À l’extrême-droite de Staline

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Le 3 janvier 1947, Joseph Staline rencontra Otto Grotewohl, alors dirigeant du Parti socialiste unifié allemand (né de la fusion des partis socialiste et communiste dans la zone d’occupation soviétique). Les propos du Vojd, qui nous sont connus grâce aux archives soviétiques, surprirent et mirent plus que mal à l’aise le vieux militant antinazi qu’était Grotewohl. Staline ne lui demanda pas moins que de faire le nécessaire pour que, dans ce qui deviendra par la suite la République démocratique allemande, soit facilitée la création d’un parti nationaliste regroupant les ex-membres du NSDAP.

Exterminer les fascistes, c’est la stratégie des USA !

Et Staline développa sa pensée : exterminer les fascistes, c’était la stratégie des américains, les autoriser à créer leur propre parti permettrait que tous les anciens nazis ne passent pas dans le camp ennemi. Mieux encore, en montrant qu’à l’Est les ex-partisans du Troisième Reich n’étaient pas réprimés et pouvaient se réorganiser librement le « petit père des peuples » espérait donner aux anciens membres du NSDAP vivant en Allemagne de l’Ouest une impression positive et en faire des partisans de l’URSS.

La réticence d’Otto Grotewohl n’était pas partagée par Walter Ulbricht qui reprit l’idée à son compte. En février 1948 la Sowjetische Militäradministration in Deutschland annonça la fin de la dénazification dans la zone soviétique. En mars, les enquêtes pour « crimes de guerre » furent formellement achevées et, le même mois, fut fondé le Nationaldemokratische Partei Deutschlands et le journal National-Zeitung, qui put se féliciter, dans un de ses premiers numéros, que « alors que dans les autres zones subsiste l’atmosphère de dénazification, à l’Est ce n’est plus le cas. Les simples camarades de parti n’ont plus de raisons d’être timides et craintifs, ni de craindre d’être traités comme des parias. » Symboliquement, le NDPD adopta la feuille de chêne comme logo, référence à la fois à un arbre considéré comme national et à la valorisation par son ajout (mit Eichenlaub) de la Croix de Fer.

Cela étant écrit, le NDPD resta un parti tenu puisque son président fut Lothar Bolz ex-membre Parti communiste allemand d’avant-guerre, tandis que la plupart de ses cadres étaient issus eux de la Bund Deutscher Offiziere, structure créée par des officiers allemands capturés par les forces soviétiques. Si ceux-ci étaient anti-hitlériens, leur passé nazi n’en était pas moins incontestable à l’image du plus connu d’entre eux, Wilhelm Adam, combattant des deux guerres, membre de l’Ordre allemand en 1920 et du NSDAP dès 1923, ayant participé au putsch de la Brasserie, puis ayant été membre des SA. On peut aussi citer, parmi les cadres n’ayant pas de passé militaire, Richard Arnold, qui avait été haut-fonctionnaire au ministère de la Science et de l’Éducation publique de 1939 à 1945 où il avait eu en charge l’élimination de tout restait d’« esprit juif » dans la vie culturelle allemande, et qui fut directeur de publication de Der Nationale Demokrat, un des organes du NDPD, ou Kurt Herwart Ball, qui avait été rédacteur en chef du magazine SS Hammer et qui, en RDA, appartint au bureau de presse du NDPD. De même, en 1952, 119 ex-cadres de premier plan de la SS, de la Hitler Jugend, de la Bund Deutscher Mädel et du Deutsche Arbeitsfront signèrent un des manifestes du parti appelant à la réunification allemande qui était une de ses revendications récurrentes.

Le programme nationaliste du NDPD attira 17 000 allemands dans ses rangs en 1949, 230 000 lors de son apogée en 1953, et dans les années 1980 le parti était encore fort de 110 000 adhérents. En 1948, il obtint 52 députés au parlement où il maintint jusqu’à la fin de l’Allemagne de l’Est un groupe parlementaire, il compta aussi parmi ses membres un nombre non négligeable de maires de grandes villes et de hauts fonctionnaires.

L’effondrement de la RDA entraîna sa disparition, mais certains analystes relèvent que le vide créé par celle-ci fut partiellement rempli par l’éponyme Nationaldemokratische Partei Deutschlands venu de l’ouest (et héritier du Sozialistische Reichspartei) et par l’ Alternative für Deutschland qui obtiennent leurs meilleurs scores dans les lands de l’ex-République démocratique allemande.

Être nationaliste et pro-Russe en République fédérale d’Allemagne 

Le Sozialistische Reichspartei fondé en 1949, avait comme principal animateur Otto-Ernst Remer. Les autorités yankees d’occupation relevèrent rapidement son hostilité à toute alliance atlantique et son souhait d’une Europe unifiée et neutre dans le cadre de la guerre froide. Cela explique, plus que le fait que la majorité de ses cadres soient issus du NSDAP, les manœuvres répressives que le parti connu dès son origine : Remer fut interdit de séjour dans les lands de Schleswig-Holstein et de Nordrhein-Westfalen dès la création du parti, en 1950 il ne fut pas permis aux fonctionnaires d’être membres du SRP, la même année l’organe du parti, Reichszeitung, fut interdit de publication par la censure.

Ceci ne modifia pas la position de Remer qui espérait que l’URSS favoriserait la réunification allemande et qui lança la campagne « Sans moi ! » pour s’opposer aux souhaits des Américains d’intégrer l’Allemagne fédérale dans le système de défense occidental.

Le 23 octobre 1952, le SRP qui avait obtenue 16 députés dans le land de Basse-Saxe et 8 dans celui de Brème fut dissout par l’administration allemande. Otto-Ernst Remer prit le chemin de l’exil, il vécut en Syrie et en Égypte et travailla quelques temps pour l’administration de Nasser. Il ne revint en Allemagne qu’en 1983, et créa alors le Deutschen Freiheitsbewegung, qui, preuve qu’il n’avait pas changé d’avis malgré les années, fit la promotion de l’amitié russo-allemande. Ainsi, dans le manifeste Der Bismarck-Deutsche Remer écrivait : « L’Allemagne ne doit pas être la pointe de la lance de l’OTAN, elle ne doit pas participer à une guerre menée par l’OTAN contre la Russie. Nous devons réaliser que, comme Bismarck le fit, la Russie est la superpuissance du gigantesque continent eurasien auquel nous appartenons géographiquement, géopolitiquement et économiquement, et même culturellement… Nous sommes, comme Bismarck, pour une étroite collaboration avec la Russie. »

Christian Bouchet

Article rédigé pour Réfléchir et agir en février 2018.

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