La Légion étrangère du Duce

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Des Cosaques, des Croates et des Slovènes anticommunistes, mais aussi des Serbes, des Arabes et des Indiens ont combattu pour l’Axe. Qui étaient-ils ? Pourquoi le firent-ils ? C’est ce que nous relate Stefano Fabei.

Il y a déjà quelques mois qu’est en librairie La Legione straniera di Mussolini (La Légion étrangère de Mussolini) le dernier livre de Stefano Fabei publié chez Mursia. Livre qui constitue la première histoire des collaborations militaires étrangères dont l’Italie fasciste bénéficia pendant la deuxième guerre mondiale.

Ce furent des Cosaques, des Croates et des Slovènes qui luttaient contre le communisme, des Serbes orthodoxes qui devaient se défendre des Croates catholiques, des Dalmates et des Maltais qui voulaient écrire une autre page du Risorgimento italien. Ce furent aussi des Indiens qui espéraient obtenir l’indépendance, ainsi que des Arabes auxquels l’auteur a déjà consacré trois ouvrages approfondis publiés chez le même éditeur à partir de 2002. Une année avant que l’intellectuel néo-libéral Paul Berman, auteur de Terreur et libéralisme, dénonce la parenté liant l’extrémisme islamique, le fascisme et le national-socialisme, parut Il fascio, la svastica e la mezza luna (Le fascisme,la svastika et le croissant), un ouvrage dans lequel Fabei relatait les rapports que l’Italie de Mussolini et l’Allemagne d’Hitler eurent, dans les années 1930-1940, avec les mouvements de libération arabe et musulmans du tiers-monde. Il révéla ainsi au grand public, comment de nombreux nationalistes arabes se rangèrent au côté de l’Axe soit par sympathie idéologique, soit dans le but de recevoir une aide concrète, financière et militaire, dans la lutte de libération qu’ils menaient contre les colonialismes français et britanniques.

Après ce premier livre, traduit et diffusé en France (Le Faisceau, la croix gammée et le croissant, Akribeia Saint-Genis-Laval, 2006), Fabei publia Una vita per la Palestina, storia del Gran Mufti di Gerusalemme (Une vie pour la Palestine, histoire du Grand Mufti de Jérusalem, Mursia, 2003) et Mussolini e la resistenza palestinese, (Mussolini et la résistance palestinienne, Mursia, 2005), ouvrages qui furent respectivement préfacés par les deux historiens reconnus du colonialisme et de l’islam que sont Angelo Del Boca et le récemment disparu Sergio Noja Noseda.

Utilisant les archives de l’État italien, celles du ministère des Affaires étrangères et de l’état-major de l’Armée, ainsi que d’autres sources italiennes et étrangères, Stefano Fabei a acquis une solide réputation de spécialiste de l’histoire du Proche et Moyen-Orient. Sa trilogie a le mérite de nous offrir un cadre précis et détaillé, des « liaisons dangereuses » entre les régimes totalitaires et les milieux nationalistes et musulmans de la nation arabe, du Maroc jusqu’à l’Irak et à la Palestine, dont le principal metteur en scène fut le Grand Mufti de Jérusalem.

Dans son premier livre Stefano Fabei enquête sur la formation et sur l’idéologie des alliés arabes de l’Axe durant la seconde guerre mondiale, ainsi que sur leurs relations avec l’Italie et l’Allemagne ; il nous informe aussi sur la séduction que l’islam exerçait sur Hitler et Mussolini, sur le soutien de Rome et Berlin à la cause arabe, sur les milliers de volontaires mahométans des républiques musulmanes de l’Union soviétique et de la Yougoslavie qui s’enrôlèrent dans la Wehrmacht et dans les Waffen SS pour combattre les forces communistes aux ordres de Staline et de Tito. Une attention particulière est donnée, dans ce volume, en dehors du Grand Mufti de Jérusalem, à d’autres leaders arabes parmi lesquels l’irakien Rachid Ali al-Kaylani, le tunisien Habib Bourguiba, les égyptiens Abdel Nasser et Anwar Sadat, les syriens Shakib Arslan, Antun Saadeh et Michel Aflak.

Avec Una vita per la Palestina (Une vie pour la Palestine) Fabei nous propose un ouvrage sur le père fondateur du mouvement national palestinien, Amin al-Husayni, un homme à la forte personnalité et, précisément pour cela, sujet à des jugements historiques discordants, avant et après sa mort (Beyrouth, 4 juillet 1974). Dans cette biographie l’auteur reconstruit année après année – avec de nombreux détails – la vie et l’œuvre du Grand Mufti de Jérusalem : une existence dense en événements et en contacts diplomatiques à tous les niveaux. Leader presque incontesté des palestiniens avant l’émergence de Yasser Arafat, le Grand Mufti fut un homme aux multiples visages. Pragmatique et sans préjugés, il se fit, selon le moment, des alliés forts divers de Mussolini à Hitler, de Nasser au roi Hussein de Jordanie, de Malcom X à Chou en Lai. Stefano Fabei montre aussi combien fut grande l’influence du Mufti, et combien elle persiste jusqu’à nos jours, en affirmant : « Il n’y a presque rien dans la doctrine de l’Organisation pour la libération de la Palestine et dans la Charte du Conseil national palestinien qui n’a pas été préalablement conçu ou directement inspiré par lui »

Ce chef politique et religieux – par de nombreux aspects il occupait une position assez semblable à celles du cheik Ahmed Yacine et d’Hassan Nasrallah –est, avec le Duce, le personnage central du troisième volume de la trilogie, Mussolini e la resistenza palestinese (Mussolini et la résistance palestinienne). Dans ce livre, après avoir reconstitué la naissance et le développement du nationalisme arabe, du nationalisme palestinien et du sionisme, Stefano Fabei nous relate comment, entre 1936 et 1938, l’Italie versa au Mufti, leader de la révolte contre la Grande Bretagne et les sionistes, plus de 138000 livres sterling (soit en valeur actuelle près de 10 millions d’euros). Il nous apprend que cette contribution fut décidée par le Duce non seulement en soutien du nationalisme arabe et en fonction d’arguments anti-britanniques, mais aussi en souvenir de l’anti-colonialisme du jeune Mussolini socialiste-révolutionnaire et du premier fascisme et pour ne pas se faire dépasser par Hitler dans la solidarité avec les arabes ! Nous découvrons en outre, à la lecture de ce livre, que le ministre des Affaires étrangères italien décida aussi de l’envoi d’armes et de munitions aux mujâhidîn de la première grande intifâda. Fabei remet en pleine lumière un aspect souvent intentionnellement ignorée de la politique moyen-orientale italienne des années trente, quand « l’Italie fut le premier État européen à soutenir d’une manière concrète la lutte de libération du peuple palestinien contre le mandat britannique et contre le projet sioniste en Terre sainte. » L’appui fasciste à la grande révolte palestinienne étant offert en vue d’un objectif géopolitique global qui était de recourir à tous les moyens pour exercer des pressions sur l’Angleterre et parvenir avec elle à un accord général.

L’ouvrage de Fabei – doté d’un appareil critique précis, d’un glossaire des termes arabes et d’une copieuse bibliothèque de référence – est utile non seulement pour découvrir un aspect particulier du fascisme, du national-socialisme et de leurs politiques étrangères, mais aussi pour comprendre l’actualité du Moyen-Orient et les racines du combat actuel entre une partie de l’Islam et l’Occident.

Revenant à La Legione straniere de Mussolini, nous en proposons ci-dessous des extraits de son introduction dans laquelle l’auteur résume d’une manière synthétique l’ouvrage :

« Pendant la deuxième guerre mondiale, comme d’autres puissances belligérantes, à commencer par l’Allemagne, l’Italie disposa aussi de sa “Légion étrangère”, c’est-à-dire d’un certain nombre d’hommes de diverses nationalités qui choisirent de s’engager dans ses forces armées. Les circonstances et les objectifs qui amenèrent ceux-ci à combattre avec, pour et à côté des Italiens furent diverses.

Pour certains il s’agissait de passer de la triste condition de prisonniers de guerre à celle de membres du premier noyau de l’armée de libération de son pays, tel fut le cas des volontaires arabes et indiens rassemblés dans le Raggrupzmento centri militari qui espéraient être l’avant-garde de leurs peuples, conduisant les forces de l’Axe à la libération du monde arabe et du sous-continent indien.

Pour d’autres, comme ce fut le cas des Serbes orthodoxes, se ranger aux côtés de l’armée royale fut un choix imposé par la nouvelle réalité issue du démembrement de la Yougoslavie et par la nécessité de se défendre face aux persécutions organisées par les croates catholiques. Il y eut aussi chez eux des raisons idéologiques comme la lutte contre le communisme et la défense de l’orthodoxie et de l’idée d’une grande Serbie.

L’opposition aux partisans de Tito fut l’élément décisif qui amena les Dalmates, les Slovènes et les Croates à s’engager dans les rangs italiens. Dans quelque cas ce qui fut déterminant fut l’adhésion aux idéaux du fascisme, un fascisme décliné localement selon des exigences nationales spécifiques et, par conséquent, porté souvent à se confronter avec les autres nationalismes de la zone balkanique où, pour les forces d’occupations italiennes, la situation se présenta, dès les premiers mois de 1942, de manière plutôt difficile et où la nécessité de s’opposer à la résistance les porta à chercher la collaboration des mouvements anticommunistes, soit pour combattre les partisans, soit pour créer un consensus populaire favorable à l’occupation.

Dans un contexte complètement différent, l’idéal seul fut la raison qui poussa quelques dizaines de Maltais à s’enrôler sous le drapeau d’une Italie qu’il considéraient être leur patrie et a laquelle ils espéraient que Malte serait unie une fois les Anglais chassé ».

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