Approche du communautarisme

J’ai déjà écrit d’abondance sur le Communautarisme européen.

L’analyse est constamment améliorable et des sujets importants et nouveaux apparaissent en cours de recherches. C’est ainsi que j’ai donné‚ trop peu d’importance à un phénomène capital, celui de la « collaboration de classe » entre la ploutocratie européenne vieille et fatiguée et la ploutocratie américaine plus jeune, plus dynamique et disposant de ce facteur territorial – LE GRAND ETAT – qui est déterminant.

Nos capitalistes européens sont moins dynamiques, moins jeunes que leurs cousins américains et ceci est le premier handicap. D’autre part, les Américains disposent d’un facteur démo-économique, une collectivité‚ de 250 millions d’individus sans barrières douanières ; ceci constitue notre second handicap. Dés 1945, la ploutocratie européenne a acceptée‚ avec facilité‚ la tutelle américaine, ne se sentant plus de taille elle-même à défendre ses meubles. Si feu le chancelier HITLER avait gagné la guerre, elle eut tout aussi bien accepté‚ la tutelle allemande. Cet aspect est fort important. L’Europe politique ne se fera jamais avec le personnel politique actuel entièrement inféodé‚ aux intérêts des Etats-Unis. C’est une gigantesque imposture que cette Europe atlantique ; c’est la roue carrée. Il sur les conséquences de la collaboration de classe entre la ploutocratie européenne et la ploutocratie américaine, la première acceptant la tutelle de la seconde.

NOTRE CONCEPTION DU MONDE

Le lecteur français m’excusera de l’emploi du terme germanique « Weltanschauuung » qui signifie conception du monde, description des fins en soi, image du monde projet‚e par notre esprit. Le choix d’une « Weltanschuung » est donc subjectif et arbitraire. La prétention … une « Weltanschauung » scientifique est risible. On n’a pas pu jusqu’à présent déterminer – ou pu se mettre d’accord – sur une fin ultime en soi pour l’Humanité, par les procédés rationnels, autrement dit logico-expérimentaux. Le rationnel existe dans les moyens, pas dans les fins ou la fin. Je ne puis ici qu’effleurer – et à peine – ce problème gigantesque. Mais il faut le faire d’abord, afin que mon lecteur sache immédiatement qu’elle est notre « Weltanschauung ». Nous estimons que l’homme européen tient sa plénitude (je n’ai pas dit perfection) de son développement vers le « plus-être ». A l’opposé, nous avons observé dans l’Antiquité‚ des hommes qui cherchaient à atteindre « l’avoir plus », tels les Perses et les Carthaginois. Nous les avons détruits.

Aujourd’hui, il existe une école de « l’avoir-plus », c’est celle de l’économisme qui se divise elle-même, provisoirement en deux branches. la pauvre, c’est-à-dire la marxiste et la riche, c’est-à-dire l’américaine.

Pour cette école de « l’avoir plus », l’économique domine tout. Au Vietnam, ces grands enfants primaires que sont les Américains ne peuvent comprendre que le même villageois vietnamien à qui ils avaient offert une boite de lait à midi leur plantait un poignard dans le dos à minuit. .

Quant aux marxistes, ils ont découvert avec effarement que la société‚ communiste engendrait une délinquance juvénile, un nihilisme infiniment plus amples que ceux manifesté par les bourgeoisies décadentes. Il me fallait ouvrir cette parenthèse pour esquisser les raisons qui nous font dire que le politique doit dominer l’économique. Ne serait-ce que parce que la politique est, à nos yeux, la mise en action de notre Weltanschauung, la mise en action d’une esthétique du monde. L’économique, le social sont des moyens, jamais des fins en soi. Sinon à quelle misérable humanité‚ irions-nous !

L’école de droite, qui n’a en générale, par hérédité, aucun souci matériel, nie presque les facteurs ‚économiques et sociaux ; elle lit PEGUY et joue DEBUSSY. Quand la masse crie, elle s’exclame : donnez leur de la brioche pour qu’ils se taisent. Ici nous assistons à la négation des réalités matérielles. A l’opposé, nous trouvons les tenants du bonheur de l’Humanité‚ par la satiété‚. Cette satiété peut être atteinte par les voies collectivistes (du moins essaient-ils de le soutenir), ou par les voies mercantilistes. Ce sont les chapelles marxiste et américaine d’une même église.

L’abondance fera la paix, le bonheur. Ceci fait évidemment sourire l’homme ‚clair‚ sur les profondeurs de l’âme humaine. Les curés à l’aide du confessionnal et les psychologues à l’aide du canapé‚ peuvent mesurer que la société matérielle ne suffit pas à créer l’équilibre.

Les sociétés consuméristes accomplies, prenons la suédoise au passage, procurent un nombre impressionnant d’anormaux sexuels, de suicidés. L’art et la création intellectuelle y ont disparus. Le Suédois est un des types les plus stériles, sur le plan intellectuel, qui soit. Voilà l’aboutissement de « l’avoir plus ». Tous leurs lavabos sont branchés sur l’eau chaude de la commune ; mais leur esprit est détaché‚ de tout courant créateur. En conclusion, pour nous le politique domine l’économique. Nous allons donc étudier les meilleurs moyens de l’économique et du social. Nous bénéficions d’une chance remarquable. Nous pouvons comparer 70 ans de marxisme appliqué en URSS, et 70 ans de capitalisme moderne aux USA. De cette comparaison, nous pourrons extraire une méthode pragmatique dégagé des brouillards de l’idéalisme enfantin d’un PROUDHON, du messianisme d’un MARX, des naïvetés du perfectionnisme.

Nous chercherons donc l’économique le maximum d’efficacité‚. Nous ne voulons pas au nom de l’intellect absolu mépriser le matériel à la façon des orientaux actuels. Nous considérons l’économique comme un moyen ; ce qui ne peut empêcher d’en concevoir le maximum de développement. Le problème sera tout simplement de veiller … toujours dominer par l’esprit, l’ être plus », cette future et rapprochée orgie de moyens. Ce sera l’Homme prométhéen qui couronnera notre « Weltanschauung », alors que les sociétés matérialistes n’aboutissent qu’à des consommateurs repus mais névrosés.

Analysons donc l’efficacité‚ en ‚économie : ce sera le Communautarisme.

CAPITALISME ET LIBRE ENTREPRISE

Les borgnes de gauche confondent régulièrement et volontairement capitalisme et libre entreprise. L’observation comparée des systèmes soviétique (étatique‚) et américain (libre entreprise) établi à suffisance que l’entreprise libre est dix fois plus féconde.

La qualité‚ et la quantité‚ de produits offerts démontre que l’homme produit mieux et plus dans un cadre de liberté, d’autonomie. Dire que la liberté‚ est un droit est risible. Par contre l’observation révèle que la liberté est un besoin. L’homme privé‚ d’une quantité‚ minimum de liberté‚ ne crée plus, produit moins, produit mal. Le sentiment de la contrainte crée un état psychologique dépressif. La liberté est donc un besoin. Il faut en tenir compte. De plus, pour le commun des mortels la motivation la plus efficace demeure l’intérêt. On peut le déplorer sur le plan éthique, mais c’est une réalité‚. C’est en voulant ignorer, au nom d’arguments normatifs, la double réalité‚ du besoin de liberté‚ et de la motivation de l’intérêt personnel que les grands magasins de Moscou n’offraient que de la camelote et à des prix élevés.

Quant aux abus du capitalisme, ils consistent dans l’ingérence de puissances économiques privées dans la vie politique. Le capitalisme tend au monopole, c’est à dire à la suppression d’une condition essentielle de sa vitalité : la concurrence. Le capitalisme tend également à la création d’intérêts opposés à ceux de la Nation. Nous estimons qu’il détruire le capitalisme dans la mesure où il devient monopoliste par hypertrophie, dans la mesure où il s’ingère dans la politique par la concentration des moyens.

MARX a très pertinemment vu que la démocratie parlementaire bourgeoise n’est que la façade derrière laquelle la puissance capitaliste commande tout et tous : c’est la « ploutodémocratie », décrite par PARETO voilà cent ans déjà (1). Mais MARX s’est trompé‚ de façon enfantine en investissant un certain prolétariat d’un commandement mystique de la société. L’analyse négative de MARX est correcte. Son plan positif est enfantin, normatif, vertuiste. MARX n’a pas vu la possibilité‚ future d’une classe politique pure, du pouvoir en tant que sacerdoce. Ce concept de classe politique que je décrirai par ailleurs, n’est concevable qu’après la réalisation de la satiété – dans un demi-siècle probablement. C’est alors le commandement donné‚ aux ALPHA de HUXLEY (2). Mais ici je quitte le sujet.

Le Communautarisme tend à l’économie de puissance, par opposition au concept capitaliste d’économie de profit et au concept marxiste d’économie d’utopie. Dans le cadre de l’économie de puissance, nous estimons que l’entreprise libre est un facteur très positif, d’une part, et que les oligarchies d’argent doivent être castrées politiquement, d’autre part.

DEMOCRATIE ET RESPONSABILITE

Une des idées-forces de notre pensée politique communautariste est la responsabilisation. Le principe démocratique ne serait soutenable que s’il ‚était accompagné‚ du corollaire de responsabilité le principe du vote majoritaire est actuellement la fuite devant les responsabilités. C’est en se cachant derrière les majorités qu’on fait des idioties.

La faillite de l’agriculture soviétique et la gabegie de la sécurité sociale ici en Occident sont des illustrations de la fuite devant les responsabilités.

Sur le plan économique, nous sommes CONTRE le collectivisme étatique en règle générale (il existe des exceptions dans les industries stratégiques) et POUR une certaine collectivisation dans les formes coopératives. Si une collectivité économique volontaire – et donc libre – gère mal ses affaires, elle se punira elle-même, si elle les gère bien elle se récompensera elle-même Il faut donc responsabiliser les entreprises collectives. Actuellement toutes les pagailles, tous les gaspillages sont couvert par l’anonymat de « majorités non responsables » et payées par l’Etat. Le Communautarisme tendra à encourager les régies communales, les sociétés coopératives, mais simultanément il les considérera comme des entités responsables d’elles-mêmes.(autogestion) Voilà donc un aspect du communautarisme.

ORGANISATION SPECIFIQUE ET REGLEMENTATION DIMENSIONNELLE DE L’ECONOMIE

Nous touchons ici au cœur notre pensée.

Qu’est ce que l’ « organisation spécifique » ? C’est le caractère de l’entreprise. Sa spécificité‚ c’est le fait qu’elle fabrique des fusées militaires ou des jouets.

Qu’est-ce que la « réglementation dimensionnelle » ? C’est le volume de l’entreprise. Le fait qu’elle occupe 50 ouvriers ou 50.000 ouvriers. Nous pouvons donc envisager quatre cas limites : l’entreprise stratégique de 50 ouvriers, l’entreprise stratégique de 50.000 ouvriers, la fabrique de jouets de 50 ouvriers et la fabrique de jouets de 50.000 ouvriers. La vision politique des choses nous dira que le caractère spécifique de l’entreprise stratégique obligera l’Etat à une surveillance étroite (c’est l’organisation spécifique).

La vision politique des choses nous dira qu’un homme seul propriétaire d’une usine de jouets de 50.000 ouvriers n’intéressent pas l’Etat pour la spécificité‚ de son usine (les jouets n’intéressent pas la défense nationale) mais que le volume de son usine (ici interviendra la conception communautariste de la réglementation dimensionnelle) inquiétera l’Etat ou le Parti unitaire européen au pouvoir. En effet, un homme qui contrôle une telle entreprise pourrait éprouver le désir de s’ingérer dans la politique par la puissance de ses moyens financiers. La concentration de puissance économique lui donnera tôt ou tard la tentation de la politique. Ici le Libéralisme laisse faire et l’Etat communautaire européen ne laissera pas faire. Par exemple en Belgique, le parti libéral est contrôlé par le trust du sucre (notamment) et le parti « chrétien » (sic) par un trust du chocolat et un de la tréfilerie.

L’erreur commise par le marxisme dogmatique a été de vouloir nationaliser des petite entreprises de 50 ouvriers, ce qui les a stérilisées. L’imprudence du Libéralisme consiste dans la liberté‚ politique laissée à des magnats de l’acier et du pétrole. L’Etat communautaire européen souhaitera beaucoup de moyennes et petites entreprises libres, et une quantité‚ indispensable – pour des raisons technologiques – d’entreprise géantes dûment contrôlées.

Avant de refermer ce chapitre, soulignons enfin que la spécificité‚ de certaines entreprises commande la nationalisation ou la liberté. Par exemple, une centrale hydro-électrique exige des capitaux colossaux et ensuite une main-d’œuvre ridicule en nombre (50 techniciens ou employés). Ce type d’entreprise est typiquement vouée … la nationalisation. Par contre, la production et la répartition des produits agricole et avicoles exige l’économie libre. demandez en la raison aux ménagères de Kiev et de Moscou…

Le marxisme dogmatique veut TOUT nationaliser, le Libéralisme veut tout laisser faire. Le Communautarisme veut conserver le contrôle politique absolu tout en laissant subsister le maximum de liberté économique possible.

IMPORTANCE DU NATIONALISME ECONOMIQUE

Le libre échangisme est un facteur de progrès économique ; en effet il suscite et oblige à la concurrence.

C’est ainsi que la concurrence développe dans un grand cadre, celui des Etats-Unis, a créé un appareil plus puissant que dans un petit cadre, celui de la France ou de l’Italie. C’est l’évidence pour cela que nous avons DU créer le Marché commun. Mais ici comme ailleurs, comme en toute thèse il y a lieu dénoncer les lois corollaires de la loi principale. Affronter l’économie américaine de type unitaire avec l’ensemble « additionné » (mais non intégré‚) de l’économie européenne c’est courir à la phagocytation de notre appareil économique par l’appareil économique américain.

Tant que l’Europe n’aura pas consolidé son économie par des structures politiques elle devra se défendre de l’action américaine, s’en protéger. Les formes de libre-échangisme ne doivent être acceptées qu’après la constitution d’une entité‚ économico-politique solide.

L’Europe atlantique, cette imposture qui nous est présentée par l’occupant américain et par ses complices, les nouveaux « collabos », veut inverser cet ordre et prétendre à un « marché atlantique » avant la formation d’une unit‚ européenne politique. Ce marché‚ « atlantique » rendrait impossible l’Europe politique. Si nous ne réagissons pas l’économie européenne sera tellement intégrée dans les appareils financiers américains que l’Europe politique sera rendue impossible.

La symbiose des économies européenne et américaine, c’est d’abord la destruction avant même sa naissance de l’Europe politique et ensuite la domination aisée des Américains dans la « collectivité atlantique ». Ici apparaît la nécessité‚ d’un « Nationalisme économique ». L’Europe doit volontairement et dés maintenant SE COUPER de l’économie américaine. Il s’agit ici d’une option politique. L’Europe doit tendre à son autarcie sur le plan militaire – et de toute urgence.

Les imbéciles qui pestent contre la fabrication de la bombe française, que nous estimons être demain la bombe européenne, préfèrent sans doute payer la bombe américaine dont ils n’ont pas le contrôle politique !

Il n’y a pas de nation indépendante sans force militaire autonome. Et une nation qui dépend des armes de l’étranger est satellisée. Quand bien même elle pourrait les acheter qu’elle serait encore en état de dépendance. Le Nationalisme économique consiste notamment à veiller à ce que l’Europe soit totalement autonome en matière d’armement et totalement autonome dans le domaine du ravitaillement en matières premières.

Si demain les USA sont engagés dans une guerre planétaire, il ne faut pas que l’Europe neutre en subisse le contre-coup et en vienne à manquer de certains matériaux.

Le Nationalisme économique signifie donc l’indépendance économique et l’autarcie militaire.

De plus, et enfin, notre économie doit dés à présent être planifiée en vue de la réunification de notre patrie unie jusqu’à Vladivostok.

Toute notre pensée doit tendre à faire de la puissance économique ouest-européenne un moyen parmi d’autres pour retrouver nos provinces provisoirement perdue à l’Est. L’avenir n’est pas dans un empire mercantile de Francfort à San Francisco ; notre avenir est dans notre empire de Dublin à Vladivostok.

Nos projets économiques doivent dés à présent s’inspirer de cette volonté de destin.

Jean Thiriart

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