Introduction au carlisme espagnol

carlos hugo partido carlista

Nous tenterons ici de résumer l’histoire du carlisme, afin d’en tirer les leçons nécessaires pour nous éclairer sur notre propre combat, mais aussi pour entretenir, nous qui nous voulons militants de la Grande Europe, et en conséquence gardiens de l’histoire des luttes de notre camp sur l’ensemble du continent, un devoir de mémoire parfois trop négligé au sein même de nos rangs.

En 1808, Napoléon Ier décida de mettre son frère Joseph sur le trône d’Espagne. Pour ce faire il prendra le soin de retenir en France l’ancien monarque, Ferdinand VII, dont il a obtenu l’abdication par la force.

C’est au nom de ce même Ferdinand, mais sans lui, que va s’organiser la résistance contre l’armée française. L’absence du monarque permettra à une frange « progressiste » et libérale, acquise aux idéaux des Lumières, de proclamer la « Constitution de Cadix », dont le propos est de transformer la monarchie traditionnelle en monarchie constitutionnelle. Mais en 1814, alors que les armées françaises sont chassées d’Espagne, Napoléon rend officiellement sa couronne à Ferdinand, qui s’empresse de revenir en son pays. Il abolit immédiatement la Constitution de Cadix, provoquant par la répression qui s’ensuivra le départ en exil de milliers d’Espagnols.

L’Espagne que retrouve Ferdinand est très affaiblie : à l’exception de Cuba, toutes les provinces de l’Amérique espagnole sont en train, ou ont déjà, acquis leur indépendance. Le pays est déchiré entre les partisans d’une refonte moderne de la monarchie et les tenants du retour à l’Ancien Régime, exprimé par le « Manifeste des Perses ». Les futurs belligérants des guerres carlistes, libéraux et contre-révolutionnaires, trouvent là l’origine de leur querelle.

En 1820, un petit groupe de militaires acquis à la cause libérale accomplissent le « pronunciamento de Riego », du nom du principal acteur du putsch, et qui oblige le roi Ferdinand à appliquer la Constitution de Cadix. Les trois années qui suivent sont connues sous le nom de « Triennat libéral ». A ce moment précis La cause libérale (dont les défenseurs sont souvent francs-maçons) semble triompher, et le roi doit prêter serment de respecter la nouvelle constitution de l’Espagne. Cependant, les Amériques espagnoles achèvent leur processus d’indépendance.

En 1823, commence la « guerre royaliste ». Des milices royalistes se forment dans les régions qui seront dix ans plus tard les foyers de la révolte carliste : le Pays basque, la Navarre et la Catalogne. Néanmoins l’armée du gouvernement l’emporte, si bien que la France, où règne Louis XVIII, cousin de Ferdinand, doit intervenir par les armes. En quelques mois, les armées des libéraux sont écrasées, et la monarchie absolue est rétablie.

Une décennie plus tard, malade, et se doutant que sa fin approchait, le roi Ferdinand, n’ayant pas de fils, semble se résigner à laisser la succession à son cadet, Charles, père de trois fils. Mais sa belle sœur le convainc de se remarier. Ferdinand écoutera son conseil, et épousera en quatrième noce Marie Christine de Bourbon-Sicile. Mais il n’a toujours pas de garçon, mais en a une fille, Isabelle. Et il entend bien qu’elle règne après lui. Aussi, il promulgue un texte connu sous le nom de « Pragmatique Sanction », qui brise la règle vieille d’un siècle qui veut que les hommes seuls règnent.

Et lorsqu’il meurt, en 1833, commence une crise institutionnelle qui va mènera à une série de guerres civiles, qui ensanglantera l’Espagne.

Le frère du trépassé, Charles, refuse de laisser le trône à sa nièce, et se proclame roi. C’est par la force qu’il entend s’imposer. Et c’est ainsi que la Catalogne, la Navarre, l’Aragon se soulèvent en sa faveur.

Le conflit est d’abord dynastique, mais aussi institutionnel, économique et social. Ceux qui redoutent, et auraient tout à perdre du triomphe du libéralisme politique et économique, et qui craignent aussi la centralisation administrative et l’anticléricalisme de l’entourage de la jeune souveraine se joignent à Charles « V » : ce sont les « carlistes », les partisans de Charles. Ils sont souvent des paysans, des artisans, des prêtres, des nobles, et même quelquefois des ouvriers. Ils sont les derniers vestiges de l’Espagne préindustrielle. Selon l’universitaire Julio Arestogui, c’est la « vieille société » qui va oser affronter par les armes les défenseurs du « Progrès » et de la révolution industrielle.

Les carlistes sont aussi les défenseurs des « privilèges » (ou « fors ») accordés jadis à leurs provinces, le pays basque, la Navarre et la Catalogne, qui les rendent autonomes par rapport au gouvernement de Madrid, et que Charles V, au moment où Madrid supprime ces « fueros » promet de rétablir.

Le nom donné aux partisans de l’oncle d’Isabelle est aussi celui donné à ces guerres qui les opposent aux libéraux. On parle bien de « guerres carlistes ».

Les premières opérations militaires sont victorieuses pour les carlistes. A la tête d’une armée de treize mille hommes, le général Zumalacarregui enfonce les défenses des « isabellistes », mais bientôt Madrid reçoit l’aide de puissances étrangères : Royaume-Uni et France envoient des troupes combattre en Espagne. La légion étrangère est ainsi envoyée par Louis-Phillipe, et est intégrée à l’armée isabelliste.

Après la mort de Zumalacarregui, les carlistes ne parviennent pas à franchir le fleuve de l’Ebre. Et finalement, lors de la conférence de Vergara en 1839, ils reconnaissent leur défaite.

Charles V va abdiquer en faveur de son fils, également prénommé Charles. Celui-ci, désormais « Charles VI » reprend le flambeau de la révolte. En 1846, commence la deuxième guerre carliste. Il y a des partisans de Charles dans toute l’Espagne, mais les insurrections menées ne réussissent que dans le nord-est du pays : l’Aragon, la Navarre, le Guipuscoa, la Catalogne. C’est là qu’elles trouvent un soutien populaire véritable.

Trois années de guerre ne permettent pas aux carlistes de l’emporter, et leurs troupes sont dispersées par l’armée gouvernementale.

Il faudra attendre 1872 pour que commence ce que l’on a appelé la troisième guerre carliste. Le nouveau prétendant, Charles VII, petit-fils de Charles V et neveu de Charles VI, pourra soulever en son nom, une dernière fois, ces mêmes régions où les carlistes ont toujours compté de nombreux soutiens. Isabelle II ayant abdiqué, c’est le nouveau monarque, Amédée, qui est officiellement combattu, puis la nouvelle république espagnole.

La dernière guerre carliste dura quatre ans. A son issue les carlistes sont encore une fois battus. 1876 est l’année de la défaite militaire finale du carlisme.

Cependant leur mouvement ne disparaît pas. Bien au contraire.

Dans les décennies suivantes les carlistes vont tenter de faire triompher leur cause…par les urnes. Leurs députés ne seront jamais majoritaires dans les diverses législatures, ce qui ne les empêchera de s’allier ponctuellement aux républicains et aux régionalistes. Défendant les positions de la doctrine sociale de l’Eglise, ils sont à l’origine des premiers syndicats espagnols, les « sindicatos libres », constitués en 1919.

Malmenés au cours de la dictature du père de José Antonio Primo de Rivera, le mouvement carliste va accentuer, du fait du renforcement des positions anticléricales de la gauche, son attachement au catholicisme. C’est ainsi qu’en 1932, sera créée la « Communion traditionnaliste ». Ils préparent même leur propre coup d’état contre la IIe République. Mais ils seront devancés…

C’est au moment précis où éclate la guerre civile que commence une scission, quand meurt le dernier descendant de Charles V, Alphonse-Charles, en 1936. En effet, le successeur légitime selon les règles successorales carlistes devrait être Alphonse XIII, alors en exil, et qui se trouve être un… descendant de la reine Isabelle. La répugnance à soutenir un ancien souverain controversé va occasionner une controverse, certains carlistes désirant plutôt voir sur le trône un cousin d’Alphonse, François-Xavier, lui aussi Bourbon mais d’une branche distincte, celle des Bourbons-Parme.

On retrouvera des milliers de combattants « requetes » (carlistes) pendant la guerre civile espagnole de 1936. Le chef de la conjuration contre la République, Sanjurjo, est un carliste notoire. Sa mort inattendue, comme celle d’un autre général pro-carliste, Mola, et son remplacement par Franco empêcheront le carlisme, au départ mouvement dominant du camp nationaliste, d’imposer ses vues. En effet, afin d’éviter qu’elle ne soit un danger politique, Franco fusionnera le mouvement carliste avec la Phalange en 1937 : Les milices carlistes sont incorporées dans l’armée, leurs biens et leur presse saisis.

Sous l’ère franquiste, les carlistes agissent dans la clandestinité. Cette époque voit le retour de thèses favorables à un christianisme social, puis à Vatican II et à la théologie de la libération. A partir de 1965, certains carlistes choisissent l’action terroriste.

Après la mort de Franco, le mouvement carliste va se diviser entre tenants de la tradition politique conservatrice du carlisme, et de « nouveaux carlistes », partisans d’un socialisme autogestionnaire, soutenus par leur candidat pour le trône d’Espagne, Charles Hugo de Bourbon-Parme. Celui-ci tente de s’allier aux divers courants antifranquistes.

Mais c’est finalement le père de l’actuel roi d’Espagne, Juan-Carlos, qui est préféré, notamment par Franco. Et la répression s’abat sur les carlistes : des sbires franquistes iront jusqu’à tuer ou blesser des partisans de Charles Hugo au cours d’un rassemblement à Monterruja. C’était en 1976.

Depuis lors le mouvement connaît un dépérissement certain, et aujourd’hui la tendance carliste a quasiment disparu, les résultats très faibles obtenus par ceux qui s’en réclament encore (qu’ils soient conservateurs ou dans la filiation plus marquée à gauche) aux plus récentes élections en Espagne en témoignent : les scores demeurent inférieurs à 1% des suffrages.

Que retenir du carlisme ?

 Tout d’abord la persistance tenace d’un combat pour une forme de tradition, défendue par rejet de ce qui est encore de nos jours l’Ennemi, au sens le plus fort du terme (le libéralisme sous toutes ses formes, y compris le capitalisme de marché).

Notons que les historiens Julio Arostegui, Jordi Canal et Eduardo G.Calleja ont souligné dans leurs travaux sur le carlisme la « multiplicité des composantes sociales » du mouvement carliste, qui fut un mouvement interclassiste, capable de concilier des catégories sociales différentes autour d’un idéal. Ces historiens ont aussi insisté sur les différences à établir avec le franquisme, avec lequel le carlisme ne fut, nous l’avons vu, que brièvement associé.

Un autre intérêt que le carlisme peut avoir pour nous est sa polymorphie : le courant a connu des transformations, des adaptations et surtout des mutations, la plus notable et sans doute la plus fascinante étant bien sûr le carlisme « rouge », celui des années 1960 et 1970, qui tenta de concilier des radicalités : de gauche sur les sujets économiques et sociaux : c’était le « socialisme autogestionnaire », inspiré de l’expérience de la Yougoslavie de Tito, et de droite sur le sujet institutionnel (puisqu’une monarchie fermement chrétienne était prônée) contre un certain « modernisme », ou devrions nous dire « modisme » ( ou dictature de l’esprit du temps, qui entend reconstruire une société selon une propre conception du monde pour le moins éphémère).

Il ne nous semble pas absurde d’affirmer qu’en somme, ce carlisme « rouge » fut une version espagnole de mouvement national-révolutionnaire. Une preuve supplémentaire, et bienvenue, que nos idées ont toujours su dépasser les frontières, et demeurent universelles.

 Vincent Téma, le 12/06/2023.

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