À la recherche de l’immortalité en URSS

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Dans son livre, L’Empire euro-soviétique de Vladivostok à Dublin, Jean Thiriart annonçait l’homo novus où « homme mutant » et considérait qu’il se grefferait sans peine sur la société soviétique areligieuse. Bon connaisseur de l’histoire de l’URSS, le « jacobin de la Grande Europe » était pertinemment au courant des recherches qui s’étaient développées, dès la fin du XXe siècle dans les rangs des révolutionnaires marxistes russes.
À l’origine du transhumanisme soviétique, le cosmisme
Le cosmisme est un courant né en Russie qui défendît des idées qui influencèrent beaucoup d’intellectuels prérévolutionnaires, furent compatibles avec le bolchevisme et peuvent être considérées comme la première manifestation du transhumanisme dans le monde russe.
Le père du cosmisme fut Nicolas Fedorov, employé de la Bibliothèque Roumiantsev où il était en contact quotidien avec nombre d’intellectuels. Il ne publia aucun ouvrage de son vivant, se contentant de quelques articles parfois signés d’un pseudonyme. C’est une sélection de ceux-ci, réalisée après sa mort et publiée sous le titre La philosophie de la cause commune, qui présente les théories dont il affirmait qu’il avait eu l’illumination durant l’automne de l’année 1851. À sa lecture, on peut résumer sa doctrine en huit points :
« 1 – La mort est le mal absolu. Elle doit être vaincue par l’évolution générale de l’humanité. 2 – La résurrection devra être le fait non de Dieu, mais de l’homme, l’homme nouveau “théurgique”. 3 – La résurrection doit s’accomplir à l’aide de procédés scientifiques et psychiques. Toute l’humanité doit nécessairement participer à cet acte suprême. 4 – L’homme nouveau doit acquérir le pouvoir absolu sur la nature, il doit contrôler les phénomènes atmosphériques. 5 – Le temple comme place du sacré par excellence doit être remplacé par le musée (ou le sacré s’alliera avec la science). 6 – L’évolution de l’humanité est arrivée à son acmé. Les hommes doivent commencer l’œuvre de la résurrection ici et maintenant. 7 – La chrétienté doit s’allier avec l’aryanité des ancêtres pour créer une humanité nouvelle, unifiée, théurgique, commune. 8 – La “cause commune” c’est la lutte scientifique, sociale, économique, culturelle, psychologique, spirituelle, industrielle, cosmique contre la mort et pour la vie absolue et infinie. La stratégie de cette lutte étant nommée par Fedorov “Le Projet”. »
Nicolas Fedorov se considérait comme un prophète, il vivait comme un ascète et toute l’intelligentsia russe le connaissait personnellement du fait du poste central qu’il occupait à la bibliothèque Roumyantsev. Il ne fonda aucun mouvement particulier. Son influence fut plus subtile et plus discrète et s’exerça sur Fiodor Dostoïevski, Léon Tolstoï, Vladimir Soloviev, Maxime Gorki, etc. De plus, il était très considéré dans les milieux révolutionnaires, tant bolcheviques que mencheviques, dont il influença certains dirigeants comme nous le verrons ci-après.
Quand des bolcheviques se veulent des Constructeurs de Dieu
C’est chez des intellectuels et, à la fois, activistes bolcheviques exilés, qu’apparut avant la révolution de 1917 le mouvement des Constructeurs de Dieu.
Au lendemain de 1905, les bolcheviques furent victimes d’une guerre de tendances opposant Vladimir Lénine et Alexandre Bogdanov, le leader de la fraction « En avant ! », la plus radicale du parti. Lénine fut mis durant quelques temps en minorité et Bogdanov devint le leader des bolcheviques avant que Lénine ne reprenne la main et le marginalise.
Obligé à l’exil pour échapper à la police tsariste, Alexandre Bogdanov s’installa à Capri avec Maxime Gorki et Anatole Lounatcharsky. C’est de leurs discussions et de leur influence commune par la pensée du cosmisme de Fedorov que naquit le mouvement des Constructeurs de Dieu.
Pour eux, la religion était une forme primitive de lien, une première pulsion de l’humain vers la communauté, et en ce sens une base éthique. Ils préconisaient donc le principe d’un marxisme que les bolchéviques propageraient à la manière d’une religion anthropocentrique dont le dieu serait l’homme élevé à la puissance de ses pouvoirs et dont la célébration serait la révolution, point culminant du processus de la construction de Dieu. Anatoli Lounatcharsky, dans La Religion et le socialisme, appela « à une religion moniste et prolétarienne. Il s’agit de compléter par des mythes et des rituels nouveaux le rationalisme marxiste qui manque de pouvoir de conviction et d’entraînement. Dès lors les symboles chrétiens sont transposés, le Père sera représenté par les forces de production, le Fils par le prolétariat et le Saint-Esprit par le socialisme. L’homme devient dieu lui-même mais par le collectif. Le collectivisme futur réalisera pleinement la divinité de l’homme : l’humanité atteindra au savoir suprême, à la toute-puissance, à l’amour universel et à la vie éternelle. Toutefois cette immortalité ne sera pas acquise à titre individuel mais au travers de la communauté »
Cette immortalité, Alexandre Bogdanov la décrivit dans deux ouvrages de sciences fiction L’Étoile rouge et L’Ingénieur Menni où il montrait l’utopie communiste réalisée sur la planète Mars et où l’on apprenait que c’étaient des transfusions de sang qui procuraient cette vie qui ne cessait pas.
Marginalisés par Lénine au sein du Parti bolchevique, les Constructeurs de Dieu acquirent un peu de pouvoir dans les rouages de l’État soviétique qui leur permit d’y infuser leurs thèses. Anatole Lounatcharsky devint commissaire du peuple à l’Instruction publique et Alexandre Bogdanov fut à la fois le concepteur du proletkult et le fondateur de l’Institut d’hématologie et de transfusion sanguine où il se livra à des expériences visant à atteindre l’immortalité (dont une lui fut fatale…).
Un ami de Lounatcharsky et de Bogdanov, Leonid Krasin, avait été lui aussi convaincu par la lecture de Fedorov de la possibilité d’accéder à l’immortalité. Il fut la cheville ouvrière de l’inhumation de Lénine sur la Place rouge et il tenta, en vain, de le cryogéniser en vue d’une future résurrection.
Un autre tenant des thèses cosmistes fut Andrei Platonov qui, après des débuts prometteurs, fut marginalisé à partir des années 1930. Tenant lui aussi de la thèse de l’immortalité humaine, il envisagea de créer dans le sol gelé de la Sibérie un « cimetière mondial » permettant d’attendre une résurrection quand la science la rendrait possible.
Il convient encore de citer parmi les cosmistes influents, Alexandre Gorsky. Poète et philosophe, il s’était passionné dans sa jeunesse pour les thèses de Prentice Mulford, un des fondateurs de l’école de la Nouvelle Pensée, qui affirmait que l’individu pouvait, par le contrôle et l’application du pouvoir créatif de la pensée, maîtriser la santé, la longévité et même l’immortalité. Dans les années 1920, Gorsky écrivit Un Grand schéma, ouvrage où il reprit les idées de Fedorov sur la chasteté positive, spéculant sur la transformation et la sublimation de l’énergie sexuelle en un potentiel créatif puissant pour la perfection de l’humanité et l’abolition de la mort.
Enfin, dans les années 1920, il exista à Petrograd un Groupe biocosmiste-immortaliste, regroupant un certain nombre de cosmistes et publiant le magazine Immortalité. Ses membres proclamaient que l’être humain avait deux droits fondamentaux : le droit à l’existence infinie (l’immortalité) et celui au mouvement sans entrave (les voyages interplanétaires). Ils comptèrent dans leurs rangs Constantin Tsiolkovsky, lui-même disciple de Fedorov, qui est considéré comme le père et le théoricien de l’astronautique moderne.
Quand la recherche de l’immortalité soviétique s’exporte en France
À la même période, en France, c’est un ami du Constructeur de Dieu Anatoli Lounatcharski, l’exilé russe Serge Voronoff qui développa dans trois ouvrages tous publiés chez Fasquelle (Vivre , La Conquête de la vie et Les Sources de la vie) le thème qu’il était à la fois possible aux êtres humains de rajeunir et de connaître la vie éternelle grâce … à des greffes testiculaires de babouins !
Serge Voronoff ne resta pas dans la théorie et il fit fortune en pratiquant de multiples greffes rajeunissantes. Bien qu’il greffât des testicules, Voronoff insistait bien sur le fait que son but n’était pas l’amélioration ou la restauration de la libido de ses clients, mais qu’il entendait accroître leur durée de vie et que l’immortalité était du domaine du possible par une série de greffes successives.
Le soviétiques s’intéressèrent à son travail et il fut question qu’il ouvre une clinique à Moscou, mais l’on constata rapidement que ses greffes n’apportaient que des bénéfices ne dépassant pas quelques années et qui n’étaient peut-être que dus à un effet placebo. La technique fut donc abandonnée au début des années 1930 et les soviétiques continuèrent, sous l’influence des cosmistes, à travailler sur la cryogénisation et les transfusions de sang pour accéder à une vie qui ne cesserait pas. Paradoxalement, ces deux techniques sont toujours explorées actuellement par les transhumanistes, mais dans l’Empire du dollar et non plus dans la Russie soviétique comme le relate Le Monde du 2 août 2016, dans un article intitulé « Les rêves d’immortalité du milliardaire Peter Thiel », où il est expliqué comment ce milliardaire libertarien et investisseur dans la Silicon Valley finance des recherches sur les transfusions sanguines rajeunissantes et s’en fait fréquemment effectuer.
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