il y avait une logique familiale, une logique qui remontait pour certaines branches de ma famille à 1793.

Pourquoi cet intérêt pour Aleister Crowley ?

À cause de la thèse révisionniste d’Henri Roques !

?

Oui, j’ai fait une maîtrise d’histoire à l’Université de Nantes au moment où celle-ci était agitée par le scandale né après qu’elle ait accordé un titre de docteur à un révisionniste notoire.

Mon idée personnelle était alors de faire des recherches sur l’histoire du mouvement national en Loire-Atlantique. J’avais soumis des projets de mémoire sur les ligues, l’OAS, etc. Et les enseignants, qui voulaient absolument faire profil bas, ont tout refusé. Comme mon professeur principal avait une spécialité en histoire des religions, j’ai eu l’idée de lui proposer de faire un travail de recherche sur le magicien et franc-maçon britannique Aleister Crowley que je connaissais, entre autres, par Evola.

Mon mémoire a été soutenu et remarqué. Un enseignant de Paris VII qui l’avait lu m’a alors proposé de continuer mes recherches dans le cadre d’une thèse en ethnologie, anthropologie, histoire des religions. J’ai accepté. Cinq années plus tard, j’étais docteur et, comme mon doctorat était le premier travail universitaire au monde consacré à ce fameux Crowley, j’en devins, pendant un temps, l’unique spécialiste.

Ma thèse a été publiée, traduite en plusieurs langues. Tout cela a attiré l’attention sur moi et on m’a proposé de valoriser mes connaissances en publiant des livres de vulgarisation sur des sujets connexes. Je me suis ainsi retrouvé à écrire sur la wicca, l’anthroposophie, le spiritisme, le paganisme, l’islamisme, etc. ; à rédiger des biographies de Gurdjieff, Steiner, Wiligut, Kardec, etc. Certains de ces titres ont été traduits en allemand, italien, anglais, portugais…

Je n’avais jamais pensé que mon mémoire de maitrise d’histoire aurait une telle influence sur ma vie…

Cela dit, Crowley suscite curieusement des tas de fantasmes chez les imbéciles. Quand on s’intéresse à lui sérieusement, il n’y a pourtant aucune raison d’en avoir. C’est un excentrique anglais, un militant, un temps, de la droite la plus réactionnaire qui soit (il alla jusqu’à trafiquer des armes pour l’Internationale blanche!), un grand séducteur, un alpiniste renommé, un homme d’une extrême culture, c’est aussi un franc-maçon dissident. On pourrait résumer en disant que c’est une sorte de Julius Evola sous acide…

Pour ce qui est de ses disciples, durant ma thèse et la rédaction de mes livres, j’ai été amené à les fréquenter ainsi que d’autres marginaux spirituels. J’ai trouvé ce milieu, composé en grande partie d’aliénés et de mythomanes, extrêmement médiocre. Il n’y a que chez les disciples de Gurdjieff que j’ai rencontré, bien plus tard, de l’intelligence et de la bienveillance

Je sais que les spiritualités t’intéressent. Es-tu toi-même quelqu’un de religieux ou d’animé d’une quelconque foi ?

C’est surtout l’étude des marges qui m’intéresse. Je n’ai pas de sympathie pour les spiritualités déviantes, au contraire j’ai le plus souvent intellectuellement du mépris pour elles, mais dans le même temps elles me passionnent comme phénomène, comme sujet d’étude.

Pour ce qui est de ma foi. C’est celle que m’ont transmis mes parents. Je suis catholique romain. Quant à ma religiosité, elle relève du catholicisme que l’on qualifie d’identitaire en cela que je suis principalement intéressé par ses formes enracinées et traditionnelles, lointains et seuls réels vestiges du paganisme indo-européen.

Tu es un très bon connaisseur de la Tradition. Au risque de te choquer, je n’ai jamais accroché à la Tradition que je trouve plutôt fumeuse… (j’ai pourtant lu les auteurs les plus marquants, j’ai lu également six ou sept livres d’Evola, et même Révolte contre le monde moderne ou Les Hommes au milieu des ruines ne m’ont pas laissé une marque bien durable.) Qu’apprécies-tu chez Evola, Daniélou, Guénon et les autres ?

L’œuvre de Guénon est très inégale et sa vie très décevante, très médiocre. À mes yeux, sa principale, mais non unique, faiblesse c’est d’être sorti de sa tradition native en se convertissant à l’islam. Pour moi, après ses premiers errements maçonnico-occultistes, il aurait mille fois mieux valu qu’il rejoigne un tiers ordre ou qu’il entre dans un monastère. Daniélou aussi est un converti, mais son mode de vie et sa vue du monde sont plus proches des miens. Cela dit, je ne classerais ni l’un ni l’autre parmi « mes maîtres », ils sont juste pour moi des influences secondaires mais non négligeables. Si je dois me référer à une autorité supérieure en manière traditionnelle, ce sera Evola et Douguine qui se complètent parfaitement. Et je me retrouve tout à fait dans cette citation du dernier : « S’il faut décrire mes positions, je dirai que je suis d’abord un traditionaliste, c’est-à-dire un disciple de René Guénon et de Julius Evola. Les livres de ces deux auteurs ont puissamment contribué à ma formation. Mais en partant de leur vision apocalyptique du monde moderne et de leur appel à se révolter contre lui au nom d’une Tradition sacrée, je recherche aussi les moyens, théoriques et pratiques, de réaliser quelque chose d’historiquement concret pour combattre réellement la modernité et restaurer la Tradition, contrairement à ces traditionalistes qui se contentent de se lamenter en vain sur le kali yuga. Ma préoccupation est donc de trouver les moyens de relier mes idées traditionalistes aux réalités concrètes de la politique, de la géopolitique, de la culture, de la philosophie, etc. ».

Ajoutons à cela que je me retrouve comme « en pays de connaissance » dans toute forme traditionnelle, ce qui fait que je suis spirituellement plus proche d’un chiite iranien, d’un soufi turc, d’un shivaïte indien, d’un orthodoxe russe ou d’un hassid de Satmar que d’un protestant yankee ou d’un laïc français. C’est la notion de Front de la Tradition que, comme Douguine, je défends.

Dans ton livre, tu dresses un portrait peu flatteur de Savitri Devi (de la femme, pas de l’œuvre) que tu as rencontrée en Inde. Peux-tu nous raconter ce souvenir ?

Il n’y a pas grand-chose à en dire. Elle était devenue une vieille dame qui vivait dans un appartement sordide avec plus d’une dizaine de chats… L’odeur d’urine était insoutenable. Comme cette gente féline ne lui suffisait pas, elle dépensait ses revenus pour nourrir chaque soir tous les chats errants qu’elle pouvait rencontrer dans les rues de New Delhi a une période où la pauvreté y était encore très forte. D’une certaine mesure c’était une contre-Mère Thérésa. Quant à son idéologie, c’était devenu du nazisme ésotérique sans grand intérêt, des fantasmes sans liens avec le national-socialisme réel, la tradition ou la politique… C’était typiquement l’auteur qu’il faut lire mais ne surtout jamais rencontrer si on veut continuer à lui accorder son respect.

Comme la rédaction de R&A, tu appartiens au courant national-révolutionnaire (nous nous définirions aussi, sauf Scipion et toi, comme nationaux-socialistes). Ce courant très riche doctrinalement a finalement toujours été très marginal en nombre en France…

Pour parler comme Bourdieu, tout dépend du champ auquel on se réfère.

À l’époque des GNR, le courant NR était sans doute aussi important en nombre de membres au sein du FN que le courant purement lepeniste.

Le FN ayant pris son essor, il est sorti du champ radical. Donc, il faut comparer ce qui est comparable. Troisième Voie et Unité radicale ont vraisemblablement été, en leur temps, les plus grosses structures natios extra-parlementaires. Maintenant, les fafologues estiment que la mouvance radicale est divisée en trois tiers : roycos, zids et NR, les groupes n’appartenant pas à une de ces dénominations ne faisant que de la figuration.

Cela étant, il ne faut pas oublier que les groupuscules peuvent avoir une influence idéologico-politique qui est sans lien avec leur taille.

Gilles Martinet, qui a passé une partie de sa vie dans des micro-mouvements de la gauche extrême l’a ainsi expliqué : « Je n’ai jamais cru à l’avenir des petites organisations se situant en marge des grandes formations historiques. Et pourtant, j’ai participé moi-même à la constitution et à la direction de plusieurs de celles-ci. C’est que je croyais que leur existence et que leur combat pouvaient entraîner des changements au sein des grands partis. » Nicolas Lebourg qui lui est un universitaire de gauche, mais dont les travaux sont intéressants, écrit dans son doctorat : « Au sein même du système politique concurrentiel, les groupuscules trouvent leur importance en leur travail de ‟veilleur” et de fournisseur de concepts et d’éléments discursifs aux structures populistes qui ont, quant à elles, accès à l’espace médiatique » et d’expliquer que les nationalistes-révolutionnaires ont fourni au Front national nombre de ses idées essentielles dont l’anti-américanisme, l’anti-immigration, un temps l’ost-orientierung, et, selon ses propres termes, « l’ont ainsi armé lexico-idéologiquement ». Ils ne sont pas les seuls à l’avoir fait puisque les Identitaires, depuis, ont armé le Rassemblement national et Reconquête avec les concepts plus faciles d’accès d’identité, de remigration et de racisme anti-blanc. Ceci justifie très bien un engagement groupusculaire dès qu’il est intelligent et non muséal.

Tu as connu tous les mouvements NR hexagonaux, des GNR au Bastion social. Comment expliques-tu l’empreinte assez flatteuse qu’a laissé Troisième Voie ?

Sans doute parce que ce fut le dernier mouvement radical à rassembler en son sein tant de cadres hors normes. Après lui, ses successeurs ont été siphonnés de leurs potentiels cadres de haut niveau par le Front national.

À TV, il y a quand même eu, adhérents en même temps et membres de sa direction, Burgalat, Vivenza, Ayoub et Larebière… Tous les cadres étaient des pointures. Par exemple, j’ai retrouvé récemment une photo du congrès de 1988, il y a à la tribune six personnes : Mallia, Burgalat et moi-même, les trois autres feront de très brillantes carrières dans la grande presse dont un qui sera le biographe de … François Bayrou ! Et ce n’est pas tout, un cadre de TV est devenu, dans une seconde vie, député européen, un autre maire d’une grande ville de la région parisienne, un troisième animateur radiophonique en vue. Etc. Tout cela étant issu d’un mouvement qui n’a brassé que quelques centaines d’adhérents.

Quel souvenir gardes-tu de Malliarakis ? Tu y as connu Bertrand Burgalat aussi…

Mallia était un orateur brillant, il ne ménageait pas ses fonds propres pour faire vivre le mouvement, mais c’était aussi un très grand bordelique, un homme incapable de gérer une orga et de respecter une discipline politique, quelle qu’elle soit.

Burgalat, je l’ai à peine connu.

Yockey, Strasser et Thiriart sont-ils des penseurs dont tu te sens toujours proche aujourd’hui ?

Oui, je m’en sens proche et je me réfère toujours à eux. On peut leur ajouter François Duprat et le jeune Guillaume Faye.

Naturellement, leurs pensées sont pour partie datées et certaines des orientations qu’ils proposent trop liées aux problèmes triviaux auxquels ils étaient confrontés. Mais, cependant, il reste chez eux une vue du monde, une géopolitique, de grandes lignes, qui sont toujours actuelles.

C’est pourquoi, comme éditeur, je m’efforce de rendre l’accès à leurs écrits continuellement possible afin que les jeunes générations puissent y trouver de quoi justifier leur combat.

Comme pas mal d’entre nous à R&A, tu détestes le complotisme. J’ai été ahuri de voir que Hillard avait écrit que Soljenitsyne était juif (il a pourtant écrit l’assez peu judéophile Deux Siècles ensemble), quand il n’explique pas non plus que la guerre en Ukraine se résume à un affrontement entre sectes juives. Penses-tu que la prolifération de ces thèses débiles est liée à l’apparition d’internet et à la baisse du niveau culturel (sans oublier le côté psychiatrique, toujours bien représenté chez nous !) ?

Soyons clair, le complotisme peut être un sujet d’étude, donc je n’ai pas de raison de le détester. Par contre, j’ai beaucoup de raisons de mépriser les complotistes qui sont majoritairement des aliénés et des faux savants et parfois aussi des salauds. Pierre Hillard est assez caractéristique de cette mouvance. C’est un bel exemple d’un béotien se faisant passer pour un sachant, d’un homme délirant et souffrant aussi, vraisemblablement, de paraphrénie. Mais Hillard n’est qu’une des incarnations actuelles d’un courant beaucoup plus anciens, il est juste un lointain héritier de Léo Taxil et de la Revue internationale des sociétés secrètes.

Internet a donné à tous ces fous une audience et une capacité de nuisance dont ils ne disposaient pas jusqu’alors. Si j’avais un unique reproche à faire à Égalité et réconciliation et à Alain Soral, ce serait d’avoir accordé des tribunes, pour une raison qui m’échappe totalement, à un trop grand nombre de ces malades.

Que faire face à ceux-ci ? Avant tout, refuser de débattre avec eux, car on ne débat pas de leurs délires avec des fous. Le cas échéant, il convient de sourire ou rire de leurs propos, mais dans le même temps il faut avoir conscience que tous ces illuminés remplissent une fonction bien utile pour le Système : ils lui permettent de disqualifier des lanceurs d’alertes tout à fait sérieux en les assimilant à eux. À ce titre, ils doivent être dénoncés pour ce qu’ils sont et ostracisés.

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