Le nationalisme européen et ses limites

Au début des années 1960, un mouvement a attiré l’attention de l’opinion publique de plusieurs pays européens, il s’agissait de Jeune Europe. Sous le signe de la croix celtique, cette organisation vit le jour en Belgique, en particulier parmi les Belges rapatriés du Congo[1] et réussit, en quelques mois, à s’étendre à toute l’Europe et à y créer une quinzaine de sections nationales. Le dirigeant de ce groupe était Jean Thiriart.

L’idéologie de Jeune Europe se profila rapidement dans les éditoriaux de Nation Belgique d’abord, de Nation Belgique/Nation Europe ensuite, et enfin de Jeune Europe[2]. A notre avis Jean Thiriart est, avec Julius Evola, le principal révisionniste du fascisme et celui qui a le plus contribué à son aggiornamento idéologique et stratégique.

Thiriart fut le premier a recommander de sortir du ghetto imposé au nationalisme-révolutionnaire par les démocrates et les sionistes. Thiriart a recherché avant tout l’efficacité politique. Il a marginalisé le dilettantisme qui a toujours caractérisé une certaine extrême droite et le passéisme congénital qui caractérise d’autres de ses composantes. Son travail ne fut pas compris de tous, même parmi certains de ses proches collaborateurs. Les idées de Jean Thiriart et la stratégie qui animait Jeune Europe sont largement exposées dans un livre d’une extrême importance : L’Europe : un Empire de quatre cents millions d’hommes[3] ainsi que dans La Grande nation, l’Europe unitaire de Brest à Bucarest[4]. Dans ces deux ouvrages, Thiriart, non seulement met à jour, dans une nouvelle optique, de nombreuses orientations du nationalisme-révolutionnaire, mais expose également quels seront les instruments politiques et tactiques de l’Europe communautaire[5].

La nécessité de dépasser les petits nationalismes et spécialement le nationalisme jacobin[6] et chauvin constitue le point de départ de l’analyse de Thiriart. Pourquoi les dépasser ? Précisément parce que l’existence des nations est dominée par la réalité de l’impérialisme russo-américain. Il est indispensable de donner une nouvelle dimension au nationalisme, c’est-à-dire une entité humaine, culturelle, territoriale et historique capable d’édifier une troisième voie entre les gigantesques impérialismes[7]. L’Europe est cette nouvelle dimension de la nation. Et le nationalisme européen la flamme qui doit embraser la lutte de libération. Pour Thiriart, l’Europe est la « nouvelle unité de destin dans l’universel »[8]. Il n’existe pas d’autre destinée pour les différentes patries européennes que de s’unir en une et grande nation : un empire de quatre cents millions d’hommes. La mission de l’Europe est de lutter pour expulser les Soviétiques et les Américains[9] du continent. Cette lutte passe par la destruction du traité de Yalta qui concrétisa la division du continent. C’est la condition pour que l’Europe cesse d’être l’échiquier où s’affrontent les deux superpuissances. Le mur de Berlin est l’image, ô combien douloureuse, de la situation du continent. L’unité européenne doit donc passer par la  destruction du mur[10]. Une fois constituée, le futur État européen doit rester neutre et observer une politique de non-intervention  et d’alliance avec le Tiers-monde, spécialement avec le monde arabe et l’Amérique latine. Dans tous ses écrits, Thiriart manifeste un mépris raisonné contre les micro-nationalismes. Sa thèse est que seules les nations fortes et grandes sont des nations libres et que, précisément, les micro-nationalismes, c’est-à-dire ce que commande l’amour de la nation, sont, de façon contradictoire ses plus grands et plus dangereux ennemis : les nations isolées sont des proies faciles pour les ennemis de l’intérieur (l’ensemble des partis considérés comme vassaux des impérialismes russes ou américains)[11] et pour les intérêts que ceux-ci représentent. Ceci dit, Thiriart poursuit son analyse : la construction de l’Europe doit se faire sur la base d’un double rejet du communisme et de la ploutocratie : face à la société collectiviste et à l’égoïsme capitaliste, pour une société solidaire (du précepte  « A chacun selon ses besoins » à celui de « A chacun selon ses capacités et selon ses efforts »). Thiriart est partisan de la libre entreprise, non au sein d’un marché financier cosmopolite, mais dans une économie communautaire et dirigée. Non dirigée par l’État mais orientée par lui. Les grands bénéfices des trusts doivent être limités ou abolis. Le programme social que défend Thiriart est fort similaire dans sa conception originale à celui établi par la République sociale italienne[12].

Sur le terrain de la pratique, Thiriart soutient une série d’idées qui méritent d’être prises en considération : l’Europe naîtra au moment où une minorité d’Européens auront l’idée de l’Europe. Une nation est postérieure à l’idée qu’une minorité se fait d’elle[13]. Cette minorité doit être encadrée et organisée en une structure qui n’est pas un parti de plus parmi les autres, mais un mouvement politique susceptible de devenir politico-militaire lorsque les circonstances le requièrent. Et au sein de ce mouvement, la hiérarchie – la hiérarchie de droit – se constituera dans la lutte constante et quotidienne. Fort influencé par Pareto et Mosca, Thiriart considère que « la circulation des élites » tout comme l’existence d’une classe politique dirigeante sont indispensables à la révolution européenne. Les modalités de la lutte que le mouvement européen devra mener à bien sont semblables à celles de la « guerre révolutionnaire » telles qu’elles furent exposées par Lénine dans Que faire ?[14]. En effet, à ses débuts, le mouvement de Thiriart étudia attentivement les textes classiques du marxisme et déclara que le combat de libération européen était, au moins sur le fond, similaire à ceux que les peuples vietnamiens et algériens livrèrent à cette époque contre la métropole française. Evidemment, Thiriart, était manifestement hostile aux Viets et spécialement au FLN[15], mais les luttes qu’ils menaient lui suggérèrent des idées inestimables sur la conduite d’un combat de libération. La praxis de Thiriart peut se définir comme un « léninisme volontariste et personnaliste ».

Telles étaient les thèses fondamentales de Jeune Europe, qui eut une importance politique en Belgique et des sections nationales en Espagne, Allemagne, France, Angleterre, Irlande, Suisse, etc.[16]. A partir de 1965, ce mouvement perdit son énergie et certaines de ses sections nationales disparurent. En réalité, dans de nombreux cas, Thiriart n’avait pas trouvé d’hommes compétents pour les diriger. Dans d’autres, en Belgique précisément, une partie de la base acquit son « idée propre » sur les tactiques à employer[17]. Jeune Europe et son hebdomadaire furent remplacés par La Nation européenne, revue mensuelle qui connut deux éditions (franco-belge et italienne) et qui poursuivit le travail d’élaboration doctrinale.

C’est dans cette revue, précisément que prit source ce que nous pourrions nommer le « fascisme de gauche », représenté par l’Organisation lutte du peuple[18]. En effet, entre 1967 et 1970, le radicalisme révolutionnaire de La Nation européenne fut le pôle d’attraction de la plupart des jeunes nationalistes-révolutionnaires, spécialement en Italie. La direction italienne de la revue fut confiée à Claudio Mutti, un partisan fervent de la cause palestinienne en lutte contre le sionisme international. En 1969, quelques mois après « la guerre des six jours », les Fedayins arrivèrent à la conclusion que leur cause, comme la vietnamienne, ne pourrait triompher que s’ils réussissaient à susciter un écho international favorable. Ils se décidèrent donc à organiser des campagnes de solidarité et de propagande dans toute l’Europe. En mars 1969, se tint en Italie la première grande réunion pro-palestinienne, à Padoue précisément. Ce meeting était organisé par un jeune avocat qui, au début des années 1960, avait été chargé d’un cours de « Doctrine de l’État » à la fédération de Padoue du MSI et qui dirigeait la section locale du FUAN[19]. Des militants du groupe maoïste Potere operario[20] et des Fedayin de al-Fatah[21] participèrent à cette réunion. À la fin de celle-ci, un participant, Selim Hamid, se prétendant Palestinien, se présenta à Freda comme agent des services secrets algériens. Et, après plusieurs autres rencontres, il lui demanda d’acheter plusieurs timers (retardateurs électriques utilisés en terrorisme pour la construction de bombes à retardement) destinés aux Fedayins. Selim Hamid était en fait un agent du Mossad (service secret israélien)[22]. Les timers furent apparemment utilisés quelques mois plus tard lors de la tuerie de banque de l’Agriculture à Milan. Le 6 décembre 1971, Freda fut arrêté et accusé d’avoir participé à l’organisation de ce massacre perpétré deux ans plus tôt[23]. Ce fut le début de la « piste noire »[24] qui, durant des mois, va faire les choux gras des revues et du public avide de nouvelles sensationnelles. Peu de temps après l’emprisonnement de Freda (qui durera jusqu’au 26 août 1976)[25], l’édition de son opuscule La Désintégration du système fut épuisée en raison de la publicité inespérée due à son emprisonnement.

En ce qui nous concerne, Freda présente un intérêt tout particulier en raison du renouveau idéologique du nationalisme-révolutionnaire qu’il apporte. Si Thiriart a revu le fascisme, Freda, lui, a revu et dépassé Thiriart. Nous allons donc uniquement nous occuper de cet aspect. Nous ne tiendrons pas compte des déviations politiques de Freda, et de sa conduite antérieure et postérieure aux attentats auxquels il fut totalement étranger. On peut considérer Freda comme un évolien[26] ou plutôt comme un traditionaliste[27] qui souligne les limites de l’œuvre de Thiriart : « Thiriart a eu au moins le mérite d’avoir considérablement élargi les horizons en contribuant à éliminer le provincialisme (italien, français, allemand, etc.) de nombreux militants venus de l’extrême droite. Mais la dimension européenne ne suffit pas, à elle seule, à constituer une idée-force. Les limites de Thiriart consistent à le croire. Parler simplement de la Grande Europe de Brest à Bucarest ou même de Dublin à Vladivostok signifie que l’on se situe seulement en termes d’une géopolitique servant de support à une politique de puissance. En somme, il manquait à Thiriart une vision du monde ordonnée selon les orientations traditionnelle. »

Effectivement, quant on examine Thiriart et son mouvement, on se rend compte qu’ils en étaient arrivés à vouloir substituer un autre impérialisme à l’impérialisme russo-américain, un impérialisme qui, malgré son caractère libérateur et positif, contenait les germes de dissolution inclus dans la conception bourgeoise et jacobine[28] de la nation, même si elle était étendue à une dimension continentale. Comme nous l’avons dit, les idées exposées dans La Désintégration du système serviront à alimenter les nouvelles générations nationalistes-révolutionnaires. La Désintégration du système est un opuscule terriblement influencé par la proximité des événements révolutionnaires de mai 1968 et de l’« automne chaud » italien. La vision en est simple : les gauchistes veulent la révolution, nous voulons la révolution : détruisons le système avec eux. Cette affirmation tenait sa logique du moment : le mouvement étudiant, moteur de la « nouvelle gauche » révolutionnaire, était né en marge des partis communistes orthodoxes et son marxisme était très sui generis. C’était un marxisme austère, idéaliste, volontariste, militant et créatif, pour tout dire, un marxisme très peu marxiste. Son modèle était la Chine : un régime dont les dirigeants étaient austères et mesurés en tout sauf dans leurs exigences révolutionnaires. Son idole, Guevara, un révolutionnaire qui abandonna sa place confortable de ministre à La Havane pour aller allumer la révolution libératrice et en mourir dans Altiplano andin. Si cette vision s’avérait juste dans les années 1967-1970, l’élan de la Nouvelle gauche ira en s’amenuisant dans les années 1970, pour devenir ce que nous connaissons actuellement (suivant le phénomène de l’autonomie) : une myriade de groupuscules et de sous-groupuscules convertis avec respect à la politique des partis eurocommunistes (c’est le cas de Potere operaio et de Lotta continua en Italie et de l’ORT/MC/PTE en Espagne). L’importance de l’œuvre de Freda réside aussi dans son analyse des instruments que le système utilise pour asseoir sa domination : les mythes comme le progressisme, l’égalitarisme, le pacifisme ; les mass médias (grands groupes de presse, radio, TV, etc.) ; les canaux éducatifs, les organisations politico-sociales (partis et syndicats), les structures juridiques (magistrature, etc.). Il en conclut que la liquidation du système est urgente : il n’y a pas de solution à l’intérieur du système, la réponse se trouve dans sa destruction. Cette lutte contre le système doit être menée dans le monde de la culture[29], de la science et de la morale, contre tout ce qui est « officiel » (bourgeois et conformiste). La finalité de cette lutte est l’élaboration d’un nouveau type de société au sein de laquelle les contradictions ne surgiront pas des mécanismes de production du système, mais de l’intérieur de l’homme, de ses passions et de sa lutte pour la vie. Idéologiquement, on a défini assez justement Giorgio Freda et sa maison édition de Padoue (Edizioni di Ar)[30] comme un mouvement « évolien de gauche ». La seule réalisation politique concrète fut l’Organisation lutte du peuple, qui décida de s’auto-dissoudre en 1973 afin de mettre un terme à la dure répression qui s’était abattue sur elle[31]. Le courant inspiré par Freda subsiste aujourd’hui comme tendance à l’intérieur du MSI ainsi que dans les mouvements révolutionnaires extra-parlementaires. Freda apporte en définitive ce qui manquait à Thiriart : des valeurs qui dépassent le cadre strictement géopolitique et anti-impérialiste, une conception du monde et de l’histoire et une analyse du mouvement étudiant et du phénomène révolutionnaire surgit en mai 1968 et après.

Ernesto Mila Rodriguez

Notes :

1 A la suite des événements dramatiques de la décolonisation congolaise, un groupe, animé dès l’origine par Jean Thiriart créa le CADBA (Comité d’action des belges d’Afrique) en vue d’utiliser le mécontentement, et l’agitation consécutives, comme base d’une action anti-régimiste. Ce groupe se transforma en une organisation politique, le MAC (Mouvement d’action civique) qui deviendra la section belge francophone de l’organisation Jeune Europe, créée dans plusieurs pays par Thiriart. Le lecteur se reportera à deux ouvrages fondamentaux : le DEA de Yannick Sauveur en quatre volumes : Jean Thiriart et le communautarisme national européen (Université de Paris) et celle de Jean Beelen sur le MAC (ULB).

2 Il s’agit en fait, sous ces trois titres, de la même publication (numérotation continue). Les changements de titre correspondent aux stades de l’évolution idéologique du mouvement : phase petite nationaliste belge et droitière avec Belgique-Congo et Belgique-Afrique, phase droitière et poujadiste avec Nation Belgique (bientôt complété par une page interne Nation Europe : le mouvement s’organise au plan européen), phase nationale-européenne et révolutionnaire avec Jeune Europe.

3 Le livre parut en 1964 et 1965 en éditions italienne, française, espagnole (sous le titre Arriba Europa) et portugaise. Des traductions furent réalisées ultérieurement en néerlandais, anglais et allemand. Il a été réédité en 2008 par les Éditions Avatar.

4 Digest de la pensée de Thiriart et de Jeune Europe, cette brochure importante a été publiée dans les principales langues européennes. Elle est actuellement disponible chez les Éditions Ars magna.

5 La doctrine de Thiriart est connue, et définie par son auteur sous le nom de « communautarisme national-européen », rencontre d’un nationalisme européen d’intégration et d’une doctrine sociale, le « communautarisme », présenté par Thiriart comme un « socialisme élitiste national-européen ». En 1983, dans son livre Cent six questions sur l’Europe (ouvrage, où, en réponse aux questions du journaliste espagnol Bernardo Gil Mugarza, il fait le bilan sans complaisance de Jeune Europe et explique son évolution politique depuis les années 1960 et la fin de son expérience militante), Thiriart conclut en définissant le communautarisme national-européen comme un « communisme débarrassé du Marxisme ». La revue doctrinale de Jeune Europe s’appelait d’ailleurs L’Europe communautaire.

6 Thiriart considère que la nation, dans un cadre unitaire, tel que l’a définie Sieyès, le grand jacobin, est la forme la plus accomplie et la plus efficace d’organisation. Mais il considère que seule l’Europe a encore aujourd’hui la dimension viable pour un État-nation unitaire. D’où son hostilité aux vieilles nations existantes.

7 Au terme d’un itinéraire idéologique et politique déjà clairement visible dés les années 1960, Thiriart sera amené à définir l’impérialisme américain et son inséparable allié sioniste comme l’ennemi principal de l’Europe. En 1984, il prônera la fusion de l’Europe de l’Ouest et de l’Empire soviétique dans un grand espace eurosoviétique de Rejkyavik à Vladivostok.

8 Il reprend ici la vision de la nation en tant qu’avenir en commun et communauté de destin esquissée par l’Espagnol Ortega y Gasset (et que prônera également José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange espagnole). Cette conception s’oppose aux visions de la nation comme héritage en commun (Maurras) ou comme communauté de race ou de langue.

9 Thiriart opposera, au début des années 1980, une superpuissance extra-européenne, les USA à la seule puissance européenne encore indépendante, l’URSS. Les déterminismes géopolitiques font de l’URSS cette dernière grande puissance européenne et continentale face à la Thalassocratie américaine. L’Europe de l’Ouest, incapable de s’unir dans un Etat unitaire et souverain, est le jouet impuissant de son occupant et maître américain.

10 Thiriart fait de la réunification allemande une des conséquences de la réalisation de l’Europe unitaire et est radicalement opposé à celle-ci dans un cadre non-européen. Une « grande Allemagne » unifiant la RFA et la RDA serait pour lui le retour d’une puissance allemande au cœur de l’Europe avec le risque dangereux de ses vieilles pulsions impérialistes. Dans son esprit, ce serait un recul et une menace inacceptable pour l’Europe.

11 A la vieille géométrie politique conçue en notions de droite ou de gauche, Thiriart oppose une conception nouvelle et réaliste : celle du Parti européen en lutte contre les partis contrôlés par l’occupant impérialiste, de l’extrême droite à l’extrême gauche.

12 Après le coup d’État conservateur de septembre 1943, Mussolini créera en Italie du Nord une République sociale italienne qui renouera avec le fascisme révolutionnaire de 1919. Cette république verra l’abandon de tous les compromis du ventianno (1922-1943) et un retour du fascisme à ses origines révolutionnaires et socialistes.

13 Il s’agit là d’un autre aspect de la nation tel que l’envisage José Ortega y Gasset. La nation européenne existe, dira Thiriart, parce les militants du Parti européen ont la volonté de son existence. Ils sont l’Europe légitime opposée à l’Europe légale des vieux régimes en place.

14 Dans son ouvrage fondamental Que faire ?. Lénine esquisse sa théorie du parti révolutionnaire unitaire et centralisé. Ses vues provoqueront la rupture entre bolcheviques et mencheviques au  congrès de Londres en 1903, le petit Parti bolchevique, issu des théories exposées dans Que faire ?, triomphera lors de la Révolution d’octobre.

15 Thiriart et Jeune Europe furent un des plus importants soutiens de l’OAS en Europe. Ils voulaient  disposer, en cas de victoire de celle-ci en France, d’un poumon pour leurs autres actions révolutionnaires en Europe. Ce fut le concept de la France « État tremplin » pour la révolution européenne développé par Thiriart en 1961-62.

16 Jeune Europe eut deux sections importantes qui eurent, dans leurs pays respectifs, une réelle influence politique : la Belge et l’Italienne.

17 Pour l’historique des différents rameaux de l’organisation se reporter au DEA de Y. Sauveur (op.cit.)

18 L’OLP est née de la scission de la section nantaise du mouvement Ordre nouveau. Partie d’une critique nationalisme-révolutionnaire, l’OLP deviendra un mouvement que Y. Sauveur n’hésite pas à qualifier de national-bolchevique, en référence au courant allemand des années  1920 dont Niekisch était la  figure de Proue. L’OLP eut des associations-sœurs en Italie, en Espagne, en Suisse et en Allemagne regroupées dans un Comité de liaison des européens révolutionnaires.

19 Né au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Mouvement social italien, parti de positions néo-fascistes devint un grand parti parlementaire conservateur (ce que  symbolisa l’ajout du terme Droite Nationale à son sigle – MSI-DN). Le MSI était un vaste rassemblement de diverses tendances,  parmi lesquelles la monarchiste et  la nationaliste-révolutionnaire, cette dernière influente dans les diverses organisations de jeunesse du mouvement. Le FUAN (Front universitaire d’action nationale) était le syndicat étudiant lié au  MSI. Freda restera moins d’une année au MSI. Dans un entretien accordé le 1/3/1979 à l’hebdomadaire italien Europeo, il présentera sa brève adhésion au MSI comme « une tentative pour vérifier, à l’époque, mon identité idéologique et politique, une erreur de jeunesse ».

20 Potere operario (Pouvoir ouvrier) fut un des groupuscules maoïstes italien les plus actifs. Il était animé d’un anti-américanisme et d’un anti-sionisme fanatique. Dans les années 1970, nombre de ses adhérents passèrent dans les rangs des Brigades rouges.

21 Al-Fatah, dirigé par Yasser Arafat, était dès la fin des années 1960 la principale organisation militante palestinienne. Son organisation militaire, el-Assifa mena les première opérations militaires en Palestine occupée même. De nombreux volontaires  européens rejoignirent ses rangs pour participer, les armes à la main, à la lutte anti-impérialiste et anti-sioniste. Le premier volontaire européen à trouver la mort dans ses rangs fut un membre de Jeune Europe du nom de Roger Coudroy.

22 Le Mossad est le très efficaces services secrets israélien. Il est responsable de milliers d’attentats, assassinats et provocations sionistes dans le monde entier.

23 Le 12 décembre 1969, plusieurs bombes explosent à Milan, dans les locaux de la Banque de l’agriculture. L’attentat fit seize morts et plus de cent blessés. Il marqua le début de ce qui est connu en Italie comme la « stratégie de la tension. »

24 Les diverses enquêtes menées sur les multiples aspects de la « stratégie de la tension » verront deux thèses s’affronter : celle des « pistes noires » (couleur du fascisme) orientée vers les milieux d’extrême droite et celle des « pistes rouges » (couleur du marxisme) orientée vers l’extrême gauche et les milieux anarchistes. En fait, les enquêteurs mettront à jour de nombreuses provocations impliquant, entre autres, les services secrets et la police italienne, le Mossad et la CIA. Un intéressant document, mettant à jour de multiples aspects occultes de la « stratégie de la tension » fut publié en 1974 par Guido Giannettini sous le titre Dossier San Marco, dénonciation d’un complot contre l’Etat italien. La « stratégie de la tension » repose en fait sur une stratégie d’instrumentalisation et d’opposition des extrêmes. Le but recherché est la consolidation et le resserrement du régime autour de ses partis traditionnels de centre-droit et de centre-gauche. Les diverses polices politiques d’Europe furent toutes à des degrés divers, tentées par cette « stratégie de la tension ». Mais aucune n’osa aller aussi loin que les services secrets italiens qui ne reculèrent devant aucun bain de sang.

25 Les étapes du procès de Freda, connu sous le nom de « procès de la Piazza Fontana » sont autant de dénis et d’iniquités. En voici, brièvement, les principales étapes :

– 12 avril 1981 : Freda est arrêté et emprisonné pour « avoir diffusé des livres, des imprimés et des écrits contenant de la propagande, ou instigation, en faveur la subversion violente ».

– 4 Juillet 1971 : modification des chefs d’accusation. Freda est accusé d’avoir fait « de la propagande pour la subversion violente de l’ordre politique, économique et social de l’Etat » par l’intermédiaire de La Désintégration du système.

– 5 décembre 1971 : Freda est de nouveau arrêté. Il n’est plus seulement emprisonné pour délit d’opinion et pour son activité d’éditeur. On l’accuse maintenant d’avoir été un des organisateurs du massacre de la Piazza Fontana et d’avoir fourni les timers.

– en 1972, Freda connaît trois prisons italiennes : Padoue, Milan, Trieste.

– 15   novembre    1972 : à Paris, article de l’hebdomadaire, Tribune juive, organe de la Licra  repris et commenté par la presse sioniste italienne, accusant Freda de terrorisme.

– 1974 : Freda, toujours emprisonné, déménage encore : prisons de Rome, Bari et Brindisi.

– 28 Août 1976 : Freda est remis en liberté provisoire en vertu d’une loi stipulant qu’un détenu doit être libéré au bout de cinq ans si son procès n’est pas encore terminé. Freda est alors assigné à résidence sur l’île de Giglio, au large de la Corse.

– 1978 : Freda est assigné à résidence à Catanzaro et soumis à une surveillance policière constante. Le procès de la Piazza Fontana débute cette année là. Il va mettre en valeur le caractère inique de la justice italienne, puisque c’est dans son cadre qu’est ordonné le réemprisonnement de Freda. Celui-ci, privé de liberté réelle depuis plus de huit ans, dont cinq de prison, s’enfuit au Costa-Rica. Extradé, il réintègre sa prison. Le procès de la Piazza Fontana se clôt en 1981. Freda est acquitté pour « manque de preuve », au bénéfice du doute (nous verrons plus loin qu’il n’y a en réalité aucun doute sur son innocence). Il est aussitôt inculpé de nouveau pour « reconstitution du parti fasciste dissous » (grâce à une loi d’exception datant de la fin de la deuxième guerre mondiale) et maintenu en prison. Au terme d’un nouveau procès, il est condamné à quinze ans de prison du chef de la dernière accusation, alors qu’il n’a jamais créé ou dirigé d’organisation politique !

Voyons maintenant sur quoi reposaient les accusations portées contre lui dans le cadre du procès de la Piazza Fontana :

– achat de timers, suite à la provocation d’un agent du Mossad. Ceux-ci auraient servi à l’attentat de Milan,

– témoignages contre lui d’agents provocateurs notoires qui seront tous confondus.

Les diverses confrontations innocenteront toutes Freda. Par contre elles impliqueront des policiers et agents des services secrets.

26 Les écrits du philosophe italien Julius Evola ont suscité partout en Europe, et surtout en Italie, un courant de pensée évolien au sein du nationalisme-révolutionnaire. Celui-ci se fonde sur une critique traditionaliste et de droite du fascisme et sur un refus absolu du « Monde moderne » issu de 1789. Deux des ouvrages fondamentaux d’Evola s’intitulent d’ailleurs Le Fascisme vu de droite et Révolte contre le monde moderne.

27 Le courant inspiré d’Evola est connu sous le nom de traditionalisme-révolutionnaire. Avec Evola, sa grande source d’inspiration restent les écrits sur la Tradition et l’ésotérisme du français René Guénon.

28 Thiriart fera fréquemment allusion au grand jacobin Siéyes qui fut le théoricien de la France-Nation jacobine. Assignant à sa conception de l’État unitaire des racines jacobines, de « gauche », il s’oppose donc aux traditionaliste pour qui la révolution jacobine marque le triomphe du « monde moderne » anti-traditionnel et laïque.

29 Freda se prononcera pour une « culture intégrale » envisagée comme « métaphysique, non illuministe ; théologique, non logique ; religieuse, non laïque ; pessimiste, non optimiste ; organique, non dialectique ; axiomatique, non critique; mythique, non historique. » Ici éclate nettement l’antithèse d’avec Thiriart et ses conceptions laïques et modernistes.

30 Les Éditions di Ar (du vocable indo-européen signifiant noble que l’on retrouve dans aryen et dans aristocrate) poursuivirent leur activité éditoriale sous la direction de Claudio Mutti durant l’emprisonnement de Freda.

[32]  L’Organisazione lotta di popolo, parti-frère de l’Organisation lutte du peuple française fut certes influencée par les écrits de Freda. Mais à aucun moment, de près ou de loin, celui-ci ne fut mêlé aux activités de l’OLP, qui lui fut toujours totalement étrangère.

 

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