Blanqui contre le luxe

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Auguste Blanqui, dit « l’Enfermé », fut l’un des plus grands révolutionnaires du XIXe siècle. Son surnom lui vient du nombre d’années qu’il passa en prison, à la suite de plusieurs tentatives de coups de force ayant toutes mal tournées.

Célèbre surtout pour son activisme militant, Blanqui fut aussi un intellectuel, ce qui est moins connu. Dans l’ouvrage coécrit avec Ernest Granger, militant qui fut aussi l’exécuteur testamentaire de Blanqui, Critique sociale. Capital et travail, Blanqui aborde la question du luxe dans la société de son époque. Je pense que ses analyses sont encore d’actualité, pour un certain nombre d’entre elles.

Comme on pouvait s’en douter, Blanqui déteste cordialement le luxe, et le vilipende. Il écrit en effet :

« (…) c’est précisément le crime du capital d’immoler au superflu la société qu’il gouverne, en la privant du nécessaire. Luxe est corrélatif d’indigence. L’oisif consomme sans travailler. Le prolétaire travaille sans consommer. Ici l’excès des jouissances, là celui des privations. »

Il rappelle que l’histoire du luxe est déjà longue, et a déjà été amplement décrite :

« Les extravagances du luxe ont souvent défrayé le pinceau des moralistes. »

Aux yeux d’Auguste Blanqui :

« Le luxe est le mauvais génie de l’industrie. »

Les conséquences sociales du luxe sont déplorées, et il affirme encore que :

« Le beau sexe joue un triste rôle dans ces guets-apens. Qui distribue la fortune ou la ruine, les enrichissements soudains, les catastrophes plus brusques encore ? Tantôt la reine, tantôt une prostituée, arbitres de la mode. Séparées par un abîme devant l’opinion, égales devant la toilette et l’économie sociale, elles tiennent à tour de rôle, le sceptre de cette royauté fantasque qui dispose d’un budget supérieur à celui de l’Etat. »

A y regarder de plus près, « l’Enfermé » condamne moins le principe du luxe que sa place dans la production nationale :

« L’industrie du luxe ne devrait être que l’exception.  Elle est la dominante. »

La plus grave des conséquences du luxe serait la relation nocive enchaînant la classe ouvrière aux intérêts du rentier honni :

« Pourquoi le peuple ne travaillerait-il pas pour lui aussi volontiers et plus volontiers que pour ses maîtres ? On veut, par les caisses d’épargne, par l’exagération des industries de luxe, lier à sa cause à celle du capital. »

Aussi, Blanqui regrette l’appropriation du travail des ouvriers, qui dispersent ainsi leurs activités, au service d’une production sans grand intérêt en elle-même, puisque non-nécessaire à la satisfaction des besoins élémentaires et/ou vitaux de la population :

« (…)  il n’existe pas deux catégories distinctes d’ouvriers, vouées, l’une au superflu, l’autre au nécessaire. La montre d’un Crésus et celle d’un artisan sont parfois l’ouvrage des mêmes mains. Tel bijou de prix qui brille sur la prostituée ou sur la grande dame, telle alliance achetée pour une laborieuse mère de famille sortent d’un seul atelier, comme les wagons de première classe qui promènent le parasitisme, et ceux de troisième qui transportent les fourmilières du travail. »

Blanqui associe l’ensemble des producteurs de biens au sein d’une catégorie unifiée, à l’inverse de leurs productions qui elles doivent être triées en fonction de leur utilité sociale :

« Ce sont par conséquent les produits, non les producteurs, qu’il faut classer en utiles ou inutiles, suivant leur destination. »

Le producteur produisant tout, y compris le dispensable dont profite le seul rentier, au service de qui le producteur travaille :

« Qui d’entre eux ne travaille jamais pour un parasite ? »

Appelant à la révolte et à la sédition contre le système capitaliste, Blanqui n’accorde qu’une « qualité » au rentier inutile :

« (…) l’oisif lui-même, rend un service dont on doit tenir compte ; c’est la violente envie qu’il donne de le démolir. »

Faisant une distinction implicite entre peuple et foule, l’Enfermé incite à analyser l’histoire avec un œil critique, critique au moins au point de remettre en cause l’opinion générale :

« Les foules ne sont que trop souvent complices de cette démence. Les Pyramides d’Egypte, l’Escurial de Philippe II, le Versailles de Louis XIV, et tant d’autres monuments, admiration de l’histoire qui devrait les maudire, ont été construits avec les larmes et les ossements des contemporains. »

Finalement, Blanqui a utilisé le thème du luxe pour esquisser une réflexion plus générale sur ce que l’on pourrait appeler le parasitisme économique et social. Il a ainsi présenté le luxe comme inutile mais pas nécessairement toxique par nature, au service de la jouissance d’une classe sociale dont la fortune repose sur l’exploitation du petit, classe sociale qui elle, on peut l’affirmer, est intrinsèquement mortifère pour le reste de l’organisme national.

Certains dans la mouvance dite NR affirment qu’il faut rejeter l’idée même de lutte des classes. Ce fut aussi la position de certains de nos Anciens, de Duprat, Thiriart ou même de Douguine. Il est bon de rappeler que d’autres y étaient au contraire favorables.

Vincent Téma, le 15/09/23. (vincentdetema@gmail.com)

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