Le 11 juillet 1973, un avion de ligne reliant Rio de Janeiro à Paris s’écrase a peu de distance d’Orly. Parmi les victimes du crash, on relève le corps d’un sud-américain qui voyage avec 40.000 dollars dans son bagage à main. Il s’agit d’un Argentin du nom de José Baxter. Cadre trotskiste important, il se rendait en France pour participer à une réunion avec Alain Krivine et plusieurs dirigeants de la Quatrième internationale. Bien que non anodin, ce fait divers aurait été presque banal si notre homme n’avait pas été, une quinzaine d’année auparavant, l’un des fondateurs de Tacuara, le mouvement d’extrême droite le plus radical qui ait jamais existé en Amérique latine. Son évolution, sa dérive estimeront certains, José Baxter ne l’avait pas vécue seul et nombre d’autres cadres de la droite mouvementiste argentine avaient marché sur ses brisées, écrivant ainsi l’étrange histoire d’une génération militante, celle des tacuaristes.
À l’origine de cette aventure collective, il y a un groupe de jeunes étudiants – Alberto Ezcurra Uriburu, José Joe Baxter, Oscar Denovi et Eduardo Rosa – de Buenos-Aires, tous ultra-catholiques et tous militants de l’Union nationaliste des étudiants du secondaire. Leur premier engagement est de lutter contre la laïcité scolaire imposée par le gouvernement du général Peron, mais déçus par le groupe auquel ils appartiennent, il décident, en 1957, de voler de leurs propres ailes et de fonder le Mouvement nationaliste Tacuara (1).
La nouvelle organisation, qui s’inspire du national-syndicalisme espagnol, proclame la supériorité de la nation sur toutes les autres valeurs, exalte la violence militante et dénonce la démocratie libérale. La fréquentation assidue d’exilés politiques italien et allemand lui donne de plus un sentiment anti-impérialiste et anticapitaliste très vif et un goût pour “l’État total”.
Paradoxalement, la revolution cubaine de 1959 fascine les membres de Tacuara. Son anti-américanisme comble leur passion nationalisme, et, à partir de cette date, l’organisation commence majoritairement un long processus de gauchissement. Tout d’abord, elle abandonne ses positions hostiles au péronisme pour s’associer à son combat En 1963, après le départ successifs de ses éléments les plus réactionnaires, le Mouvement nationaliste Tacuara, maintenant dirigée par José Baxter, devient le Mouvement nationaliste-révolutionnaire Tacuara qui concurrence sur leur terrain les peronistes de gauche. Mais tous ces groupes agissent alors pacifiquement et c’est Tacuara qui le premier décide de passer à la lutte armée en s’emparant militairement de tous les fonds (14 millions de pesos) détenus par la Policlínico Bancario le 29 août 1963.
Le retentissement qu’eut cette opération obligea la totalité de l’organisation à passer dans la clandestinité. La presse fit alors ses choux gras de la perquisition du siège du MNRT et s’étonna que ses salles de réunion fussent décorées de posters de Mussolini, de José-Antonio Primo de Rivera et de … Fidel Castro !
José Baxter établit une direction en exil de Tacuara en Uruguay et renomme l’organisation Mouvement péroniste révolutionnaire. En janvier 1964, il se rend en Espagne où il est reçu par le général Peron, puis il visite plusieurs pays arabes avant de se rendre, symboliquement, au Nord-Vietnam. En 1965, il est reçu officiellement en Chine puis à Cuba. Au lendemain de mai 1968, séjournant en France, il se convertit au trostkisme et, rentré clandestinement en Argentine, il devient, jusqu’à son décès le principal dirigeant de l’Armée révolutionnaire du peuple, branche armée locale de la Quatrième internationale.
D’autres dirigeants tacuaristes connurent une évolution identique. Ainsi, José Luis Nell devint un des leader des Forces armées révolutionnaire-Montoneros et Dardo Cabo fut le fondateur du mouvement péroniste radical Los Descamisados. Cependant, certains militants restèrent fidèles d’une autre manière à leur engagement de jeunesse et Alberto Ezcurra Uriburu, par exemple, devenu prêtre fut un cadre influent de l’Alliance anticommuniste argentine, la célèbre Triple A, qui exécuta nombre de communistes et gauchistes dans les année 1970. Il y entraîna beaucoup de militants tacuaristes et il arriva, de ce fait, qu’en 1973-1974 d’ancien camarades de parti se retouvent, les armes à la main, chacun d’un côté de la même barricade!
Christian Bouchet
1 – C’est le nom d’un javelot utilisé par certaines tribus indiennes d’Argentine.