Beaucoup de militants européens sont « entrés en politique » après avoir lu votre livre L’Europe, un Empire de 400 millions d’hommes édité en plusieurs langues à partir de 1964. Beaucoup d’autres, après les combats d’avant-garde de Jeune Europe, mouvement multinational que vous animiez à l’époque, ont poursuivi la lutte pour les idées exposées avec force, clarté et prémonition dans ce livre. Aujourd’hui, onze ans après, vous êtes libre de toute attache avec le monde politique, mais vous continuez à suivre avec la plus grande attention la marche des affaires, en particulier internationales. Nous demandons son opinion à l’homme de pensée et d’action. À la lumière de ces années écoulées, apporteriez-vous des retouches aux thèses exprimées dans L’Europe, un Empire de 400 millions d’hommes ?
En 1975, je mettrais l’accent sur le thème : l’ennemi principal est à Washington. J’avais parlé, en 1963, du Cheval de Troie russe en Europe occidentale. Il existe toujours. En 1975, je pense qu’il faudrait consacrer un énorme chapitre à la 5e colonne américaine. Partis politiques, sociétés multinationales, forces armées de divers pays, polices, des dizaines de fils à la patte qui aboutissent dans la main des américains.
Aujourd’hui, j’accorderais plus de place à la géopolitique. L’Europe va des Açores à la Sibérie. Sibérie incluse. Les frontières occidentales de l’URSS sont en fait déjà les frontières de l’Europe. La Russie c’est l’Europe.
Nous ne pouvons construire un État européen définitif étalant deux à trois mille kilomètres de frontières militaires avec l’URSS. La Russie ne pourrait, dès la départ, admettre à son flanc ouest un voisin deux à trois fois plus puissant qu’elle (en termes actuels d’économie déjà – demain en termes militaires). Le traumatisme de l’invasion de 1941 est loin d’être effacé. C’est une psychose en Russie. Il faut le savoir. Une « Europe contre la Russie » est impensable en termes historiques de géopolitique. Il faut distinguer en histoire le « conflit obligé » du « conflit choisi ». Pas question de jouer les pacifistes avec Moscou. Par contre, il faut jouer la carte pacifique. Pas d’ennemis à l’Est devrait être pour l’Europe unie un axiome néo-bismarckien.
En termes de géopolitique toujours, dans 20 à 30 ans, l’Union soviétique ne pourra conserver (nous conserver) la Sibérie sans l’aide d’une Europe totalement reconstituée. La démographie chinoise renforcée dans 30 ans par une technologie qui s’approchera ou peut-être égalera la nôtre obligera le Kremlin à tout revoir. La Méditerranée doit redevenir une mer, le lac européen. Cela implique une pensée politique sur l’intégration des riverains du sud de cette mer, dans une construction européenne.
Si je devais réécrire, j’écrirais avec le souci de retenir l’attention autant de la classe politique communiste que de celle d’ici (régimiste ou oppositionnelle, car on ne peut prétendre à une classe révolutionnaire pour l’instant en Europe de l’Ouest). Un chapitre capital, que j’ai en tête depuis des années, serait celui des différences entre « classe dirigeante » et « classe possédante ». Il n’y a plus de classe dirigeante en Europe occidentale depuis 1945. Par contre, survit une très agissante classe possédante. Ladite classe possédante française de 1936 préférait Hitler à Blum, on la comprend ! Mais c’était déjà la décadence manifeste. La bourgeoisie française a voulu sauver son argenterie derrière les panzers d’Hitler.
Une classe dirigeante est toujours possédante simultanément. Mais l’analyse des décadences (Turquie 1900, Maroc 1900, Chine 1900) révèle l’apparition de classe possédantes qui ne sont plus dirigeantes mais « protégées » par un pouvoir étranger. Le prix en est la veulerie.
Dans un ouvrage écrit en 1975, j’insisterais encore plus sur le concept d’État-Nation politique si bien ébauché par Ortega y Gasset. État-Nation politique par opposition à État-Nation fondé sur la langue, la race, la culture, la religion.
Je pense que dans un nouvel ouvrage, il serait de mon devoir, en tant que protagoniste de ce passé, de dénoncer la non-sincérité de l’Europe allemande tentée entre 1942 et 1945. Hitler n’a jamais compris l’Europe. Dans son entourage quelques-uns sentaient l’Europe, mais ils étaient minoritaires. Le sacrifice d’hommes jeunes et courageux est une dimension étrangère à la cause pour laquelle ils se sont sacrifiés. Des milliers de déportés et de fusillés français sont morts pour rien : pour avoir un Lecanuet au pouvoir. Du côté national-socialiste ce fut de même. Je réprouve donc absolument toute construction européenne qui prendrait pour modèle esthétique l’Europe allemande. Il y a là un romantisme à dénoncer. Il faut absolument empêcher la jeunesse d’aujourd’hui de reprendre des héritages littéraires explosifs : résistance, national-socialisme.
Je ressens un mépris total pour les putains du MSI qui vivent du cadavre de Mussolini. Des gens qui axent une politique sur la lutte contre le divorce (sic) sont des minables. Le MSI est une forme de la démocratie, de la ploutocratie. Donc à vomir.
Une autre chose à traiter, dans un hypothétique livre futur, serait la dénonciation d’un antisémitisme larvé. Une fois pour toute, il faut énoncée qu’il n’y a pas de race juive et qu’il n’y a qu’une « communauté culturelle » juive. Socio-culturelle ou socioreligieuse. La condition de juif est une condition essentiellement volontaire, une option. Par contre, toute action pro-israélienne (Israël étant en fait le croupion des USA) doit être considérée comme une action « contre la sureté de l’État » d’une hypothétique Europe. La position du Kremlin est correcte. Le judaïsme ou l’israélisme y est traité comme relevant de la « sureté de l’État soviétique ». À mon sens, c’est la position correcte, laïque, logique. La disparition de l’État d’Israël est difficilement pensable. Cet État précaire ne vit que de la protection des USA. Le raisonnement – et il doit être sincère de notre part – est de dire aux Israéliens : « À long terme, vous êtes condamnés par la marée arabe, 100 millions d’hommes qui vont bientôt normalement fréquenter universités et académies militaires ». À moyen ou à long terme, seul un ordre européen omniprésent en Méditerranée peut garantir votre survie. Il faut suivre avec intérêt les prises de position courageuses des libéraux israéliens en ce moment même en faveur des Arabes de Palestine occupée. Je déteste les actions terroristes contre les Algériens qui travaillent en France. Les responsables de ces actions sont des criminels. Et des imbéciles. Frédéric II Hohenstaufen, que j’apprécie beaucoup, connaissait déjà au début du XIIIe siècle la solution à l’entente avec l’islam.
Dans la classe révolutionnaire à créer, il faudra recruter (pour en faire plus tard la classe dirigeante) un type d’hommes qui recherchent la puissance et non pas un type d’hommes qui recherchent la notoriété, la richesse, la jouissance. Le pouvoir vrai paie par lui-même. Les hommes de pouvoir sont des hommes sobres, durs (pensez à Staline), austères. Cette race semble inexistante dans l’actuelle jeunesse de l’ouest.
La volonté de puissance est une chose très positive, très féconde historiquement.
Tout comme j’ai condamné le basquisme ou le bretonnisme, je condamnerai aujourd’hui des tendances à la Ceausescu. Évidemment, avec un appareil militaire et bureaucratique aussi épouvantable que le soviétique, le nationalisme roumain peut prétendre à des circonstances atténuantes. Mais ce nationalisme est contraire à l’unité européenne. Même le général Vlassov n’a jamais accepté le morcellement théorique de l’Union soviétique. En quoi il s’est montré un homme d’État … potentiel.
Sans un futur livre, je consacrerais un chapitre considérable pour dénoncer les petits nationalismes. Le français, l’anglais, l’allemand. Il est lamentable de lire Debré. Il est regrettable de voir un Pierre Sidos, homme droit et intègre, figé dans son nationalisme français. Voici deux hommes de caractère atteints d’une sorte de lésion cérébrale, d’une sorte de blocage. Je pourrais aussi ajouter d’une myopie historique. En 1975, j’estime, à la différence de 1963, que les petits nationalismes sont bien plus néfastes à l’Europe que le communisme.
Une chose qui m’a frappé et indigné, c’est l’ingratitude historique. Je pense que dans un prochain ouvrage, je consacrerais quelques courtes pages à rendre hommage à des chefs comme Staline ou de Gaulle et à flétrir leurs « descendants » invertébrés et veules.
Sans Staline, il n’y aurait plus d’Union soviétique. On l’oublie. Quant au post-gaullisme, c’est lamentable, à l’exception de quelques rares fidèles isolés.
J’ai commencé, très jeune comme vous le savez, mon parcours, ma « quête du Graal politique » dans le Parti communiste. C’était du temps de Staline. Quel climat tonique régnait alors dans les rangs du parti. Quand on compare cela aux actuels PC embourgeoisés, dégénérés, opportunistes, électoralistes d’Italie et de France, il n’y a plus rien de commun. Le parlementarisme, 40 ou 50 ans d’opposition impuissante a suscité une espèce dégénérée de communistes ici à l’Ouest. Quand on lit que les tartuffes de Paris s’indignent de l’existence des camps ! Comme si on pouvait implanter le communisme sans camps. Quand on veut la fin, il faut accepter les moyens. Au Portugal, actuellement, les services américains ont tellement bien manœuvré qu’ils vont réussir à contrôler des « communistes qui joueront je jeu » (le jeu ploutocratique, parlementaire).
Les staliniens vivaient dans la dimension tragique, les actuels « intellectuels communistes » embourgeoisés évoluent dans la dimension triviale.
Cependant, il subsiste encore des communistes caractériellement staliniens. Ce type d’homme doit retenir notre attention.
Vous aviez, dans votre revue La Nation Européenne, porté des jugements très durs sur l’action menée par le général de Gaulle. Quelles réflexions vous inspirent Valéry Giscard d’Estaing, en tant qu’homme et en tant que politique ?
À l’actuel président Giscard, il faudrait rappeler la deuxième disposition de la Regula Coenobialis du moine Colomban : « Du silence pour ne pas encourir la peine, la verbosité il faut, sauf pour ce qui est utile et nécessaire, se taire ». Giscard « Je parle donc je suis ». J’éprouve un nostalgique regret du général de Gaulle. Le géant politique, l’adversaire est mort, le vide est venu. De l’histoire on est passé au cirque politicien avec Giscard. Giscard, c’est le centre pourri, la bourgeoisie d’argent, le marchandage au jour le jour, la verbosité, le ramassage des « voix » dans les poubelles.
Un Louis-Philippe revu par Christian Dior.
Les conférences et les agitations de Giscard relèvent de la poudre aux yeux. À dose quotidienne. C’en est lassant. La France n’a plus de politique étrangère réelle. Tout simplement parce qu’un pays de 50 millions d’habitants ne peut plus en avoir. Air France vole sur avions américains et le Crédit Lyonnais compte ses sous à travers l’électronique américaine. Probablement Mitterrand paie-t-il ses imprimeurs en dollars.
La verbosité constitue une des formes de la ruse. La politique doit doser la force et la ruse. Souvenez-vous du lion et du renard de Machiavel. Le renard tout seul est impuissant. Tout le monde connait les ruses du renard, elles sont universellement utilisées. Elles sont usées.
Giscard : des mots, souvent des bons mots. Hélas, les Français aiment trop les mots. Les mots sans les choses (bien connu en psychiatrie).
Depuis la mort du général tout est devenu fade en France. On braille dans la rue. On fait de la rhétorique au micro.
Si on observe l’édition de livres politiques en France, on relève une exploitation indécente des « cadavres juifs » des années 1941-1945 à gauche et une exploitation non moins indécente du mythe SS à droite. Pour vendre un livre prenez deux tiers de SS et un tiers de fesses et ce sera un succès de librairie. De lamentables survivants de l’OAS se sont mis dans l’épicerie de disques nazi, du livre nazi. Tout cela est à réprouver. C’est une époque qui est morte et qu’il ne faut pas faire renaître, même au théâtre. Ceux qui sont dans cette épicerie font de l’argent d’abord, et ensuite font la joie des services de propagande d’Israël.
De par sa position géographique idéale et privilégiée, la France pourrait constituer une sorte de Piémont européen dans un Risorgimento européen. Mais enlevez-vous de l’esprit une « Europe française ». Ce serait irréaliste. On pourrait mettre en place, en France, un réel appareil européen (l’appareil qui précédera le parti européen). Je dis : on pourrait. Mais les agent américains et israéliens sont, en France, comme des poissons dans l’eau. Ils sont chez eux.
L’Assemblée parlementaire européenne de Strasbourg devenant un Parlement élu au suffrage universel, estimez-vous qu’il s’agît d’un pas en avant vers cette Europe unie que vous appelez de vos vœux ?
Un Parlement européen au suffrage direct ? C’est un pas en avant. Reste à voir le système électoral qui sera utilisé.
On refera le coup des 5% minimum pour empêcher la montée d’un nouveau parti. Les actuels partis se tailleront un système électoral à leur mesure.
Le système électoral ne signifie rien en lui-même face à l’histoire. On n’a jamais créé une nation au départ d’un Parlement ; ce serait comique.
Les partis du centre, les Partis socialistes totalement inféodés à Washington disposeront de moyens financiers énormes…
L’affaire est à suivre de près, néanmoins.
Il est indéniable que chez certains hauts technocrates de la Commission, il existe un commencement de « sens européen ». Les Américains ont été tellement méprisants et cyniques qu’ils ont créé cet esprit. Kissinger a fait beaucoup pour l’idée européenne. Bien involontairement.
Souvenez-vous, de toute façon, qu’un militant qu’on dirige vers les élections devient difficilement contrôlable par le parti. Les chefs doivent toujours demeurer en dehors de ce jeu. Il faut placer tactiquement dans le jeu électoral les gens de deuxième rang du parti. Les chefs doivent s’écarter de ce marécage.
Que pensez-vous des appels alarmistes de la Chine à la vigilance des Européens ? La menace soviétique vous apparaît-elle toujours aussi pressante sur les frontières de l’Europe de l’Ouest ?
La thèse des Chinois est correcte. Moscou et Washington se défient l’un de l’autre mais en attendant se partagent le monde.
Mais si elle est correcte, elle est aussi intéressée.
Vis-à-vis de l’Union soviétique, l’Europe doit construire au départ de sa moitié ouest, une force de dissuasion. Le Kremlin – et il n’est pas le seul – ne connaît que le langage de la force. Mais tout en créant cette force nous devons tout faire pour convaincre le Kremlin que cette force n’est pas orientée contre lui.
On peut comprendre la méfiance actuelle de Moscou quand on sait que toutes les forces armées actuelles en Europe occidentale sont totalement au service de Washington.
Étranglement de Moscou – céréales – tentation d’une intervention éclair ici ? Analogie avec le Japon privé d’essence et de caoutchouc par Roosevelt en 1941.
Pas probable mais pas exclu.
La menace soviétique est réelle. Considérable sur le plan militaire. Fort peu dangereuse sur le plan idéologique. La dynamique communiste est morte avec Staline.
La faillite économique du communisme est maintenant connue de tous. Grâce aux vacances à bon marché en Bulgarie, Yougoslavie, Roumanie, même les ouvriers français l’ont vue.
En Europe 1975 : faillite économique à l’Est, faillite morale et faillite esthétique à l’Ouest !
On ne choisit jamais ses alliés dans le jeu international. Les alliés sont désignés par la géographie et par les circonstances. Actuellement, de facto, les Chinois sont les « meilleurs alliés » d’une Europe qui n’existe pas encore en tant qu’unité politique. Les Arabes anti-américains également. Mais les Arabes pro-américains sont nos adversaires, combien influents.
Les alliés d’hier peuvent être les ennemis de demain, et vice-versa. Il faut toujours penser en termes des intérêts de l’Europe et ne pas s’embarquer dans des romantisme chinois ou arabe. En se souvenant de ce que j’ai dit plus haut, « pas d’ennemi à l’Est » et en ajoutant « pas d’ennemis arabes » (pour l’avenir), la Méditerranée doit redevenir une mer européenne. Ce ne sera pas possible contre les Arabes, ce ne sera possible qu’avec les Arabes. Laïcisés, européanisés.
La politique française vis-à-vis des Arabes est correcte en théorie. Mais elle est puérile du fait de la dimension de la France. Depuis de Gaulle toute la politique française, au sud, manque d’une décimale.
Les militants européens s’interrogent : tenter de recréer un parti multinational monolithique malgré les enseignements fournis par l’échec relatif de Jeune Europe ; mener des actions révolutionnaires anti-impérialistes à caractère exemplaire ; faire de l’entrisme dans les partis bourgeois européens ; rester dans l’expectative ou enfin se lancer dans une forme nouvelle d’action, mais laquelle ? Pouvez-vous nous donner votre opinion, celle d’un homme qui a à la fois beaucoup milité, sous différentes formes, et beaucoup réfléchi sur ces problèmes de l’action ?
Il faut créer ce parti transnational paneuropéen. En utilisant le mot multinational, vous avez révélé que vous n’êtes pas encore un Européen en profondeur.
L’échec de Jeune Europe a été dû à quantités de facteurs dont l’un d’entre eux fut le recrutement basé sur la jeunesse seulement. Il fallait une répartition à travers toutes les couches d’âges. Période trop près de la guerre aussi.
Les actions révolutionnaires anti-impérialistes à caractère exemplaire, j’admire vos euphémismes, seront à un moment donné historiquement inévitables. L’Algérie s’est faite comme cela, la Chine communiste, Israël, l’URSS, etc. Cela ne peut se faire qu’avec un solide poumon extérieur arabe ou chinois. Il faut un sanctuaire inviolable quelque part. C’est aussi une question de technologie avancée. Depuis 15 ans, les polices européennes ont réalisé des progrès techniques énormes. L’unité européenne sera quasiment faite le jour ou 200 ou 300 occupants américains auront été abattus en Europe avec une bonne dispersion géographique pour valeur de symbole. L’irréversible aura été créé.
Mon propos est ici celui d’un théoricien. Ne prenez pas cela pour une instruction, voire même une suggestion, ou pour le propos d’un prophète. La résistance communiste, dès l’été 1941, a utilisé cette technique du « meurtre à froid ». Des Allemands insignifiants – des adjudants et des lieutenants -, des Allemands qui n’avaient en rien molesté des Français, ont été abattus de sang-froid, dans le dos. Au hasard. L’autorité allemande est tombée dans le piège et, à son tour, a fusillé dix Français, tout aussi innocents (les otages) par Allemand tué. La pompe était mise en marche, amorcée. Après quoi c’était comme un diesel : l’auto-allumage. Les Allemands indignés fusillaient et refusillaient car ils ne pensaient eux qu’aux innocents Allemands. De l’autre côté, des Français, indignés, ne pensaient qu’à leurs innocents, et se vengeaient.
Les Américains sont évidemment plus fins. Ils répondront par l’assassinat discret et non pas par des conseils de guerre spectaculaires. Ils éviteront, du moins au début, de laisser se créer un « martyrologue européen ».
Le meurtre en tant que moyen politique est hélas souvent le dernier recours d’un peuple colonisé ou promis au génocide (comme les Arabes de Palestine l’étaient encore hier). Un appareil terroriste anti-américain nécessiterait une grande consommation d’hommes. D’hommes de chez nous. Les Vietnamiens ont eu le courage et ont payé le prix. Mais je pense que l’appareil terroriste n’a aucun sens s’il n’est pas soutenu par un indestructible instrument d’information. Pour chaque Américain abattu, il faut que l’Europe entière le sache dans les 48 heures, de Stockholm à Naples.
Au centième tué, les Américains commenceront à craquer sous la pression de leur opinion publique.
La technique de la propagande d’accompagnement en Europe est capitale. Mais il y a plus. Une telle action nécessite de plus un appareil parallèle d’information à l’intérieur des USA pour expliquer le sens de ces attentats. Et comment les faire cesser. Il ne faut pas tuer par haine des hommes américains, des individus, mais par pression politique. Les Américains sont des hommes autant valables que les autres. Vous constaterez que, faute d’une presse d’appui, le terrorisme irlandais, infatigable et courageux, ne débouche sur rien. Il se passe des choses épiques en Irlande. Cela suscite 5 lignes en 6e page du Monde. L’OLP n’a pas commis cette erreur, les deux appareils sont en place : terrorisme et propagande de surface.
« Vous savez qui » a bien fait assassiner Darlan (ce fut pour toute l’Europe une perte énorme). Il s’est trouvé un curé pour entendre en confession le tueur. En confession anticipée. Alors ?
L’action terroriste, comme je vous l’ai dit plus haut, nécessite un sanctuaire inviolable. Mais en regard de cela, il faut noter la remarquable efficacité des infiltrations policières. Près de la moitié des cadres des groupuscules de droite et de gauche sont reliés à telle ou telle police, française ou non-française. Tout est infiltré.
Faire de l’entrisme ? Ridicule. Méprisable. Le pouvoir de corruption des milieux politiciens classiques est total, personne ne revient jamais de cette Capoue.
Que faire ? Avant toute chose, il faut énoncer une doctrine cohérente, une doctrine politico-historique. Un 400 million revu, corrigé, actualisé, amélioré. Le répandre en 4 ou 5 langues européennes. À ce niveau, les polices n’agissent pas. Il faut seulement résister à l’étouffement économique (il m’a été appliqué il y a 10 ans) et à la conspiration du silence, à l’escamotage.
Vous devez cesser d’écrire pour une clientèle d’étudiants. Un 400 million revu doit pouvoir captiver aussi bien un ingénieur qu’un militant, un député qu’un révolutionnaire. Il faudra énoncer une doctrine capable de retenir l’attention d’un homme de formation communiste. Les idées doivent passer de l’autre côté, à l’Est, URSS comprise. Il faut écrire en retenant l’hypothèse que les idées exprimées devront un jour servir à une forme d’État-Nation. Et non pas écrire pour rechercher une clientèle à n’importe quel prix.
Au départ, il faut avoir le courage de résister à un isolement inévitable. Je suis agacé de voir dans des revues européennes des propos farfelus concernant des Bretons ou des Basques. Farfelus et petitement opportunistes. L’histoire nous apprend que les périodes positives sont centripètes et que les périodes négatives – de décadence – sont centrifuges. Comment peut-on se prétendre européen et participer à cette kermesse, à cette braderie centrifuge… les Flamands, les Corses.
Un mouvement politique essentiellement composé de jeunes ressemble au labeur de Sisyphe. Tout est à refaire tout le temps. Je m’explique : moins de 2% des jeunes qui « militent » entre 17 et 25 ans sont encore actifs en politique passé 30 ans. Ils ont épousé la fille du notaire et se sont rangés dans la bourgeoisie (à droite) ou s’évertuent à payer les traites de fin de mois (dans le monde ouvrier). Dans les mouvements jeunes à 100%, on observe trop d’adolescents qui doivent passer leur crise. Un parti s’épuise à ce jeu. La jeunesse doit être présente dans le parti. Mais créer un parti au départ et au seul départ de jeunes est risible.
Je me suis gardé jusqu’à présent d’écrire une analyse cruelle de Jeune Europe où trop de déséquilibrés s’étaient infiltrés. C’est une chose très difficilement évitable dans les partis extrémistes. Il faut donc vous en garder. Il ne faut accepter à des postes dirigeants que des gens capables de réussir dans la vie technologique courante. Des gens qui pourraient aisément faire de l’argent dans la vie courante et qui acceptent de se sacrifier. Mais évitez à tout prix des ratés sociaux qui cherchent des surcompensations dans un guignol politique (les ratés sociaux et les instables sexuels doivent être éliminés du cadre d’un mouvement révolutionnaire). À Jeune Europe, j’ai servi involontairement trop souvent de « père de substitution », de « père synthétique », à des jeunes gens ayant de gros problèmes affectifs avec le père biologique au moment de l’approche de l’âge adulte.
J’aurais peut-être mieux fait de fonder un mouvement réservé aux jeunes filles !