Carlos Hugo de Borbón-Parma, l’homme qui aurait dû être roi

carles hug de borbó déu patria i rei

Le 18 août 2010, à Barcelone, est décédé à l’âge de quatre-vingts ans, Carlos Hugo de Borbón-Parma. Il était le prétendant carliste au trône d’Espagne. Si Francisco Franco, qui bénéficia durant la guerre civile du soutien décisif des partisans du prince, les fameux requetes, ne s’y était pas opposé de toute ses forces, c’est lui qui aurait dû occuper le palais de la Zarzuela en lieu et place de Juan Carlos. Nul doute que si tel avait été le cas, le devenir de l’Espagne aurait été très différent.

Le carlisme est un courant politique espagnol anti-libéral, fédéraliste et contre-révolutionnaire, né au début du XIXe siècle à l’occasion d’une querelle dynastique due à l’abolition de la loi salique. De 1833 à 1876, trois guerres civiles – les guerres carlistes – opposèrent les troupes d’Isabel II, reine d’Espagne en titre, et de ses descendants, soutenue par la bourgeoisie urbaine, et tous ceux favorables au libéralisme, aux idées des lumières, à la révolution industrielle et à un État unifié, aux milices de Carlos V, son oncle, dont les partisans se recrutaient principalement parmi les paysans, les ouvriers et les artisans. Comme Don Carlos avait promis de rétablir les fueros, les droits locaux des provinces, la majeure partie de son soutien lui vint des régions d’Espagne à fort particularisme : la Catalogne, la Navarre et le Pays Basque.

Militairement définitivement vaincus en 1876, les carlistes se transformèrent alors en un parti dont les députés aux Cortès n’hésitaient pas à faire front commun avec les régionalistes et certains républicains. Directement inspirés par la doctrine sociale de l’Église, le Parti carliste fut à l’origine de la création, en 1919, des Sindicatos Libres, les premiers syndicats ouvriers catholiques.

Hostile à la dictature militaire du général Primo de Rivera et vivement réprimés durant celle-ci, le Parti carliste accueillit favorablement la chute d’Alphonse XIII et la proclamation de la IIe république. C’est alors un parti populaire dont l’assise est importante, qui noue des alliances électorales avec le Parti national basque et les nationalistes catalans, mais c’est aussi un parti fondamentalement catholique. Et c’est l’anticléricalisme forcené et provocateur des gauches radicales espagnoles qui va entraîner, sous la direction de Fal Conde, le parti – qui adopte en 1932 la dénomination de Communion traditionaliste – à prendre un net virage conservateur qui l’amènera à soutenir, en août 1932, le coup d’État du général Sanjurjo et à rompre avec ses alliés basques et catalans.

En 1936, les requetes qui préparaient de leur côté leur propre coup d’État, se rallient au soulèvement militaire de juillet et mobilisent leurs militants dans les tercios de requetes.

À ce moment, au tout début de la guerre civile, les carlistes sont la fraction politique dominante dans le camp nationaliste. Alors que les royalistes alphonsistes et les autres groupes de droite sont très faiblement organisés, ils disposent quant à eux de leurs propre milices, d’un parti de masse et de l’appui de deux généraux de premier plan : Mola et Sanjurjo. Leur seul concurrent qui fasse le poids est la Phalange espagnole des JONS qui dispose elle aussi d’un appareil politique conséquent et de sa propre milice. Francisco Franco a parfaitement saisi le rapport de force et il sait qui il doit anéantir pour obtenir le pouvoir total. Il va s’y employer méthodiquement. Ses deux rivaux militaires philocarlistes, Sanjurjo et Mola, périssent tous deux dans des accidents d’avion si suspects que tout laisse croire qu’ils ont été éliminés. Le 19 avril 1937, le décret d’unification supprime de facto la Communion carliste et la prive de ses biens et de sa presse, tandis que ses milices sont intégrées dans l’armée régulière et voient leur commandement assuré par des officiers d’active non-carlistes. Pire, Fal Conde, qui a publiquement dénoncé l’unification, est condamné à mort et doit s’exiler au Portugal pour échapper au peloton d’exécution.

La Communion carliste, qui va se reconstituer dans la clandestinité, sera donc antifranquiste. Capable de mobilisations importantes (50 000 manifestants à Montejurra en 1961) elle défend un christianisme social et s’enthousiasme tant pour le concile de Vatican II que pour la théologie de la libération. Ce gauchissement très net de sa ligne, qui n’est qu’un retour à ses positions du début du XXe siècle, se concrétise par la création des Groupes d’action carlistes qui, en 1965, commencent à mener des actions terroristes antifranquistes. En 1971, la Communion décide de reprendre le nom de Parti carliste et celui-ci adopte l’année suivante un programme où il se définit comme « socialiste autogestionnaire ».

En 1975, après l’abdication de son père, c’est à Carlos Hugo de Borbón-Parma qu’il revient de diriger le parti. Il le fait sans dévier d’un iota de la ligne définie et participe à diverses alliances avec tous les partis de l’opposition antifranquiste.

Lors de la transition, le prétendant apparaît comme un possible challenger monarchiste « de gauche » à Juan Carlos. Il doit donc être brisé. Le rassemblement de Monterruja de 1976 est attaqué par des nervis de l’extrême droite franquiste qui mitraillent les participants, en tuant plusieurs, sous l’œil indifférent des forces de l’ordre. Bien qu’identifiés, les assassins ne seront jamais inquiétés, et pour cause… L’année suivante, le gouvernement interdit au Parti carliste de présenter des candidats aux « premières élections démocratiques ».

Ces deux événements consécutifs portent un coup fatal au parti qui se délite alors. Nombre de ses membres rejoignent des groupes régionalistes, les autres se retirent du combat politique. Seule une petite phalange de fidèles maintient une organisation partisane en rêvant à ce qu’aurait pu être l’Espagne si Sanjurjo, Mola et Conde, n’avait pas été, en 1936, mis hors-jeu par Franco.

Christian Bouchet

Appendice

À la Phalange aussi, on refusait Franco

Les carlistes ne furent pas les seuls à rejeter la mainmise de Franco sur le mouvement national. Les phalangistes historiques se rebellèrent eux aussi contre le décret d’unification.

José-Antonio Primo de Rivera, fusillé par les rouges le 20 novembre 1936, fut remplacé à la direction de la Phalange espagnole des JONS par Manuel Hedilla. Bien que Franco l’ait nommé à la tête du bureau politique du parti unique créé le 19 avril 1937, le chef phalangiste refusa que son organisation perde son autonomie et le fit publiquement savoir.

La Phalange mobilisant ses partisans et organisant des manifestations contre le décret, la police militaire passa à l’action : le 25 avril, Manuel Hedilla et 1 521 cadres de son mouvement furent arrêtés. Divers conseils de guerre, tenus dans les mois qui suivirent, condamnèrent 288 d’entre eux à des emprisonnements allant de 10 ans à la perpétuité. Hedilla et trois de ses plus proches lieutenants furent, quant à eux, condamnés à mort puis graciés.

Dès lors les hédillistes, qui se désignaient comme la « Phalange du silence », furent parmi les plus farouches opposants à Francisco Franco. Dès 1938, ils créèrent la Phalange espagnole authentique, qui fut l’âme de divers complots visant à assassiner le Caudillo. Deux partisans d’Hedilla furent fusillés pour avoir participé à ces projets ainsi qu’a des attentats contre des réunions du parti unique franquiste. Les autres membres identifiés de ce courant furent condamnés aux travaux forcés

Dix années plus tard, de jeunes militants fondèrent les Juntes d’action nationale syndicaliste, tous furent rapidement emprisonnés. En 1954, d’autre créèrent les Juntes d’offensive nationales syndicalistes et maintinrent ainsi vivante la flamme. En 1967, Narciso Perales, un des condamnés de 1942, fonda le Front syndicaliste révolutionnaire puis le Front national d’alliance libre qu’il codirigea avec Manuel Hedilla, libéré entre temps. C’est à partir de celui-ci que fut recréée, lors de la période de transition qui suivit le décès de Francisco Franco, la Phalange espagnole des JONS (authentique) en 1976.

Antimonarchistes, antifranquiste, les authentiques furent très actifs jusqu’en 1979, avant que, poursuivis par la haine incessante des franquistes, la justice dissolve leur mouvement au motif qu’il utilisait pour se désigner un nom auquel il n’avait pas droit. Une tentative de reconstitution sous l’appellation de Phalange espagnole authentique fut interdite en 1984 sous le même motif.

Article rédigé pour Flash en août 2010.

Retour en haut