Cosmogonie de glace

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Dans les livres d’Evola, consacrés aux problèmes traditionalistes et politiques les plus variés, il y a toujours un appel au principe du froid. Le thème du froid émerge ici et là, qu’il s’agisse d’un tantra ou de la position existentielle de « l’homme solitaire », du bouddhisme zen ou des mystères de la chevalerie médiévale en Europe, de l’art contemporain ou de notes autobiographiques. « Froid » et « distance » – ce sont peut-être les deux mots qu’on rencontre le plus souvent dans le lexique du « baron noir ».

Le héros, par définition, doit être froid. S’il ne s’isole pas des autres, s’il ne gèle pas en lui-même la chaude énergie de l’humanité quotidienne, il ne sera pas au niveau de l’accomplissement de l’impossible, c’est-à-dire le niveau qui fait d’un simple humain un héros. Le héros doit se séparer du peuple et aller au-delà des limites du confort social, où soufflent les vents perçants de la réalité objective, sévère et inhumaine. Le sol et les pierres s’opposent aux mondes animal et végétal. La végétation agressive corrode les minéraux et les bêtes sauvages piétinent impitoyablement les herbes obstinées. Les éléments en dehors de la société ne connaissent pas la pitié. Le monde lui-même est un festin triomphal de matière, dont le niveau le plus profond fusionne avec des blocs de glace cosmique. Le héros est froid, parce qu’il est objectif, parce qu’il accepte de prendre le relais de la force spontanée, furieuse et brutale du monde.

Le caractère de tous les héros historiques – d’Hercule à Hitler – est identique : ils sont profondément naturels, élémentaux, d’une froideur abyssale et éloignés du compromis social. Ils sont les porteurs de l’abîme de l’objectivité.

À son étrange manière hermétique, Cesare della Riviera interprète ainsi le mot angelo (ange) : Angelo = ANtico GELO, c’est-à-dire « Ange = antique gel/glace ».

Cela est en rapport avec la phase suivante de l’action héroïque – pas un voyage vers la réalité, mais une évasion hors de ses limites, une évasion hors du « firmament de glace », du « firmament glacé des cieux ».

L’alchimie et la cabale en savent beaucoup sur le mystère du « firmament de glace ». C’est la frontière qui sépare les « eaux inférieures » de la vie des « eaux supérieures » de l’Esprit. La phrase de Della Riviera a une signification théologique précise : en quittant le domaine de  la vie émotionnelle, le héros devient un cristal de glace, un ange lumineux, dans la mer de verre de l’Esprit, sur laquelle repose le trône céleste des rois. La reine des neiges d’Andersen obligea le garçon Kai à graver dans la glace le mystérieux mot angélique Ewigkeit, mais les forces chaudes de la terre (Gerda en ancien germanique) rendirent le héros infortuné à une vie pauvre et désespérée. Au lieu d’un ange, il devint plus tard un bourgeois scandinave rougeaud, avec de la bière et des saucisses. La froideur est l’attribut du cadavre et de l’initié. Les corps des yogis se refroidissent au cours du processus d’éveil de l’énergie du serpent sacré – plus la kundalini monte, plus les parties correspondantes du corps deviennent sans vie jusqu’à ce que l’initié se transforme en une statue de glace, un axe de constance spirituelle.

Chaque héros voyage nécessairement vers le pôle, au cœur de la minuit. Là, il apprend à aimer cette substance sombre et incompréhensible que les alchimistes appellent « notre terre » ou « magnésie des philosophes ». L’urne contenant les cendres du baron Evola est enterrée dans les profondeurs d’un glacier alpin, au sommet du Monte Rosa. La montagne fut peut-être nommée ainsi en l’honneur de la bien-aimée sacrée de Friedrich von Hohenstaufen, celui qui ne meurt pas. La Rosa di Soria. La rose polaire.

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