Le Pen, le peuple

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Mes premiers souvenirs de l’existence de Le Pen datent de la maternelle publique à Lille. Une première fois à la cantine quand je dis à une cuisinière goguenarde que mes parents sont au conseil régional, une seconde fois quand j’explique à ma première amoureuse que « Le Président va sauver la France chrétienne ».
Les parents ne nous endoctrinaient pas pourtant, et étaient loin d’être des fans absolus du Vieux et du FN, qu’ils avaient suffisamment côtoyés pour en connaître les limites.

Mais comme des millions de Français, Le Pen a bercé mon quotidien : héros politique, tribun populaire, grand-père adulé ou haï de tous les Français dont il était une sorte d’archétype par sa gouaille, ses colères, sa ténacité, sa légèreté parfois.

Toute ma vie, j’ai entendu dire du mal de lui. Par nos professeurs en primaire d’abord, et puis, surprise, par les amis catholiques conservateurs de mes parents, dont certains reconnaissent aujourd’hui s’être lourdement trompés.

Ceux qui ne se sont pas trompés, parce qu’ils vivaient dans le réel, ce sont ces millions de Français pauvres, méprisés, persécutés, grand-remplacés, auquel absolument personne ne sait plus parler, parce que personne ne les aime.

J’ai en horreur les images d’Épinal qu’on fait des défunts, mais quels que soient ses torts, Le Pen les aimait profondément, charnellement, les Français. « Tu sais pourquoi je fais danser ces dames du troisième âge de la France d’en bas jusque tard au fin fond d’une salle des fêtes après le meeting, alors que je pourrais avoir autre chose à faire ? Parce que ça leur fait chaud au cœur d’avoir dansé avec Le Pen. Elles n’ont plus que ça : les autres les méprisent. »

Voici ce qu’il dit une fois à mon père, qui en était resté marqué : Le Pen aimait les gens. Il n’était pas seulement un homme politique guidé par le froid intérêt électoral ; il n’était pas seulement un nostalgique d’une France révolue : il était un patriote sincère, aimant les gens de son peuple et de son temps, malgré leurs défauts.

Le Pen était un grand politique parce qu’il n’était pas qu’un homme politique : il était un homme tout court, ce que la plupart ne sont plus. C’est pour cette raison, que même face aux lobbies les plus puissants, il refusait de plier, quitte à saborder son œuvre.

Tribun populaire, il était le dernier homme qui aurait éventuellement pu sauver la France pacifiquement, si les Français avaient eu le courage et l’intelligence de le comprendre par-delà les caricatures. Il a entretenu sans y croire vraiment l’illusion du redressement démocratique : c’est la seule chose que nous enterrerons avec lui. Et si son héritage politique est aujourd’hui aux mains de gens qui appartiennent à une autre humanité que la sienne (et que la nôtre!), nous conserverons son amour des Français, sa joie, son goût des belles lettres et des gauloiseries. Comme lui, nous ne respecterons que ce qui est sacré : Dieu et la Patrie, et nous « pisserons au cul des puissants » comme il disait.

Pour finir, une petite anecdote tellement évocatrice de Jean-Marie Le Pen. Il y a deux ans nous sommes allés passer un après-midi chez lui avec mon père et mon épouse, il avait toute sa tête et s’inquiétait de la démographie mondiale et du manque de courage généralisé des Français et des hommes politiques. Sur ce sa fille Yann l’appelle pour lui annoncer la mort d’un vieux chien à Montretout.
Le Pen raccroche, pose ses deux mains à plat sur la table et respire profondément en regardant l’horizon. Après un silence, il nous dit, ému, de sa voix de vieillard : « À presque 100 ans, on a connu la guerre mondiale, on a perdu ses parents, des amis sur le champ de bataille, on a vu des événements faire des millions de morts. On sait ce que sont la fin et la maladie… Et pourtant, on est encore ému par la mort d’un petit bâtard ! »

Jean-Eudes Gannat.

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