Extraits de l’œuvre de Pierre Drieu La Rochelle (1893-1945)

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Drieu n’a jamais trahi sa patrie, car sa patrie c’est l’Europe …
(Jean Mabire)

« L’Europe se fédérera, ou bien elle se dévorera, ou elle sera dévorée. »
(Mesure de la France, 1922)

« Je sais qu’on ne peut pas rester seul en Europe ; ou si l’on se croit assez fort pour y être seul, on n’y fait que des folies. Les aventures de Louis XIV, de Bonaparte, de Guillaume II marquent chaque siècle d’une preuve qui devrait être décisive, et amener enfin toutes les nations d’Europe à concevoir en esprit cette égalité que jusqu’ici elles n’ont su s’imposer entre elles que par la violence. » (Mesure de la France, 1922)

Extraits de Genève ou Moscou, 1928 :

« … mon but politique essentiel a été, est et sera toujours la constitution des Etats-Unis d’Europe. »

« Il faut faire les Etats-Unis d’Europe, parce que c’est la seule façon de défendre l’Europe contre elle-même et contre les autres groupes humains. »

« Le dernier et le plus fatal des excès du nationalisme, c’est la multiplication des patries. Il y a maintenant une démocratie des patries, comme il y a une démocratie des individus. Le traité de Versailles a fait de l’Europe une mosaïque d’Etats moyens ou petits, une Suisse nombreuse. (…) D’ailleurs cet excès finit même par se retourner contre le nationalisme et le menacer : le provincialisme tuera peut-être le nationalisme. (…) Chaque grande patrie, déchirée intérieurement par dix petites patries, acceptera plus facilement de s’humilier et de céder une part de son autorité à une patrie supérieure, européenne. »

« Je dis que les patries ne vivent plus pour nous, Européens, que comme des idées pures que nous ne pouvons plus prier que dans le ciel et non plus sur la terre. (…) Et dans cet esprit, notre tâche immédiate est de faire l’Europe. Il faut faire l’Europe parce qu’il faut respirer quand on ne veut pas mourir. (…) Entre Calais et Nice, j’étouffe : je voudrais m’allonger jusqu’à l’Oural. Mon cœur nourri de Goethe et de Dostoïevski filoute les douanes, trahit les drapeaux, se trompe de timbre-poste dans ses lettres d’amour. Je veux être grand et achever le monument européen pour la plus grande gloire du monde. Nous sommes 360 millions. »

« Des amis, qui sont dispersés de l’Oural à l’Atlantique, créent en ce moment quelque chose d’inattendu, de surprenant. Qu’importe le nom qui viendra à nos terres pour baptiser cette œuvre inconnue. » [1]

« Le Zollverein européen avant dix ans, c’est une condition de vie ou de mort. »

« Je vois la race blanche partagée en trois groupes : Russie, Europe, Amérique. Alors le problème est de savoir si ces trois groupes pourront vivre séparés, au moins pour un temps, en formant chacun une grande unité économique, un tout se suffisant à lui-même, ou si ce séparatisme, si élargi qu’il soit, est déjà trop étroit. Et alors l’harmonisation de ces trois mondes se fera-t-elle par la douceur ou par la violence ?

C’est ici qu’on voit la question européenne reprendre de l’importance : car l’Europe est le plus faible de ces trois mondes : elle fait une zone de dépression entre deux forces montantes. L’Europe est menacée par l’impérialisme capitaliste de l’Amérique et par l’impérialisme socialisant de la Russie. Elle est le champ clos où ces deux systèmes se heurtent .

Tout dépend de ce qui reste de force à l’Europe. Est-elle capable de se saisir d’elle-même, de s’unifier et de se fermer aux deux influences contraires pour résoudre librement et intimement l’amalgame ? C’est ainsi qu’on en revient toujours à la nécessité immédiate et essentielle : faire les Etats-Unis d’Europe.

On voit le double contrecoup que cette grande opération aura, et sur l’Amérique et sur la Russie. Le Zollverein européen obligera le capitalisme américain à réfléchir sur sa naissante folie et à faire machine arrière, à se replier et refermer sur lui-même comme c’est à souhaiter pour son enrichissement profond, ou alors à décidément outrepasser les bornes de la mesure et à entrer délibérément dans la grande aventure d’un impérialisme étendu à toute la planète. Et la Russie devra se décider, de son coté, à composer dans le sens démocratique avec l’Europe, ou à s’acharner de nouveau à former une unité économique socialiste, par ses seuls moyens. »

« Peu importe que l’Europe que je propose soit celle qui se fera, l’important c’est que je vous incite à penser en Européens. »

« … j’ai l’air de dire que les patries, ayant des assises immuables, sont immuables, mais j’entends seulement qu’une patrie n’est immuable que par rapport à une autre patrie, dans le cadre économique qui les a nécessitées toutes deux. Si ces bornes ne peuvent se choquer et se renverser l’une l’autre, elles s’usent lentement côte à côte, et se lève à l’horizon un être qui les renversera toutes, l’Europe, nouvelle figure géographique, nouvelle patrie qui naît à la mesure de l’économie d’aujourd’hui. (…) J’ai donc pris parti cotre les vieilles patries qui déchirent l’Europe. J’appelle comme toi, parmi ces forces obscures, celle qui brisera les vieilles frontières et permettra la naissance à cet être jeune et grand que j’appelle l’Europe et qui sera une nouvelle société taillée à la mesure de notre époque, une société de 400 millions d’hommes. » (L’Europe contre les patries, 1931)

« L’Europe viendra à bout des patries qui la déchirent. »
(L’Europe contre les patries, 1931)

« [Les anciennes patries] sont de vieilles dames gâteuses qui, tardant à mourir, empêchent d’hériter une grande femme que j’aime et qui s’appelle l’Europe. »
(Drôle de voyage, 1933)

« Quand je parle de patrie pour moi, je parle de l’Europe. »
(La Comédie de Charleroi, 1934)

« Tous les moyens sont bons, je puis aussi bien m’emparer de ce moyen que m’offre la révolution hitlérienne que de n’importe quel autre pour aller vers la suppression des frontières en Europe. » (Socialisme fasciste, 1934)

« C’est maintenant qu’il faut entrer dans le fédéralisme et qu’il faut mettre fin au nationalisme intégral et à l’autonomisme patriotique. » (1940)

« … l’homme du XXe siècle en Europe réclame une autorité indiscutée, un minimum de socialisme et une autarcie assez vaste pour que le protectionnisme inévitable y devienne bienfaisant au lieu d’y être par étroitesse malfaisant. »
(chronique politique, septembre 1940)

« Croire à la possibilité de l’entente entre la France et l’Allemagne, c’est pour moi croire à la possibilité de l’entente européenne. » (interview, décembre 1940)

« L’Europe ne peut pas vivre sans ses patries et, certes elle mourrait si en les tuant elle détruisait ses propres organes ; mais les patries ne peuvent plus vivre sans l’Europe. Nées de l’Europe, elles doivent retourner à l’Europe. Elles l’ont déchirée au temps de leur croissance merveilleuse, comme des enfants qui s’émancipent cruellement de leur mère pour dévorer leur part de destin ; mais aujourd’hui il leur faut se réfugier et se revigorer en elle … Voici que de nouveau finit le temps printanier des cités et des patries, des principautés et des royaumes : voici revenu le temps estival des empires. Après Athènes, c’est l’empire d’Alexandre ou de César. » (Le Français d’Europe, article écrit en 1941)

« … si le monde ne peut plus vivre dans l’ordre des patries, il n’est pas mûr pour vivre dans l’ordre planétaire. Tel qu’il est actuellement, il est fait pour s’arrêter longtemps dans l’ordre continental. » (chronique politique, 1942)

« Trois cents millions d’hommes chantent dans un seul camp. Un seul drapeau rouge se tient au sommet des Alpes. » (Journal, 1942)

« Un peu d’Histoire divise les Européens, mais beaucoup d’Histoire les unit. »
(Le Français d’Europe, article écrit en 1942)

« Si nous restons sur le terrain des mythologies nationales, nous dirons que l’idée d’Europe apparaît comme le résultat de la saturation du nationalisme dans chaque nation. »
(article « France, Angleterre, Allemagne », écrit en 1942)

« La Suisse est là pour rappeler d’abord que l’Europe n’est pas une juxtaposition de germanisme et de latinisme, mais une interpénétration inextricable de ces deux courants mythiques… Cette puissance de transfiguration qui, jointe à la puissance de synthèse, fait de la Suisse un symbole insistant des fortunes de l’Europe, un réceptacle abondant des secrets alliages qui assurent sa vitalité. La Suisse est le point de l’Europe, le point de tous les croisements physiques et métaphysiques, le point crucial – ce n’est pas en vain que son emblème est une croix ; c’est donc un point sacré. (…) [il faut] quelque chose qui dépasserait et la Suisse et le Saint-Empire, quelque chose qui conjoindrait avec autant de souplesse et de complexité les esprits germanique, latin et slave-occidental, le génie de l’aristocratie et le génie de la démocratie, le génie fédératif et le génie unitaire … L’Europe est aussi difficile à faire que le fut la Suisse. »
(Le Français d’Europe, article écrit en 1943)

La patrie est amère à celui qui a rêvé l’empire. Que nous est une patrie si elle n’est pas promesse d’empire ?
(L’Homme à cheval, 1943)

« Les masses ne peuvent s’ébranler pour la défense de l’Europe que si le mythe d’Europe et le mythe du socialisme se sont clairement unis et si cette union se manifeste par des actes décisifs. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. »
(article, mars 1944)

« L’Allemagne a eu peur de cesser d’être elle-même pour devenir l’Europe ; son aigle n’est pas devenu un phénix prêt à renaître de ses cendres.

Mais est-il donc trop tard ? Est-ce que la communauté des souffrances dans les massacres russes et américains, les incendies, les ruines, ne va pas confondre occupants et occupés, conquérants et conquis, défenseurs et défendus ?
(…) Qui pourra jamais relever l’Europe de ses ruines, sinon le socialisme ? Ce ne seront certes pas les banques ni les trusts .

Il est temps que les Allemands, non seulement proclament, mais réalisent le socialisme européen sur les ruines de l’Europe. Car, dans ces ruines, il y a encore nos âmes à défendre. »

(article « Pauvre Europe », avril 1944)

« Je ne suis pas un patriote ordinaire, un nationaliste fermé. Je ne suis pas qu’un Français, je suis un Européen .

J’ai examiné tour à tour toutes les solutions possibles pour en venir à l’Europe. J’ai toujours été contre l’hostilité franco-allemande comme un des principaux obstacles à l’Europe .

J’ai toujours parlé librement aux Allemands, durement. Je leur ai expliqué qu’ils ne comprenaient rien à la révolution socialiste européenne qui aurait pu justifier et transfigurer leurs agressions et leurs conquêtes. Je voulais que, sous l’occupation et sous la pression de la guerre et les nécessités de la guerre, le peuple de France affirmât sa vitalité et sa personnalité par une révolution socialiste immédiate .

Pour moi, le fascisme, c’était le socialisme, la seule chance du socialisme réformiste. (…) je voulais que la collaboration fût une résistance, mais une résistance sociale. »

(Journal, 1945)

[1] Note du compilateur : De Gaulle aurait-il plagié Drieu ? Dans son célèbre discours de novembre 1959, le « Grand Libérateur » utilisa la formule « l’Europe de l’Atlantique à l’Oural » qui fit florès.

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