Déclaration solennelle à propos du mouvement de 1968
Après les discours de Bernd Rabehl lors des meeting de Munich et de Bogenhausen et l’appel de Mahler à un rassemblement national par delà droite et gauche, une déclaration solennelle à propos du mouvement de 1968 jette un nouveau pavé dans la mare des milieux de gauche. Cette déclaration est l’œuvre de trois anciens militants du SDS (Fédération Allemande des Étudiants Socialistes) Horst Mahler, Günter Maschke et Reinhold Oberlercher :
Ceux qui, fonctionnaires et apologétistes, prônent aujourd’hui l’emprise étrangère sur le peuple allemand et plus généralement la domination “globale”, impérialiste, du capital sur tous les peuples de la terre, aiment assez bizarrement à se réclamer du mythe de 1968. Cet abus de langage a amené les signataires à publier cette déclaration à l’usage des générations futures et de l’Histoire. Elle est le témoignage de personnes qui vécurent les événements de 1968 et qui peuvent attester que ce mouvement ne prônait ni le communisme, ni le capitalisme, ni le tiers-mondisme, ni les valeurs véhiculées par l’Occident ou les démocraties populaires. Le mouvement de 1968 œuvrait seulement pour le droit de chaque peuple à une autodétermination de type nationale-révolutionnaire. Nous n’avons jamais prôné la politique de partis, le parlementarisme, les coalitions rouge-verte ou le capitalisme politique sous couvert de démocratie. Le libéralisme nous était tout aussi étranger que le conservatisme ou le socialisme, entendus comme la domination d’une classe sur la société. Le mouvement de 1968 ne prônait pas l’américanisation du monde, la destruction des peuples et des familles par la réduction de tout et de tous au marché, la focalisation sur l’emploi, la mauvaise musique, la pornographie, la drogue, le capitalisme et le crime, mais bien leur contraire.
♦ Article 1.
La révolution culturelle de 1968 était la première révolution mondiale contre le capitalisme. Loin d’être l’émanation de la classe ouvrière, des classes moyennes, de la bourgeoisie ou de la bureaucratie, elle fut le fait de la jeunesse des pays industriels.
♦ Article 2.
1968 restera l’année du soulèvement pour le règne de la liberté. Le point de départ en a été défini par Rudi Dutschke dès 1965 : « Notre objectif doit être l’abolition du travail et notre stratégie est conditionnée par l’avancée de la technologie dans cette direction. » Le 5.9.1967, Dutschke postule que « les gouvernants doivent nourrir les masses ».
♦ Article 3.
Pour la seconde fois depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands se sont révoltés en 1968 contre l’occupant. Comme le 17 juin 1953, le mouvement partit de Berlin, mais le théâtre des opérations se déplaça de la Stalinallee au Kurfürstendamm. Johan Galtung estime que la renaissance allemande de l’après 1968 inspirée de Marx marquait l’indépendance (Leviathan 3/83.325) de l’esprit teuton par rapport aux modes de pensée anglo-saxons.
♦ Article 4.
La rébellion allemande de 1968 était le deuxième soulèvement allemand contre la domination mondiale du capital. Ce qui lui valut d’être assimilée à un “fascisme de gauche”.
♦ Article 5.
Le SDS joua un rôle de déclencheur national-révolutionnaire assez semblable à la première corporation étudiante de Iéna à l’époque de Napoléon. Le bras militant du SDS au début des années 70 (la Fraction Armée Rouge) poursuivait la tradition d’un Karl Sand, d’un commandant von Schill ou d’un étudiant en armes de cette époque. Le tragique assassinat de Hans-Martin Schleyer, président du patronat, par le SDS, touchait un ancien SS qui avait trahi l’idéal d’une communauté populaire nationale-révolutionnaire pour prendre la tête d’une organisation de lutte de classe.
♦ Article 6.
L’année 1848 eut pour les corporations étudiantes du début du XIXe siècle la même signification que 1989 pour le SDS révolutionnaire : la confirmation du chemin à parcourir pour parvenir à la souveraineté populaire et l’enlisement de la révolution. En 1948, l’unité de l’Empire allemand fut empêchée par les restaurations dynastiques. Après 1990 [1], le système de partis a pérennisé par un article constitutionnel la dictature de la domination étrangère en Allemagne.
♦ Article 7.
Le mouvement de 1968 a donné naissance à deux ailes nationales-révolutionnaires : la Nouvelle Gauche et la Nouvelle Droite. La première luttait principalement contre l’américanisme, la seconde contre le communisme soviétique. La Nouvelle Droite a atteint son objectif immédiat et dirige ses attaques de plus en plus contre l’américanisme et le capitalisme, si bien qu’une réunion de ces deux ailes a pu voir le jour. Or c’est le mythe de 1968 qui a donné naissance à ces “nouvelles” conceptions de la politique. Le programme théorique de 1968 est la continuation de cet idéalisme allemand qui s’était donné pour objectif de penser le monde à travers Dieu. L’idée d’une internationale des nationaux-révolutionnaires a pris corps en février 1968 lors du congrès de Berlin sur le Vietnam, qui s’est fixé pour objectif de « planter les germes d’un front de libération européen contre les grandes puissances et leurs alliés en Europe centrale » (Bernd Rabehl, 6.12.98).
♦ Article 8.
Mais en 1968, à côté de ces “nouvelles” aspirations, et comme il arrive souvent dans l’histoire, les anciennes théories, libéralisme, conservatisme, gauche et droite réactionnaires avaient pour elles le nombre et la puissance destructrice. Ultérieurement, le mouvement de 1968 s’est vu dénier son caractère révolutionnaire, il a été exploité sans vergogne ou diabolisé. À cet égard, le sommet de la trahison a sans doute été atteint par la coalition rouge-verte qui s’est présentée en Allemagne comme héritière des idées de 1968.
♦ Article 9.
Toute nation qui ne veut pas mourir doit constamment remettre en cause sa constitution et sa culture sociales par une révolution qui se doit de renverser les rapports sociaux et de créer des conditions de vie supérieures. Les rapports gauche-droite réapparaissent sans cesse dans la réalité politique. En effet, tout État est confronté aux droits des personnes, qu’il s’agisse d’individus ou de communautés. La politique de droite entend défendre ou rétablir ces droits. Mais ces droits n’ont vu le jour que grâce à une gauche politique qui a réclamé leur existence et les a finalement imposés.
Note :
1 – En 1990, l’Allemagne aurait dû avoir une nouvelle constitution. Au lieu de cela, la constitution provisoire de l’ancienne RFA (Grundgesetz) a été étendue aux deux États allemands désormais réunifiés. Ce qui est contraire au texte même de cette Loi Fondamentale, qui prévoyait que le peuple allemand déciderait librement du choix d’une nouvelle constitution.
► Traduction française par Vincent Malecki, source VoxNR (2002).