Eden Pastora, un guérillero contre Moscou et Washington

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On fête cette année [cet article est paru en 2009] au Nicaragua, le trentième anniversaire de la victoire des guérilleros qui, en 1979, renversèrent la dictature d’Anastasio Somoza. Dans toutes les cérémonies d’importance qui ont lieus on rencontre un homme au corps massif et aux cheveux blancs. Il se nomme Eden Pastora et la presse le désigna, un temps, comme le Commandant Zéro, le chef suprême des anti-somozistes nicaraguayens. Dirigeant une guérilla hostile aux USA et à l’URSS, il a enthousiasmé les nationalistes-révolutionnaires européens des années 1980-1990 qui empruntèrent à son organisation, el Tercer Fronte, leur nom : les tercéristes. Actuellement,  il dirige une modeste société de pèche et il est amer. Après une vie d’activisme politique et trois divorces, il déclare désabusé : « La première chose que nous, les révolutionnaires, nous perdons, ce sont nos femme. La dernière c’est notre vie. Entre les deux, on nous prend notre liberté, notre joie de vivre et nos moyens de subsistance. »

Eden Pastora ? Qui se souvient encore de lui en Occident ? Il aurait pu être aussi célèbre que Che Guevara, mais il choisit le mauvais camp et tout fut fait alors pour que son nom soit oublié. Pourtant, durant l’été 1978, les médias internationaux n’avaient d’yeux que pour lui.

Le 22 août 1978,  à la tête d’un commando de vingt-trois hommes, Eden Pastora s’était rendu maître du palais national de Managua et avait fait mille cinq cent otages, dont la moitié était des députés et des sénateurs ou des hauts fonctionnaires du Nicaragua. Ce coup d’éclat fit instantanément de lui un héros national et le fit connaître par le monde entier. De surcroît, grâce à l’intervention du cardinal Miguel Obando y Bravo, évêque de Managua, le dictateur philoyankee Anastasio Somoza céda aux demandes des insurgés : versement d’une rançon de 500.000 dollars, libération de 59 prisonniers politiques et diffusion publique d’un appel à l’insurrection générale. Lors du départ du commando, accompagné des prisonniers libérés et de quelques otages, le cortège de véhicules se rendant a l’aéroport fut applaudi par une foule dense qui avait envahie les trottoirs.  A Cuba où il débarqua, Eden Pastora fut fêté en héros puis mis aux arrêts dans une prison dorée. Il ne put avoir de contacts avec les médias et on lui refusa le droit de retourner au Nicaragua pour reprendre sa place au sein de la direction de la guérilla. Pour le Parti communiste cubain, il était inadmissible qu’un cadre de haut niveau de celle-ci se réfère à Peron et à Haya de la Torre plutôt qu’à Marx, il était encore plus inadmissible qu’il devienne une personnalité charismatique capable d’incarner la révolution. Il fallait donc retirer Eden Pastora du jeux politique nicaraguayen, tout faire pour qu’il soit rapidement oublié, briser son image en affirmant que pendant que les autres combattaient dans la jungle, lui prenait du bon temps à La Havane. Il faudra une intervention d’Omar Torrijos, alors à la tête du Panama, pour que Pastora, qui entre temps avait été désigné au poste – uniquement honorifique – de Chef d’état-major de l’armée sandiniste, soit enfin libéré et autorisé à quitter Cuba.

Pour comprendre ce qui se passa alors au Nicaragua il convient de faire un flash-back historique. Au début des années 1930, ce petit pays intéressa beaucoup les États-Unis car ils espéraient y creuser un second canal de Panama. Ils intervinrent donc dans sa politique intérieure, envoyèrent des troupes pour réduire à néant une insurrection d’obédience libérale menée par le général Augusto Sandino et mirent au pouvoir, en 1936,  Anastasio Somoza le chef de la Garde nationale, force para-militaire qu’ils avaient formée et équipée. Durant quarante-trois ans, jusqu’en 1979, la famille Somoza régna sans partage sur le Nicaragua grâce au soutien des USA.

A partir des années 1960, l’opposition aux Somoza se structura : elle fut libérale-conservatrice avec la famille Chamorro, nationale-révolutionnaire avec le Front révolutionnaire Sandino et l’Alliance révolutionnaire démocratique initiés en 1959 par Eden Pastora et marxiste avec le Front sandiniste de libération nationale, fondé en 1961 à La Havane.

Au milieu des années 1960, Pastora passa un accord avec le FSLN. Implanté dans le sud du Nicaragua, il y dirigeait le Tercer Front (1) particulièrement redouté par la Garde nationale de Somoza. Après la victoire des guérilleros, le Comandant Zéro devint vice-ministre de l’Intérieur et Chef national des milices populaires, mais il fut tenu à l’égard des vrais centres de décision car il n’était pas membre de la junte militaire dont les  neuf membres étaient les véritables dirigeants du pays. Très rapidement Pastora se retrouva en désaccord avec cette junte, critiquant son alignement sur Moscou et Cuba, ainsi que le fait que, tout en marxisant le pays, ses membres vivaient comme des grand bourgeois. Symboliquement, il démissionna de toutes ses responsabilités le jour du second anniversaire de la chute de Somoza et débuta, peu de temps après, une nouvelle guerrilla dans le sud du pays.

Cela faisait alors quelques mois que la CIA avait initié la « contra » une insurrection militaire anti-sandinistes. Le refus d’Eden Pastora de s’y intégrer, son rejet de l’idée de fusionner son Alliance révolutionnaire démocratique avec les Forces démocratiques nicaraguayennes qui regroupaient les anciens somozistes, son slogan « Ni Washington, ni Moscou », tout cela fit de lui, pour Langley, un ennemi à abattre. En mai 1984, alors qu’il avait réussi a créer un vaste sanctuaire pour ses partisans, la República Libre de San Juan del Norte, il fut  victime, lors d’une conférence de presse, d’un attentat à la bombe qui le blessa grièvement et tua trente de ses proches. Une enquête internationale établit par la suite que cet acte terroriste avait été organisé par la CIA, à  la demande expresse du colonel Oliver North (célèbre pour son implication dans l’Irangate).

Ayant signé une paix des braves avec les sandinistes, Eden Pastora rentra au Nicaragua en décembre 1989 et participa activement à la vie politique du pays en soutenant le Parti Social-chrétien. Il créa ensuite, en 1992, sa propre organisation :le Mouvement d’action démocratique. Mais il ne put se présenter aux présidentielles de 1996. Libération expliqua alors que sa candidature vait été rejetée par le Conseil électoral suprême car : « A 61 ans, l’ancien comandante n’a pas que des amis. Les somozistes fréquentent à nouveau les allées du pouvoir, et les sandinistes ne lui pardonnent pas d’avoir rejoint la Contra dans les années 80, après avoir dénoncé la dictature marxiste-léniniste d’Ortega ». Terceriste opposé à la droite et à la gauche, il se trouvait face à la droite et à la gauche logiquement unies contre lui…  Candidat, enfin, aux élections présidentielles de 2006 sous l’étiquette de l’Alternative pour le changement, il n’obtint qu’un score très décevant de 2 % des suffrages. De toutes évidence, il n’y avait plus d’espace politique libre pour lui dans son pays, celui-ci étant, une fois de plus, occupé par son vieil allié/adversaire Daniel Ortega, sandiniste converti à un catholicisme radical tout en prônant maintenant une troisième voie géopolitique avec Chavez, Ahmadinejad ou Khadafi… Ce qu’avait rêvé Pastora.

Note :

1 – Troisième front, le premier était celui des villes, le second celui de la région Nord. Entre eux les partisans de Pastora se nommaient les terceristes. Après la chute de Somoza les ils devinrent les partisans d’une « troisième voie » entre Moscou et Washington, entre le collectivisme communiste et le capitalisme libéral.

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