L’Allemagne et le rôle du Japon

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Otto Strasser a été l’un des chefs de l’Allemagne d’après guerre. Catholiques bavarois, les frères Gregor et Otto Strasser ont organisé politiquement l’Allemagne du Nord, notamment la Prusse dont ils furent les maîtres respectés, sans avoir personne au-dessus d’eux, pendant que Hitler, devenu en un an, le chef de la propagande du corps franc de Roehm, organisait la Bavière.

L’union des frères Strasser et de Hitler a été basée uniquement sur la nécessité pour les patriotes allemands de restaurer leur pays après la défaite de 1918.

Otto Strasser, sociologue et économiste est – comme l’était son frère exécuté le 30 juin 1934 – un théoricien avant tout. C’est pourquoi Hitler a été strasserien, mais jamais Otto Strasser n’a été hitlerien.

La rupture s’est produite en 1930. Otto Strasser a alors abandonné son action de politique intérieure en Allemagne les six journaux qu’il possédait à Berlin et toute son organisation politique, mais non les amis fidèles et puissant qui travaillent pour ses idées en Allemagne, aujourd’hui plus que jamais, ni son espoir et même sa certitude de voir renaître son pays à la faveur de conditions normales et stables.

Otto Strasser avait confié, en novembre 1938, à son ami André de Reka, le projet de Hitler d’envahir la Hollande. Il donne, aujourd’hui, dans le dialogue sur l’avenir qu’on va lire, les plans du Führer pou le proche avenir. La valeur du document que nous reproduisons est rehaussée par le fait qu’il émane d’un homme qui a été pendant dix ans l’intime du chancelier d’Allemagne.

Otto Strasser est Allemand. Il l’est avant tout. Il désire ardemment le développement de son pays, surtout sur les plans intérieurs de la culture et de l’économie. Ce développement ne peut prendre essor que sur la base d’un état de prospérité – cette prospérité a besoin de la paix comme condition essentielle.

Aujourd’hui, nous nous trouvons réunis devant le déjeuner traditionnel auquel Otto ne manque jamais de me convier chaque fois que nous nous rencontrons à Prague, à Zurich, à Paris ou ailleurs.

J’ai rencontré, j’ai fréquenté, Otto Strasser en Tchécoslovaquie, en Suisse, en France, ailleurs. Dans des cadres divers, nous nous sommes servis de langues, de monnaies différentes, mais lui a toujours été le même homme, et moi, avant toute considération politique, j’ai été son ami.

J’ai souvent trouvé auprès de lui des amis – des amis personnels. Politiquement plus à gauche comme tels sociaux-démocrates allemands ou plus à droite comme Hermann Rauschning, l’ancien président du Sénat de Dantzig, tous étaient d’abord ses amis.

Pourquoi ?

Parce que cet homme est franc. Je dis franc parce que la sincérité est penser juste ; si la franchise est dire avec exactitude ce qu’on pense juste. La franchise est l’expression de la sincérité. C’est plus puissant : c’est la sincérité réalisée. Otto Strasser est franc au point que toutes ses qualités essentielles : sa grande intelligence, sa lucidité, son regard direct, son grand cœur, sa probité personnelle et idéologique, sa fierté décidée semblent concourir dans le seul but d’être les éléments de sa franchise. Et c’est parce que cette franchise est si complète qu’elle vous pénètre.

Alors vous devenez son ami.

Je connais bien mon ami Otto. Je connais les ressources, devant chaque cas suffisantes, de son jugement et des ses informations. Je lui ai posé, aujourd’hui, sur l’Allemagne, les questions les plus difficiles – les plus intéressantes. Ai-je obtenu ainsi, pour les lecteurs de France-Japon, d’un homme si remarquable, sur un sujet qu’il possède si bien, un tableau définitif de la politique et de l’âme allemande ?

Nul ne peut donner un schéma exact en pareil cas, car le schéma est bref, la matière abondante. Ainsi, plus le sujet est vaste, plus le schéma est incomplet. De loin, l’âme et la politique allemande paraissent formées d’éléments simples, et elles le sont. De près, on croit discerner un enchevêtrement bouillonnant de tendances complexes, et elles s’y trouvent. Otto Strasser a bien voulu traverser devant les yeux de mon esprit le dédale pour nous obscur des réactions germaniques, en éclairant à propos les parties aujourd’hui les plus saillantes : celles de l’actualité, celles de l’avenir. Voici les images de cette scène.

André de Reka.

Que pensez-vous, Otto, de la déclaration du 4 janvier de Lord Lothian, ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington, d’après laquelle « le Reich médite pour le printemps une terrible attaque sur terre, sur mer et dans les airs. » ?

Hitler ne peut pas attendre, déclare nettement Otto Strasser.

Pourquoi ?

Premièrement parce que son caractère est tourmenté ; deuxièmement parce que sa situation morale le pousse à agir ; troisièmement parce que sa situation économique ne peut pas attendre ; quatrièmement parce que sa situation militaire empire chaque jour.

L’aviation allemande ne restera-t-elle pas redoutable ?

De moins en moins. Sans parler du rythme de construction actuellement bien plus rapide chez les alliés, je vous rappellerai la démission du général Beck acceptée par Hitler en octobre 1938. A cette occasion, le chef d’Etat-Major Général du Reich a laissé échapper des paroles amères et ironiques sur l’arme de Goering.

La situation économique est-elle aussi tendu que la plupart des dépêches en provenance de pays neutres nous le laissent supposer ?

Certainement. Je dirai même qu’elle a été un des mobiles dominants qui ont poussé Hitler à faire ses coups depuis qu’il est au pouvoir. La pression qu’elle exerce actuellement sur lui ne peut être que plus forte.

Et sa situation moral ?

L’oblige à apporter une nouvelle victoire à son peuple.

Vous m’avez donné comme première raison son caractère tourmenté. Est-ce là le caractère d’un chef ? Hitler n’est-il pas le Führer, le guide par excellence ?

Cet homme est le contraire d’un chef.

Qu’est-il donc, comment est-il parvenu au pouvoir ?

C’est le sismographe du peuple allemand. Il a même été l’enregistreur et l’amplificateur de chacune des classes allemandes, car pour mieux tromper l’ensemble il a exalté devant chaque groupe les aspirations particulières et confuses du public qu’il avait devant lui.

Une dernière question sur ce point : a-t-il perdu le contact (gefühl) avec le peuple allemand depuis le 15 mars 1939 ?

Oui, répond nettement Otto.

Permettez-moi de revenir à la récente déclaration de lord Lothian. Croyez-vous pour le proche avenir à une attaque combinée « sur terre, sur mer et dans les airs » ?

Si Hitler veut attaquer la France, il peut vouloir passer par la Hollande ou par ailleurs, mais il est obligé de passer par la Roumanie et par la Suède. Tout ce qui roule ou navigue a besoin de carburant pour se déplacer, de minerai pour exister.

Pourquoi la question de l’invasion de la Hollande revient-elle périodiquement à l’actualité ?

Parce que la Hollande constituerait pour Hitler une excellente base aérienne et sous-marine. Les avions consommeraient moins d’essence pour leurs raids sur l’Angleterre. De plus, la grande majorité de ses appareils n’a pas un rayon d’action suffisant pour de telles expéditions.

Et comment compte-t-il s’emparer de la Hollande ?

Son idée était celle-ci : « Si je prends la Hollande, la Belgique reste neutre et me fait une barrière contre l’armée franco-anglaise. En conséquence, je puis attaquer une Hollande tout à fait isolée sans appréhender l’intervention des Français et des Anglais.

Mais Hitler a renoncé à la Hollande, du moins le 12 novembre. Pourquoi ?

Un accord a dû intervenir entre la Hollande, la Belgique, la France et l’Angleterre.

En conséquence de quoi Hitler…

… délibère pour savoir s’il doit faire la grosse attaque sur le France à cause de cette protection accordée à la Hollande – protection directe ou indirecte, mais qui semble indispensable à la sécurité de la France et de la Grande-Bretagne, et qui se serait révélée suffisante pour empêcher l’attaque hitlérienne suffisante pour empêcher l’attaque hitlérienne en novembre.

On a parlé récemment d’une disgrâce de Goering ; quelques jours après on apprenait sa nomination comme dictateur de l’économie de guerre ; Ribbentrop brille par éclairs ; Goebbels est également sujet à des éclipses. Ces gens-là complotent-ils, et, s’ils le font, contre qui ?

Otto Strasser répond avec sa décision habituelle : Personne ne complote contre Hitler. Il n’est pas dans le caractère allemand de convoiter la place de son chef, bon ou mauvais.

Mais alors ?

Parmi les nombreuses tendances qui s’affirment aujourd’hui en Allemagne, les plus importantes comme les plus opposées sont celles de Goering et de Ribbentrop. Goering, ami sincère des hobereaux et de la Reichwehr est pour conserver une Allemagne la plus grande possible, mais rompre l’alliance russe. Ribbentrop est l’aventurier qui joue successivement toutes les cartes, se fiant à son esprit entreprenant pour que toutes lui soient profitables.

Et Hitler qu’en pense-t-il ? Lequel des deux partis choisira-t-il ? Quand se décidera-t-il ?

La réponse d’Otto Strasser arrive avec la violence et la rapidité d’un boulet : Il choisira le plus fort, au dernier moment. Comme il l’a toujours fait.

Connaissez-vous le Japon, Otto ?

Mon intérêt pour le japon date de 1919. C’est alors que je me suis mis à apprendre le japonais. j’ai fait trois semestre à l’Ecole des langues orientales de Berlin.

Dans quel but ?

Je voulais aller au Japon. J’avais reçu l’offre de représenter à Hambourg une importante compagnie de navigation japonaise.

Mais vous n’avez pas réalisé votre projet ?

Les évènements politiques d’alors ne m’ont pas permis de partir. C’est en 1920, vous vous le rappelez, qu’eut lieu la rébellion des généraux Luttwitz, Erhardt et Kapp.

Que pensez-vous du rôle politique du Japon ?

Le combat contre le bolchevisme a automatiquement porté l’intérêt sur le Japon. Beaucoup de gens veulent détruire la bolchevisme, mais seuls les Allemands d’un côté, les Japonais de l’autre, le peuvent. Cette idée était l’essence de toute alliance avec le japon, mais tous ceux qui connaissent le caractère de Hitler savaient qu’il était impossible de conclure une alliance avec lui.

Pourquoi ?

Parce qu’il est traître à tout homme et à toute idée et dans la politique de longue vue la stabilité et la confiance sont aussi indispensables qu’en affaires et en amitié.

Que pensez-vous du bolchevisme ?

Le bolchevisme est le danger perturbateur de l’Europe comme cela a été prouvé par les agressions contre le Finlande, contre la Pologne, contre les Etats Baltes et comme ça menace de l’être en Suède et en Roumanie. Pour cette raison nous ne pouvons tolérer le bolchevisme sur les Carpates et nous, Allemands, devons aider les Polonais à recouvrer leur indépendance pour écarter les Russes. C’est aussi pour nous défendre contre le bolchevisme que nous devons collaborer avec le japon.

Que peut faire pratiquement le Japon ?

Il doit annihiler la flotte russe de Vladivostok et s’assurer de la flotte aérienne soviétique.

Votre conclusion ?

Le synchronisme le plus parfait entre les politiques de l’Allemagne et du Japon.

Une dernière question : comment concevez-vous l’alliance germano-japonaise ?

Sur une base de parfaite égalité. Division des opérations et but commun.

Mon cher Otto, excusez-moi : j’ai besoin de parler de vous aux lecteurs de France-Japon, car, malheureusement vous êtes trop peu connu en France, vous ne l’êtes pas encore au Japon. Et je crois que tous les hommes qui s’intéressent à l’Allemagne et à la paix du monde ont intérêt à vous connaître. Vous voulez la paix et, dans une certaine mesure, vous pouvez la réaliser. Vous avez prouvé cette volonté en vous séparant de Hitler dès 1930 ; quant à vos moyens vous jouissez toujours d’une grande influence et d’une grande sympathie en Allemagne, et votre œuvre de théoricien dont je ne citerai que votre dernier ouvrage Masaryck ou l’Europe de demain est une base déjà existante pour construire un équilibre européen. Permettez-moi trois questions.

Volontiers.

Comment concevez-vous la paix franco-allemande ?

Ni Versailles français, ni Versailles allemand.

Comment réalisez-vous la paix allemande ?

Par l’élimination totale et définitive du prussianisme.

Vous voulez de toutes vos forces la chute du régime hitlérien, mais de plus en plus, vous le voulez très vite. Est-il indiscret de vous demander pourquoi ?

Parce que si la guerre dure trois ans et demi, si les troupes françaises percent la ligne Siegfried, nul ne pourra plus sauver l’Allemagne.

Source : France Japon n° 48, mars 1940.

 

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