Article rédigé en janvier 2025 pour la revue Réfléchir et agir.
On m’a proposé, à l’automne, de passer une dizaine de jours en Russie pour un périple comprenant une rencontre avec Alexandre Douguine, un voyage de presse au Donbass et une conférence à Donetsk. Comme j’ai immédiatement accepté, me voici, le 14 décembre, dans un grand hôtel moscovite. La ville est couverte de neige et il fait glacial.
Je rencontre Alexandre Douguine à l’Institut d’études politiques de Moscou qu’il dirige. Quand j’arrive, il termine juste la conférence de clôture d’un séminaire de formation politique organisé pour tous les vice-recteurs des universités de Russie. Il ne murmure peut être pas à l’oreille de Poutine, mais au moins il arme conceptuellement une partie de l’appareil d’État.
Après une courte nuit, j’entame un long road trip en bus jusqu’à Donetsk. Quinze heures de trajet sur des autoroutes peu fréquentées. Le paysage est désespérément plat et blanc. Mes compagnons de voyage sont variés. Il y a deux journalistes – un camerounais et un libanais – un professeur d’université indien, un influenceur serbe et un autre slovène et, last but not least, un dirigeant majeur de l’American Communist Party ce fameux Maga communism évoqué dans un précédent numéro de RA. Notre encadrement est conséquent : sept personnes ! Autant que je puisse en juger, ses références idéologiques sont de « gauche nationale », proches de celles de l’écrivain Zakhar Prilepine.
Donetsk. Après une nuit de repos, la matinée se passe à déposer des œillets rouges devant divers mémoriaux aux victimes civiles des combats. Les télévisions nationales et locales sont présentes. J’enchaîne les entretiens. Puis nous allons au cirque assister à un spectacle organisé par le groupe de bikers nationalistes et orthodoxes Notchnye Volki (Les loups de la nuit) pour les enfants du Donbass ayant perdu leur père au combat. Dieu, qu’ils sont nombreux !
Soudain, alors que nous sommes ressortis et que nous nous dirigeons vers le musée de la Grande guerre patriotique qui se trouve à proximité, un grand bruit dans le ciel nous fait dresser la tête. Ce n’est rien, juste l’explosion en plein vol d’un missile ukrainien. La DCA semble efficace. Mais pourquoi ce missile isolé ? Quelques jours plus tard, rebelote. Cette fois-ci, c’est plus sérieux et on nous pousse vers un abri. Cela tonne de partout et l’on peut voir des explosions dans le ciel et des débris tomber. Un missile échappe à la DCA et s’écrase à trois cents mètres de nous. Il n’y a là absolument rien qui ait eu le moindre intérêt stratégique. Il semble que les Ukrainiens tirent des salves au hasard sur la ville afin de faire peser un stress continuel sur la population.
Nous visitons par la suite un collège. Son directeur est dans le même temps député de Russie unie, le parti de Poutine, au parlement de la République populaire de Donetsk et président local de l’Association des anciens combattants en Afghanistan. Il a transformé plusieurs salles de son établissement en un musée, surchargé, de la guerre en cours. Dans la même pièce, à peu de distance, trois meubles ressemblent à des autels : sur deux d’entre eux, parmi des drapeaux rouges, se trouvent un buste de Staline et un de Lénine ; sur un autre, couvert d’icônes, repose une Bible. Voyant mon regard interrogateur, notre cicerone me déclare : « Nous devons honorer toute notre histoire et n’en rien rejeter. »
Le lendemain, nous sommes à Marioupol, la ville a été très fortement impactée par la guerre et 90% des bâtiments ont été endommagés ou détruits. Des ruines sont encore visibles, mais c’est surtout la reconstruction rapide qui est frappante. La vie y est étrangement normale, les cafés ouverts, les fidèles nombreux dans l’église orthodoxe où je me risque entre deux offices. Ce qui est le plus impressionnant c’est, dans la banlieue immédiate, les ruines de la gigantesque usine sidérurgique d’Azovstal où les troupes ukrainiennes ont longtemps résisté. Là tout n’est que chaos, témoignage des très violents combats qui s’y sont déroulés.
Mais le clou de notre programme est incontestablement notre rencontre, près de la ligne de front, avec deux corps francs : les bataillons Española et Maksim Kryvonos. Nous partageons leurs repas et assistons à leurs entrainements.
Cela me permet de constater la grande hétérogénéité de ces unités de volontaires dont les membres se regroupent par affinité culturelle et idéologique.
Ainsi, si certaines brigades sont considérées comme d’extrême gauche, l’Española relève plutôt du bord opposé. J’ai de ce fait l’occasion de discuter du Livre de Vélès – la Bible des néopaïens slaves – avec un des soldats qui porte un soleil noir sur la poitrine et les affiches qui couvrent la salle de musculation de l’unité ne laissent aucun doute sur l’orientation générale puisque qu’au milieu de drapeaux du Old deep south deux portraits se côtoient : l’un de Joseph Staline, l’autre de Robert Matthew. Quant au nom, l’Española, l’officier chargé de ses relations publiques m’explique qu’il a été choisi en référence aux pirates de l’île d’Española (en français Hispaniola) car les membres du bataillon se reconnaissent en eux. Cette référence est similaire à celle des nôtres en Italie où Casa Pound a choisi la tortue comme logo en référence à l’île de la Tortue célèbre repaire de pirates séparé par un étroit bras de mer d’Hispaniola. Cela écrit, le bataillon, qui caserne sous les gradins d’un stade de foot et qui assure partiellement son autonomie alimentaire en cultivant son propre potager et en disposant de sa propre boulangerie, ne manque pas d’armes et nous propose aimablement de nous initier au tir au RPG et au fusil mitrailleur…
Le bataillon Maksim Kryvonos donne quant à lui une impression de structuration plus forte. Sa particularité est qu’il est constitué d’Ukrainiens ethniques soit ayant choisi le camp russe lors du déclenchement de la guerre, soit ayant déserté de l’armée ukrainienne pour rejoindre les forces russes, soit ayant demandé à intégrer le bataillon après avoir été fait prisonniers. Le discours de ses membres, avec qui je peux librement discuter, est très construit. Ils insistent sur le fait qu’ils ne luttent pas pour la libération du Donbass mais pour celle de l’Ukraine des griffes du « gang Zelenski » et qu’ils ne combattent pas pour les Russes mais « avec les Russes contre le régime de Kiev ».
Quant à la conférence que l’on m’a proposé de donner elle a lieu, le dernier jour, dans le cadre d’un colloque intitulé « Philosopher sur la ligne de front ». Depuis le début du conflit, il est organisé, chaque année, à Donetsk par le service en charge des écoles militaires du Ministère de la défense de Russie. J’y fais une intervention sur la guerre vue par Julius Evola et John Fuller. Ma phrase de conclusion, une citation de René Quinton, « La guerre est à l’homme ce que l’eau dormante est aux cygnes, le lieu de leur beauté » suscite une salve d’applaudissement des officiers présents !
Je reviens de ce voyage confirmé dans mes convictions et plus que jamais convaincu que l’affrontement entre l’Occident et la Russie est de nature eschatologique. Il me revient, au moment de conclure, ces phrases de Paul Morand : « « L’Europe viendra réellement frapper à notre porte, pour que nous nous levions et allions chez elle sauver l’ordre”, dit Dostoïevsky. Ainsi sera établi le règne de Dieu. Nous ne sommes pas encore arrivés à cette heure-là. Il faudra d’abord descendre jusqu’au fond de notre “conscience nocturne” sous la pression totale du malheur et le poids “de la force des choses”. Peut-être comprendrons-nous mieux l’avertissement de Dostoïevsky en nous rappelant les derniers mots de Léon Bloy dans Au seuil de l’Apocalypse : “J’attends les Cosaques et le Saint-Esprit.” » ; et celles-ci de Julius Evola : « C’est dans l’Idée qu’il sied de reconnaître notre véritable patrie. Non le fait d’être d’une même terre ou d’une même langue, mais le fait d’être de la même idée : voici ce qui compte aujourd’hui. Là est la base, là se trouve le point de départ. À l’unité collectiviste de la nation — celle des ‟enfants de la patrie” – telle qu’elle a toujours prédominé depuis la révolution jacobine jusqu’à nos jours, nous autres, en tout cas, nous opposons quelque chose qui ressemble à un Ordre, en hommes fidèles à des principes, en témoins d’une autorité et d’une légitimité supérieures procédant précisément de l’Idée. »
Christian Bouchet.
Encadré
Si les nationalistes ukrainiens ont constitué les meilleurs régiments présents sur la ligne de front face aux Russes, la fortune ne leur en est pas reconnaissante.
Politiquement, le résultat de leur soutien à Zelenski se concrétise par leur disparition électorale (3 % et un seul député aux dernières législatives alors qu’aux législatives précédentes ils pesaient 10.5% des voix et obtenaient 37 députés.)
Racialement, les meilleurs des leurs, et des Ukrainiens, sont tombés sur le front et bien d’autres tomberont encore. Leurs gènes sont perdus et ce sont des médiocres qui transmettront les leurs.
Tout nationaliste devrait être un disciple de Vacher de Lapouge, il est des moments où il est préférable de préserver la race et ses reproducteurs, le sang plutôt que le sol, en choisissant la paix, quelques désagréables que puissent être ses conséquences en termes de frontières.
