Astérix et la propagande sioniste

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Un nouvel album d’Astérix, L’Iris blanc, vient de sortir, sans doute dans la même veine que les précédents, qui ont connu la même évolution que les studios Disney : de plus en plus de néo-féminisme (des héroïnes plus bagarreuses, plus hardies, plus fortes en tout que les mâles), et de problématiques contemporaines (véganisme) qui entrent en contradiction avec les personnages d’Astérix, au point que ceux-ci ne sont plus que des porte-manteaux à affubler des derniers oripeaux à la mode dans les salons bobos ou woke.

Ce qui ne veut pas dire que les Astérix à l’ancienne étaient sans reproches. Dans L’Odyssée d’Astérix, Uderzo prend parti pour Israël, d’une façon outrée et avec une mauvaise foi que l’actualité rend encore plus insupportable. L’album, paru en 1981, était un hommage à Goscinny, mort en 1977, et est dédié « à René  » , qui apparaît sous le nom de Saül Péhyé, commis du marchand Samson : Uderzo met ainsi en avant la judéité de Goscinny, d’origine juive polono-ukrainienne. Les irréductibles Gaulois s’y embarquent pour le Moyen-Orient, dans le but d’acheter de l’huile de roche (du pétrole), nécessaire à la confection de la potion magique. Mais leur séjour sera surtout l’occasion d’une présentation dithyrambique des Juifs et d’une néantisation des Arabes, et en particulier des Palestiniens, d’un point de vue politique, économique et religieux. D’emblée, le « Royaume de Judée » est présenté comme « une terre plus hospitalière » que la Phénicie (le Liban), et même comme « la terre promise » : au-delà du jeu de mots (leur guide leur avait promis de les y conduire), on peut y voir, d’accord avec le contexte, une légitimation de la prétention sioniste à tenir la Palestine des mains de Yahvé.

Sur cette terre, le premier personnage que rencontre Astérix s’appelle Josué, comme le continuateur de l’œuvre de Moïse, qui conquit le pays de Canaan (la Palestine) en exterminant ses habitants. Après avoir édulcoré le personnage, Wikipédia finit tout de même par préciser : « Le plus souvent, la conquête des villes [,,,] est suivie de l’extermination de leurs habitants selon les ordres donnés par YHWH [sic] » (c’est-à-dire Yahvé), Fidèle à son nom, Josué ne tarde pas à se livrer à des déclarations nationalistes : les Romains, dit-il, sont moins nombreux ici « qu’en Phénicie qui est province romaine, nous ne sommes qu’un protectorat et les Romains n’ont qu’une faible garnison à Jérusalem » : voilà les Juifs présentés comme un autre groupe d’irréductibles, tenant la dragée haute à un autre camp de Petibonum ! En réalité, en 50 avant J-C, il n’y a que 13 ans que les Romains sont intervenus en Judée, à la demande même des princes juifs qui se battaient entre eux pour le pouvoir – ce qui ne cadre guère avec l’atmosphère bucolique dont Uderzo entoure le séjour des Gaulois ; et le royaume de Judée ne tardera pas à être complètement inféodé à Rome.

Mais les plus graves escroqueries sont d’ordre économique et religieux.

Uderzo décrit une curieuse situation où ce sont les Juifs qui détiennent les stocks d’huile de roche ; ce sont eux qui, au mépris de toute vraisemblance, fournissent le marchand phénicien Epidemaïs, qui joue seulement le rôle d’intermédiaire entre les Juifs et les Gaulois (outre le rôle d’Arabe de service, ami des Juifs). On peut y voir une revanche par rapport à la Guerre du Kippour et au choc pétrolier de 1973, qui mit en évidence la dépendance des Occidentaux au pétrole des pays arabes.

Ce n’est qu’à la page 34 qu’on apprendra que les Juifs ne sont pas vraiment producteurs de pétrole, mais le reçoivent de la région de Babylone (Bagdad), en Mésopotamie (Irak). Les Gaulois vont donc continuer leur périple vers l’Est, mais leur seule étape touristique sera la Mer Morte, où Obélix se baigne – tout le reste (les territoires arabes) n’est que désert indifférencié, sillonné par des bandes guerrières diverses mais aussi barbares les unes que les autres : Uderzo mélange des millénaires d’histoire (qui sont l’origine de notre civilisation) pour faire se battre entre eux Sumériens, Akkadiens, Assyriens, etc., car, bien sûr, les Arabes et assimilés (tout ce qui n’est pas juif, c’est des « Arabes ») ne savent faire rien d’autre que de se battre (c’est aussi l’image donnée par Lawrence d’Arabie). A aucun moment, ils ne sont mis en rapport avec la production de pétrole : Astérix remplira sa gourde grâce à l’éruption spontanée d’un geyser.

Quant à la supercherie religieuse, elle apparaît grâce à une étape à Bethléem, où les Gaulois sont accueillis par une famille juive, et hébergés dans une étable, où ils dorment entre un bœuf et un âne : on conclut naturellement à une symbiose entre judaïsme et christianisme, le second n’étant qu’une variante du premier ; c’est ainsi que Jérusalem est présentée comme la ville qui « plus tard ouvrira ses portes à toute la foi du monde », vision « historique » proprement hallucinante. Comme le veut l’œcuménisme post-Vatican II, surtout depuis le pape Wojtyla, le judaïsme intègre ainsi le christianisme (toute référence à la Passion, voulue par les grands-prêtres juifs est évacuée), et ce judéo-christianisme résume les religions du monde entier ( la foi, dit le texte !) ; en effet, le Vatican étant essentiellement aujourd’hui un coffre-fort, il estime que ses intérêts sont mieux défendus par le judéo-protestantisme anglo-saxon que par des dogmes catholiques dépassés.

C’est toute l’histoire des religions qui est ainsi travestie : polythéisme grec, hindouisme, religions moyen-orientales ont connu une révolution qui les a fait passer d’un âge ritualiste, fondé sur le sacrifice, et tribal (chaque communauté est protégée par son dieu) à une forme religieuse axée sur les relations d’amour entre les fidèles et leur dieu, et ouverte à tous, universelle. Le christianisme relève de cette révolution. Par contre, le judaïsme a gardé ses caractéristiques archaïques, accroché à une idole sanguinaire, un Baal, qui a conclu un pacte exclusif avec sa tribu, et, loin d’avoir inventé le monothéisme (apparu du reste beaucoup plus tôt en Egypte),il n’a pas dépassé le stade de l’hénothéisme (un seul dieu, oui, mais qui n’est que le dieu de la tribu).

En dix pages,L’Odyssée d’Astérix présente donc un condensé d’idéologie « orientaliste » : la Judée (Israel) comme oasis de paix (Uderzo ne pouvait pas aller jusqu’à la présenter comme une démocratie), au milieu de peuples arabes barbares, incapables de mettre eux-mêmes en valeur leurs ressources naturelles (d’où la nécessaire intervention des Juifs – et des Gaulois), une Judée solidaire de l’Europe, politiquement (contre les « Romains ») et culturellement (les juifs chapeautant le christianisme – dans la réalité, ils ont plutôt à cœur de détruire les églises de Palestine, au même titre que les mosquées). Cette Judée monoraciale (aucune allusion à l’existence d’un peuple palestinien, et ce n’est pas l’anachronisme qui peut faire peur à Uderzo, puisqu’Astérix est construit sur lui) c’est Israël tel qu’il était déjà conçu lors de la Déclaration Balfour, un Etat planté comme un coin entre les Arabes, pour neutraliser ceux-ci et garantir aux Occidentaux la maîtrise des ressources énergétiques de la région.

On aimerait, pour une vision plus objective d’Israël, disposer de l’album Tintin au pays de l’or noir, où, dans sa première version (1950), Tintin, à son arrivée en Palestine, était séquestré par des terroristes juifs ; mais on sait qu’Hergé a dû récrire le début de son album, remplaçant les affrontements entre Anglais (la Palestine étant alors sous mandat britannique) et terroristes juifs par des rivalités entre clans arabes (plus conformes aux idées reçues occidentales).

Rosa Llorens.

Première parution : Le Grand Soir.

 

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