Extrait d’une conférence donnée à Bordeaux devant le cercle local d’Égalité et réconciliation en 2012.
Il n’est pas inutile tout d’abord de revenir sur « l’affaire Balme » car elle permet assez bien d’introduire la situation.
Rappelons, pour ceux qui l’auraient oublié, ce qui c’est produit. René Balme, fils de résistant ardéchois, est maire de la petite ville de Grigny depuis 1992, c’est un ex-communiste qui a rejoint Jean-Luc Mélenchon dès la fondation du Parti de gauche.
C’est aussi un anti-impérialiste convaincu qui anime le site Oulala.net. Et c’est là que le bas blesse…
En effet, sur ce site, au demeurant très modéré et assez mal fait, René Balme publie des textes contestant la domination de l’Empire du mal ainsi que les menées de l’OTAN et de l’État d’Israël, leurs expéditions militaires et leurs opérations sous faux-drapeaux. Ce faisant, il arrive à René Balme, ou aux contributeurs de son site, de citer quelques maudits tels Soral, Blanrue, Shamir, Cattori ou Meyssan, et de reprendre des textes publiés par ailleurs (dont parfois sur voxnr…)
Jusqu’en mai dernier, personne n’y avait trouvé à redire. Or René Balme ayant été investi par le Front de gauche pour le représenter aux législatives dans la 11° circonscription du Rhône, deux magazines sur internet – Rue 89 et Street Press – ont déclenché contre lui une vive campagne sur le thème de l’anti-sionisme, de l’antisémitisme, du complot rouge-brun et du crypto-fascisme.
N’ayant pas reçu de son parti le soutien qu’il était en droit d’en attendre, ayant tout au contraire été enfoncé par les dirigeants nationaux de celui-ci, René Balme, très affecté, a fermé son site et démissionné du Parti de gauche.
Voici la situation. Elle est a priori simple et banale et c’est bien là le piège. En effet, si l’on se contente d’en faire une lecture factuelle on ne peux saisir sa réalité et la place qu’elle occupe dans une stratégie générale de manipulation médiatique.
Il convient donc de revenir en arrière et de se souvenir que l’attaque que vient de subir René Balme n’est pas la première affaire de ce type dont sont victimes des militants qui appartiennent incontestablement à la gauche radicale.
Ainsi, en novembre 2011 pour l’un et en février 2012 pour l’autre, deux activistes anti-impérialistes d’extrême gauche de premier plan, Michel Collon d’Investigaction et Victor Dedaj du Grand soir, ont vu des débats qu’ils devaient animer annulés sous la pression de nervis eux mêmes d’extrême gauche. Ainsi, durant le second semestre 2011, les militants de l’association Reopen 911 (un groupe altermondialiste et pacifiste contestant la version officielle des événements du 9 septembre 2001) de Strasbourg furent-ils victime à la fois d’agressions par des gros bras se présentant comme libertaires et d’une campagne de lynchage médiatique via internet les dénonçant comme des antisémites. En janvier 2012, c’était au tour de Philippe Marx, un militant actif du PCF investi pour les législatives en Meurthe-et-Moselle, d’être dénoncé par un groupuscule anarchisant quasi-inconnu comme un antisioniste et un antisémite et ce jusqu’à ce que son investiture lui soit retirée.
Contrairement à ce que l’on pourrait s’imaginer de prime abord, tous cela n’est pas le fait de règlement de compte entre chapelles, de querelle de clocher entre groupuscules d’ultra-gauche ou d’une guerre de clans. Tout au contraire, c’est la concrétisation de quelque chose de beaucoup plus profond et de beaucoup plus lourd de conséquences politiques : le ralliement d’une fraction conséquente de la scène gauchiste à la défense de l’oncle Sam, de l’impérialisme occidental et de l’État d’Israël… Énoncé ainsi, l’affaire semble aussi invraisemblable qu’irréelle, et pourtant elle est rigoureusement véridique. Analysons ce grand retournement.
Tout commence en Allemagne durant les années 1990 dans la mouvance maoïste. Deux groupes appartenant à cette nébuleuse vont s’en détacher pour donner naissance au mouvement anti-Deutsch.
Se revendiquant de la thèse de Karl Liebknecht selon laquelle « l’ennemi principal réside dans son propre pays », l’Arbeiterbund va affirmer qu’en conséquence les Allemands doivent uniquement lutter contre l’impérialisme allemand et non pas contre l’impérialisme yankee qui lui ferait concurrence et l’affaiblirait. Ainsi ce mouvement va s’opposer aux manifestations contre la guerre en Irak, puis à la mobilisation contre l’intervention de Tsahal à Gaza, estimant que ces actions militantes se trompent de cibles, relèvent du vieux fond antisémite allemand et renforcent l’impérialisme teuton.
Une autre organisation, le Kommunistischer Bund, qui s’était déjà opposé à la réunification allemande avec le slogan « Plus jamais l’Allemagne », va pousser ces thèses encore plus loin. Inspirée par Theodor Adorno et Marx Horkheimer, mais aussi par la « société ouverte » du libéral Karl Popper, elle va affirmer tout d’abord que la société libérale bourgeoise est une phase indispensable avant qu’il soit possible d’envisager le passage à une société communiste et ensuite qu’un certain nombre de pays comme l’Allemagne (dont la nation s’est fondée à ses yeux contre les Lumières et sur la base d’un irrationalisme) ou le monde arabe, sont des États pré-modernes car non totalement libéraux dans leurs lois, leurs mœurs et leur mode de fonctionnement. À l’opposé, les théoriciens de ce courant vont affirmer que les trois nations les plus civilisées au monde car les plus libérales sont les États-Unis, Israël et … la France !
Concrètement, cela conduira les militants de cette mouvance à soutenir tout ce qui est culturellement anti-allemand. Ainsi verra-t-on, à partir de cette période fleurir dans les manifestations gauchistes les drapeaux des forces alliées de la deuxième guerre mondiale, ainsi que le drapeau israélien. Certains iront même jusqu’à organiser une manifestation à Dresde pour féliciter Bomber Harris de son travail !
Or, cette tendance qui ne semblait, à prime abord, qu’une manifestation politique aberrante dont les tenants relevaient de la lunatic fringe, va, « étrangement », se trouver rapidement dotée de moyens financiers importants lui permettant une action de publication idéologique conséquente et de création de multiples sites internet. Elle va de même bénéficier de relais dans les médias sans le moindre rapport avec sa représentativité. En conséquence, à défaut de pouvoir être réellement présents sur le terrain les anti-Deutsch vont mener, au sein de leur propre camp, une guérilla incessante contre tous les militants anti-impérialistes, anti-occidentalistes ou anti-sionistes, les dénonçant systématiquement comme des fascistes et des antisémites. Dans le même temps, avec une phraséologie très proche de celle de BHL, ils vont voir dans toutes les interventions militaires des États-Unis ou de l’OTAN d’importants progrès sur la voie de la civilisation.
Au début de ce siècle, ce courant va s’implanter en France, d’abord dans la mouvance antifa et libertaire puis sur les marges du NPA. La stratégie suivie sera la même qu’en Allemagne : multiplication de sites internet se reprenant les uns les autres, dénonciation hystérique des militants anti-impérialistes les plus connus comme des crypto-fascistes et des antisémites patentés et soutien à toutes les manœuvres internationales de l’impérialisme yankee.
Agissant anonymement ou caché derrière des structures ad hoc (Opération Poulpe, La Feuille de chou, etc.), les animateurs de cette mouvance vont constamment se présenter comme d’extrême-gauche. Il y aura cependant des accrocs quand certaines vérités biographiques seront découvertes. Le cas le plus frappant étant celui de Marie-Anne Boutoleau, une « anarchiste libertaire antifasciste », collaboratrice de divers sites Internet – Article11, Indymedia, Rebellyon (*) – où elle se livrait à de frénétiques campagnes d’accusations calomnieuses dénonçant les infiltrations « fascistes », « d’extrême droite », « conspirationnistes » et « antisémites » au sein du mouvement anti-impérialiste. Or, il a prouvé qu’ Marie-Anne Boutoleau était le pseudonyme d’Ornella Guyet, véritable docteur Jekyll et mister Hyde en jupon. En effet, cette « journaliste », sous pseudo, alimentait la presse d’extrême-gauche de sa prose, et sous son véritable nom, fréquentait la sarkozye journalistique et se produisait dans des séminaires organisés par deux éminentes personnalités du Parti Républicain américain. L’un ancien proche collaborateur du Président Nixon à la Maison Blanche et l’autre ex-Directeur de recherche pour Nelson Rockefeller lorsqu’il était Gouverneur de l’Etat de New York puis 41ème Vice-président des États-Unis…
Or, c’est la même Ornella Guyet qui est l’auteur de l’article de Rue 89 dénonçant René Balme…
Hic et nunc, on ne peut que constater l’effet de la propagande de cette agent d’influence et de ses comparses. Alors que les intervention des États-Unis contre l’Irak en 2003 et celle d’Israël contre Gaza en 2008, avaient été l’objet de manifestations monstres dans l’organisation desquelles l’extrême gauche avait joué alors un rôle non négligeable, il n’y a eu aucune mobilisation l’an passé contre l’intervention en Libye. Pire, des antifas connus ont tenté d’y former une mini-Brigade internationale pour y aider les forces du Grand Occident, et tous les opposants à cette aventure impériale ont été dénoncés comme des fascistes, des nazis et des antisémites par tout ce que la mouvance gaucho compte de médias. Il en est de même pour la Syrie, où c’est à l’extrême gauche que se trouvent les activistes les plus hostiles au gouvernement de Bashar al-Assad et à ceux qui voudraient voir la paix régner dans ce beau pays. Quand aux intellectuels radicaux et aux militants qui, comme Michel Collon ou Victor Dedaj, René Balme ou Philippe Marx, n’ont pas reniés leurs idées, ils sont dénoncés chaque jour que Dieu fait comme des salauds, des fachos et des ennemis des peuples, et tout est fait pour les marginaliser dans le jeux politique, ainsi que « l’affaire Balme » vient de le montrer.
Cette situation a de quoi surprendre à la première analyse. En réalité, elle est dans la logique des choses, tant le militantisme d’extrême gauche est devenu au fil des années, non pas un signe de révolte, mais un engagement hyper-moral et conformiste, une pose où l’on ne fait que pousser à l’extrême les thèses sociétales du système libéral dans lequel on vit… De plus, ce n’est pas non plus une première. En effet, durant les années 1940, une large fraction du mouvement trotskiste, derrière des individus comme Max Schachtmann, James Burnham ou Stephen Schwartz, s’est déjà ralliée à la « défense du monde libre » et s’est alors déjà rangée, sans état d’âme, dans le camp de l’Oncle Sam…
Cela confirme que l’histoire n’est qu’un éternel recommencement…