Darwinisme

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L’une des découvertes les plus fécondes du XXe siècle fut la métaphysique des nations. Le dévoilement du Mystère de l’Histoire montra que les nations sont des manifestations différentes de l’âme des Hautes Cultures. Elles existent seulement dans les Cultures, elles ont une durée de vie pour des buts politiques, et possèdent une individualité vis-à-vis des autres nations de la Culture. Chaque grande nation a reçu une Idée, une mission pour la vie, et l’histoire de la nation est la réalisation de cette Idée. Cette Idée, encore une fois, doit être sentie, et ne peut pas être directement définie. Chaque Idée, pour la réalisation de laquelle une nation donnée a été choisie par la Culture, est aussi un stade de développement de la Culture. Ainsi l’Histoire Occidentale présente durant les derniers siècles une période espagnole, une période française, une période anglaise. Elles correspondent à la Civilisation baroque, rococo, et primitive. Ces nations ne durent leur suprématie spirituelle et politique durant ces années qu’au fait qu’elles étaient les gardiennes de l’Esprit de l’Epoque. Avec la fin de l’Epoque, ces gardiennes de son Esprit perdirent leur position spirituellement dominante dans la Culture.

La Civilisation primitive fut la période anglaise de l’Occident, et toute la pensée et l’activité de la Civilisation entière fut sur le modèle anglais. Toutes les nations se lancèrent dans l’impérialisme économique de type anglais. Tous les penseurs devinrent intellectuellement anglicisés. Les systèmes de pensée anglais dominèrent l’Occident, des systèmes qui reflétaient l’âme anglaise, les conditions de vie anglaises, et les conditions matérielles anglaises. Le premier de ces systèmes fut le darwinisme, qui devint populaire, et donc politiquement efficace.

Darwin lui-même était un adepte de Malthus, et son système implique le malthusianisme comme fondement. Malthus enseignait que l’accroissement de la population tend à dépasser l’accroissement des ressources alimentaires, que cela représentait un danger économique, et que seuls les « contrôles » de cet accroissement de population peuvent l’empêcher de détruire une nation, comme les épidémies et les guerres, les mauvaises conditions de vie et la pauvreté. Le malthusianisme considère expressément l’aide apportée aux pauvres, aux vieux et aux orphelins comme une erreur.

Un mot sur cette curieuse philosophie ; d’abord, elle n’a aucun rapport avec les faits, et n’est donc pas valable pour le XXe siècle. Statistiquement elle n’a pas de base, spirituellement elle montre une incompréhension complète du fait primordial du Destin, de l’Homme et de l’Histoire – à savoir que l’âme est primordiale, et que la matière est gouvernée par les conditions de l’âme. Chaque homme est le poète de sa propre Histoire, et chaque nation de son Histoire. Une population en augmentation montre la présence d’une tâche vitale, une population déclinante montre son insignifiance. Cette philosophie voudrait légitimer l’existence d’un homme par le fait qu’il est né ou non dans une région à l’alimentation adéquate ! Ses talents, sa tâche vitale, son Destin, son âme, sont tenus pour rien. C’est un exemple de la grande tendance philosophique du matérialisme : l’animalisation de l’homme de Culture.

Le malthusianisme enseignait que le rapport nourriture/population imposait une continuelle lutte pour la vie parmi les hommes. Cette « lutte pour la vie » devint une idée directrice pour le darwinisme. Les autres idées directrices du darwinisme se trouvent chez Schopenhauer, Erasmus Darwin, Henry Bates et Herbert Spencer. En 1835 Schopenhauer exposa une image de la Nature contenant la lutte pour l’auto-préservation, l’intelligence humaine comme arme de la lutte, et l’amour sexuel comme sélection inconsciente en accord avec les intérêts de l’espèce. Au XVIIIe siècle, Erasmus Darwin avait postulé l’adaptation, l’hérédité, la lutte et l’autoprotection comme principes de l’évolution. Bates formula avant Darwin la théorie du mimétisme, Spencer la théorie de l’hérédité, et le puissant slogan tautologique de la « survie du mieux adapté » pour décrire les résultats de la « lutte ».

C’est seulement le premier plan, car en fait la route remontant de Darwin à Calvin est très claire : le calvinisme est une interprétation religieuse de l’idée de la « survie du mieux adapté », et l’adapté est appelé « élu ». Le darwinisme rend ce processus d’élection mécanique/profane au lieu d’être théologique/religieux : la sélection par la Nature à la place de l’élection par Dieu. Il demeure purement anglais dans ce processus, car la religion nationale de l’Angleterre était une adaptation du calvinisme.

L’idée de base du darwinisme – l’évolution – est aussi peu nouvelle que les théories particulières du système. L’évolution est la grande idée centrale de la philosophie du XIXe siècle. Elle domine tous les penseurs importants et tous les systèmes : Schopenhauer, Proudhon, Marx, Wagner, Nietzsche, Mill, Ibsen, Shaw. Ces penseurs diffèrent dans leur explication du but et de la technique de l’évolution ; aucun d’entre eux ne conteste l’idée centrale elle-même. Pour certains d’entre eux elle est organique, pour la plupart elle est purement mécanique.

Le système de Darwin a deux aspects dont un seul est traité ici, car un seul fut efficace. Ce fut le darwinisme en tant que philosophie populaire. En tant qu’arrangement scientifique il avait des limitations considérables, et personne ne prêta attention à celles-ci lorsqu’il fut converti en une vision-du-monde journalistique. Sous cette dernière forme, il eut une vogue considérable, et fut efficace en tant que partie de l’image-du-monde de l’époque.

Le système montre sa provenance comme un produit de l’Epoque du Criticisme par ses suppositions téléologiques. L’évolution a un but : le but de produire l’homme, l’homme civilisé, l’homme anglais – en dernière analyse, les darwiniens. Elle est anthropomorphique : le « but de l’évolution » n’est pas de produire des bacilles, mais l’humanité. Elle est du capitalisme de marché au sens où la lutte est économique, chacun pour soi, et la compétition décide quelles sont les meilleures formes de vie. Elle est graduelle et parlementaire, car le « progrès » et l’adaptation continuels excluent les révolutions et les catastrophes. Elle est utilitaire, au sens où chaque changement dans une espèce a une utilité matérielle. L’âme humaine elle-même – connue comme le « cerveau » au XIXe siècle – n’est qu’un outil grâce auquel un certain type de singe progressa jusqu’à l’homme en devançant les autres singes. Téléologie à nouveau : l’homme devint homme afin qu’il puisse être homme. Elle est ordonnée ; la sélection naturelle se produit en accord avec les règles de reproduction artificielle en usage dans les fermes anglaises.

II

En tant que vision du monde, le darwinisme ne peut bien sûr pas être réfuté, puisque la Foi est, a toujours été, et sera toujours plus forte que les faits. Il n’est pas non plus important de le réfuter en tant qu’image du monde, puisqu’en tant que tel il n’influence plus personne à part des penseurs d’avant-hier. Cependant, en tant qu’image des faits, il est grotesque, depuis ses premières suppositions jusqu’à ses dernières conclusions.

En premier lieu, il n’y a pas de « lutte pour la vie » dans la nature ; cette vieille idée malthusienne projetait simplement le capitalisme sur le monde animal. De telles luttes pour la vie sont des exceptions lorsqu’elles se produisent ; la règle dans la Nature est l’abondance. Il y a une quantité de plantes à manger pour les herbivores, et il y a une quantité d’herbivores à manger pour les carnivores. Entre ces derniers on peut difficilement dire qu’il y a « lutte », puisque seul le carnivore est spirituellement équipé pour la guerre. Un lion faisant son repas d’un zèbre ne témoigne pas d’une « lutte » entre deux espèces, à moins qu’on ne soit déterminé à en juger ainsi. Même ainsi, il faut concéder qu’il n’est pas physiquement, mécaniquement nécessaire pour les carnivores de tuer d’autres animaux. Ils pourraient aussi bien manger des plantes – c’est pourtant la demande de leurs âmes animales de vivre de cette façon, et donc, même si on devait qualifier leur vie de lutte, elle ne serait pas imposée par la « Nature » mais par l’âme. Ainsi elle devient non pas une « lutte pour la vie », mais une nécessité spirituelle d’être soi-même.

La mentalité capitaliste, engagée dans une compétition pour devenir riche, décrivit tout naturellement le monde animal comme étant également engagé dans une compétition économique intensive. Le malthusianisme et le darwinisme sont donc tous deux des attitudes capitalistes, en ce qu’ils placent l’économie au centre de la Vie, et la considèrent comme le sens de la Vie.

La sélection naturelle fut le nom donné au processus par lequel l’« inadapté » disparaît pour laisser la place à l’« adapté ». L’adaptation fut le nom donné au processus par lequel une espèce se transformait graduellement pour être plus adaptée à la lutte. L’hérédité fut le moyen par lequel ces adaptations étaient conservées par l’espèce.

En tant qu’image factuelle, celle-ci est plus facile à réfuter qu’à prouver, et les penseurs biologiques factuels, mécanicistes aussi bien que vitalistes, comme Louis Agassiz, Du Bois-Reymond, Reinke et Driesch la rejetèrent dès son apparition. La réfutation la plus facile est la paléontologique. Les dépôts fossiles – découverts dans des parties différentes de la terre – devraient représenter les possibilités générales. Pourtant ils ne livrent que des espèces stables, et pas de types transitionnels qui montreraient une espèce « évoluant » en quelque chose d’autre. Et ensuite, dans une nouvelle réserve fossile, une nouvelle espèce apparaît, dans sa forme définitive, qui demeure stable. Les espèces que nous connaissons aujourd’hui, et depuis les siècles passés, sont toutes stables, et on n’a jamais observé aucun cas d’une espèce « s’adaptant » pour changer son anatomie ou sa physiologie, dont l’« adaptation » aurait ensuite entraîné davantage d’« aptitude » pour la « lutte pour la vie », et qui aurait été transmise par l’hérédité, avec pour résultat une nouvelle espèce.

Les darwiniens ne peuvent pas expliquer ces faits en faisant intervenir de grands espaces de temps, car la paléontologie n’a jamais découvert aucun type intermédiaire, mais seulement des espèces distinctes. Et les animaux fossiles qui ont disparu ne sont aucunement plus simples que les formes actuelles, bien que le cours de l’évolution soit supposé aller des formes de vie simples aux complexes. C’était de l’anthropomorphisme grossier : l’homme est complexe, les autres animaux sont simples, et ils doivent tendre vers lui, puisqu’il est biologiquement « supérieur ».

Qualifier l’homme de Culture d’animal « supérieur », c’est encore le traiter comme un animal. L’homme de Culture est un monde spirituellement différent de tous les animaux, et ne peut pas être compris en l’intégrant dans un schéma matérialiste artificiel.

Si cette image des faits était correcte, les espèces ne devraient faire qu’une à l’heure actuelle. Elles devraient avoir toutes convergé. Ce n’est pas le cas, bien sûr. En fait, il ne devrait pas y avoir d’espèces, mais seulement une masse déferlante d’individus, engagés dans une course pour atteindre l’homme. Mais, encore une fois, la « lutte » n’est pas du tout concluante. Les formes « inférieures », plus simples – moins adaptées ? – n’ont pas disparu, n’ont pas obéi au principe de l’évolution darwinienne. Elles conservent la même forme qu’elles ont eue – comme diraient les darwiniens – pendant des millions d’années. Pourquoi n’ont-elles pas « évolué » en quelque chose de « supérieur » ?

L’analogie darwinienne entre la sélection artificielle et la sélection naturelle est aussi en opposition avec les faits. Les produits de la sélection artificielle tels que les volailles, les chiens de course, les chevaux de course, les chats de concours et les canaris chanteurs seraient certainement désavantagés face aux variétés naturelles. La sélection artificielle n’a donc été capable de produire que des formes de vie moins adaptées.

La sélection sexuelle darwinienne n’est pas non plus en accord avec les faits. La femelle ne choisit pas toujours l’individu le plus beau et le plus fort comme partenaire, que ce soit dans l’espèce humaine ou dans d’autres.

L’aspect utilitaire de l’image est aussi très subjectif – c’est-à-dire anglais, capitaliste, parlementaire –, car l’utilité d’un organe dépend de l’usage qu’on veut en faire. Une espèce dépourvue de mains n’a pas besoin de mains. Une main qui se développerait lentement serait un désavantage positif pendant les « millions d’années » nécessaires pour perfectionner la main. De plus, comment ce processus commencerait-il ? Pour qu’un organe soit utile, il doit être prêt ; pendant qu’il est en cours de préparation, il est inutile. Mais s’il est inutile, il n’est pas darwinien, puisque le darwinisme dit que l’évolution est utilitaire.

En fait, toutes les techniques de l’évolution darwinienne sont simplement tautologiques. Ainsi, à l’intérieur d’une espèce, ce sont les individus qui ont une prédisposition à s’adapter qui le font. L’adaptation présuppose l’adaptation.

Le processus de sélection affecte les spécimens ayant des aptitudes précises qui les rendent dignes de sélection, en d’autres mots, ils ont déjà été sélectionnés. La sélection présuppose la sélection.

Le problème de l’hérédité dans l’image darwinienne est traité comme une explication des relations entre les espèces. Ayant supposé leur interrelation, il découvre ensuite qu’elles sont reliées entre elles, et prouve ainsi l’interrelation. L’hérédité présuppose l’hérédité.

L’utilité d’un organe est une manière de dire qu’il fonctionne pour cette espèce. L’utilité présuppose donc l’existence de l’espèce même qui possède l’organe, mais sans cet organe. Pourtant les faits n’ont jamais montré une espèce acquérant un certain organe manquant, qui semblait nécessaire. Une forme de vie a besoin d’un certain organe parce qu’elle en a besoin. L’organe est utile parce qu’il est utile.

La doctrine naïve et tautologique de l’utilité n’a jamais demandé : « utilité pour quoi ? ». Ce qui sert la durée ne peut pas servir la force. L’utilité n’est pas une chose simple, mais dépend entièrement de ce qui existe déjà. C’est donc la demande intérieure d’une forme de vie qui détermine ce qu’elle voudrait avoir, ce qui lui serait utile. L’âme du lion et sa puissance vont de pair. La main de l’homme et son cerveau vont de pair. Personne ne peut dire que la force du lion lui fait vivre de la manière qu’il vit, ni que la main de l’homme est responsable de ses réussites techniques. Dans les deux cas, c’est l’âme qui est primordiale.

Le matérialisme darwinien transforme cette primauté du spirituel en doctrine de l’utilité. Un manque peut être utile : l’absence d’un sens en développe d’autres ; la faiblesse physique développe l’intelligence. Chez l’homme comme chez les animaux, l’absence d’un organe en stimule d’autres pour une activité compensatoire – on observe souvent cela dans l’endocrinologie en particulier.

III

Toute la grotesquerie du darwinisme, et du matérialisme de tout le XIXe siècle en général, est le produit d’une idée fondamentale – une idée qui se trouve également être sans objet pour ce siècle, même si elle était un fait primordial un siècle plus tôt. Cette idée était que la Vie serait formée par l’extérieur. Elle produisit la sociologie de l’« environnement » comme déterminant l’âme humaine. Plus tard elle généra la doctrine de l’« hérédité » comme faisant de même. Et pourtant, dans un sens purement factuel, qu’est-ce que la Vie ? La Vie est la réalisation du possible. Le possible se transforme en réel au milieu de faits extérieurs, qui affectent seulement la manière précise selon laquelle le possible devient réel, mais ne peuvent pas toucher la force intérieure qui s’exprime à travers les faits extérieurs, et si nécessaire en opposition avec eux.

Ni l’« hérédité » ni l’« environnement » ne déterminent ces possibilités intérieures. Ils affectent seulement le cadre à l’intérieur duquel s’exprimera quelque chose d’entièrement nouveau, un individu, une âme unique.

Au XXe siècle, le mot évolution décrit le processus de maturation et d’accomplissement d’un organisme ou d’une espèce. Ce processus n’est pas du tout l’opération de « causes » mécaniques-utilitaires sur un matériel plastique, sans forme, protoplasmique, avec des résultats purement accidentels. Son travail avec les plantes conduisit De Vries à développer sa théorie de la mutation concernant l’origine des espèces, et les faits de la paléontologie la renforcent dans la mesure où ils montrent l’apparition soudaine de nouvelles espèces. Le XXe siècle juge tout à fait inutile de formuler des mythologies, que ce soit en cosmogonie ou en biologie. Les origines nous sont à jamais cachées, et un point de vue historique est intéressé par le développement du processus, pas par le commencement mystérieux du processus. Ce commencement, tel qu’il est exposé par la mythologie scientifique, et par la mythologie religieuse, n’a qu’un intérêt historique pour notre époque. Ce que nous remarquons, c’est qu’autrefois ces images du monde étaient réelles et vivantes.

Qu’est-ce que la véritable Histoire de la Vie, telle que cette époque la voit ? Diverses espèces de Vie existent, classées d’après un contenu spirituel croissant, allant des plantes et des animaux jusqu’à l’homme, puis à l’homme de Culture, et aux Hautes Cultures. Certaines des variétés, comme cela est montré par les fossiles, existaient dans leur forme actuelle dans des périodes terrestres antérieures, alors que d’autres espèces apparurent et disparurent.

Une espèce apparaît soudainement, dans les gisements de fossiles tout comme dans les laboratoires expérimentaux. La mutation est une description légitime du processus, si l’idée est exempte de toutes causes mécaniques-utilitaires, car ces dernières sont seulement imaginées, alors que les mutations sont un fait. Chaque espèce a aussi un Destin, et une certaine énergie de Vie, pour ainsi dire. Certaines sont stables et solides ; d’autres ont été faibles, tendant à se séparer en de nombreuses variétés différentes, et à perdre leur unité. Elles ont aussi une durée de vie, car beaucoup ont disparu. Tout ce processus n’est pas du tout indépendant des périodes géologiques, ni des phénomènes astraux. Certaines espèces, cependant, survivent à une période terrestre jusqu’à la suivante, de même que certains penseurs du XIXe siècle ont survécu jusqu’au XXe.

Les darwiniens proposèrent aussi une explication de la métaphysique de leur évolution. Roux, par exemple, soutient que celui qui « adapté au but » survit, alors que celui qui est « inadapté au but » meurt. Cependant le processus est purement mécanique, et c’est donc une aptitude à un but mais sans un but. Nageli enseignait qu’un organisme se perfectionne parce qu’il contient en lui le « principe de perfection », de même que le médecin de Molière expliquait que le somnifère agit à cause d’une vertu dormitive inhérente. Weismann niait l’hérédité des caractères acquis, mais au lieu d’utiliser cela pour détruire le darwinisme, comme conséquence évidente – si chaque individu doit repartir à zéro, comment l’espèce peut-elle « évoluer » ? –, il l’utilise pour soutenir l’image darwinienne en disant que le protoplasme contient des tendances latentes menant à des qualités utiles. Mais ce n’est plus du darwinisme, car l’espèce n’évolue pas si elle fait seulement ce qu’elle tend à faire.

Ces explications tautologiques convainquirent les gens seulement parce qu’ils y croyaient déjà. L’époque était évolutionnaire et matérialiste. Le darwinisme combina ces deux qualités en une doctrine biologico-religieuse qui satisfaisait l’impératif capitaliste de cette époque. Toutes les expériences, tous les faits nouveaux prouvaient le darwinisme ; on n’aurait jamais permis qu’il en soit autrement.

Le XXe siècle ne voit pas le Vie comme un accident, un terrain de jeu pour des causes externes. Il voit le fait que les formes de Vie commencent soudainement, et que le développement ultérieur, ou évolution, n’est que la réalisation de ce qui est déjà possible. La Vie est le déploiement d’une Ame, d’une individualité. Quelle que soit l’explication que l’on donne de la manière dont la Vie a commencé, elle ne fait que révéler la structure de sa propre âme. Une explication matérialiste révèle un matérialiste. De même, l’imputation d’un « but » à la Vie dans son ensemble transcende la connaissance et entre dans le domaine de la Foi. La Vie dans son ensemble, chaque grande forme de Vie, chaque espèce, chaque variété, chaque individu, a cependant un Destin, une direction intérieure, un impératif tacite. Ce Destin est le fait primordial de l’Histoire. L’Histoire est l’enregistrement des destins accomplis (ou contrariés).

Toute tentative de transformer l’homme en animal, et les animaux en automates, est simplement du matérialisme, et donc le produit d’un certain type d’âme, d’une certaine époque. Le XXe siècle n’est pas une telle époque, et regarde la réalité intérieure de l’âme humaine comme le déterminant de l’histoire humaine, et la réalité intérieure de l’Ame de la Haute Culture comme le déterminant de l’histoire de cette Culture. L’âme exploite les circonstances extérieures – celles-ci ne la forment pas.

Le XXe siècle, n’étant pas capitaliste, ne voit pas non plus de lutte pour la vie se dérouler dans le monde, que ce soit pour les hommes ou les animaux. Il voit une lutte pour la puissance, une lutte qui n’a aucun rapport avec de basses raisons économiques. C’est une lutte pour la domination du monde que voient les XXe et XXIe siècles. Ce n’est pas à cause d’un manque de nourriture pour les populations humaines du monde – il y a une abondance de nourriture. La question est la puissance, et dans la résolution de cette question, la nourriture, les vies humaines, le matériel et tout ce dont les participants peuvent disposer entreront en jeu en tant qu’armes, et non comme enjeux. Elle ne sera pas non plus résolue au sens où un procès peut se terminer par un jugement. Les lecteurs vivant en 2050 souriront quand on leur dira qu’il y avait autrefois dans la Civilisation Occidentale une croyance assez répandue selon laquelle la Première Guerre Mondiale avait été la « dernière guerre ». La Seconde Guerre Mondiale était aussi regardée de cette façon, pendant tous les préparatifs pour la Troisième. C’était un cas d’idéalisme pacifiste illusoire, plus fort que les faits.

Le darwinisme fut l’animalisation de l’homme de Culture, au moyen de la biologie ; l’âme humaine fut interprétée comme une simple technique supérieure pour combattre les autres animaux. Nous en arrivons maintenant au marxisme, l’animalisation de l’homme par l’économie, l’âme humaine comme un simple réflexe pour trouver de la nourriture, des vêtements et un abri.

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