Autour du sionisme, il y a cette zone grise de ceux qui soutiennent Israël mais se défendent avec vigueur d’être sionistes. Ce sont les crypto-sionistes.
Le crypto-sioniste n’est pas sioniste. Il n’est pas non plus antisioniste. Mais il n’existerait pas sans l’existence du sionisme. L’un ne va pas sans l’autre. Le crypto-sioniste est indéfinissable. On ne peut le saisir qu’à travers la description de ses comportements.
Le crypto- sioniste n’est pas juif, par définition. Mais il peut l’être. Le crypto-sioniste est un être rationnel. Il ne recourt pas à un droit de propriété biblique, messianique, religieux sur la terre. S’il parle de la Shoah, c’est pour souligner la nécessité d’un État pour protéger les juifs, d’un refuge national. Il est toujours laïc mais il est bien plus indulgent envers l’extrémisme religieux juif qu’envers l’islamisme. Que l’État d’Israël soit un État juif ne le gêne pas. Mais que l’État palestinien soit un État islamiste l’incommoderait au plus haut point, et même déclenche son indignation laïque.
Le crypto-sioniste et l’islamisme
Le thème récurrent du crypto-sioniste est le danger de l’islamisme. Il veut englober la question palestinienne dans un conflit contre l’islamisme mondial. II fait le pont entre le 11 septembre, l’attentat du » Bataclan » à Paris, le 7 octobre récent, bref entre ce qui se passe en Palestine et la lutte globale contre le « terrorisme islamiste » Il dissout la question palestinienne dans un grand complot islamiste, une guerre de civilisation.
Il le répète, il n’est pas anti palestinien, il est anti islamiste. Il peut se prononcer, à certains moments, pour un Etat palestinien mais il n’acceptera jamais un État islamiste palestinien. Le crypto sioniste ne mène pas la lutte contre le peuple palestinien mais contre Hamas. Vous me direz que cela revient en pratique au même puisque les palestiniens soutiennent aujourd’hui Hamas. Mais cela, il le nie.
Le crypto-sioniste est donc devenu, à posteriori, un admirateur de l’organisation palestinienne Fatah, « martyrisée » à son sens, par Hamas. Il ne tarit pas d’éloges pour « la tendance laïque de l’OLP » qu’il qualifiait naguère de « dangereux terroriste ».
Le crypto-sioniste est plutôt de gauche mais il peut être de « droite » et même d’extrême droite, ces notions étant tout à fait relatives et évoluant suivant le lieu et le temps. Bref, on en trouve dans toutes les familles politiques occidentales. Mais il est dans tous les cas occidentaliste et aussi atlantiste. C’est le corpus idéologique du crypto-sioniste, l’idée maitresse, chez lu i : qu’Israël est un » bastion avancé de l’occident ».
Étant avant tout occidentaliste, et dans la mesure où l’Occident a dominé ou influencé à des degrés divers tous les pays du monde, le crypto-sioniste, peut se manifester à travers toute appartenance culturelle ou religieuse, chrétienne ou autre. On peut donc, tout aussi bien le retrouver, parfois, dans les élites occidentalistes des pays arabo-musulmans. Celles-ci partagent certains traits du crypto- sioniste européen, notamment l’hostilité épidermique à tout islamisme. On reconnait le crypto-sioniste, dans les pays arabo-musulmans, à ce qu’il se distingue notamment par une réserve et un silence prudents sur le génocide de Gaza, et à la sympathie qu’il trouve dans des milieux occidentaux pro-israéliens influents ainsi qu’ en Israël. L’Occident et les États arabes affiliés savent récompenser et entretenir ces élites par des récompenses et une notoriété factice. C’est l’histoire du Faust de Goethe qui ne cesse de se répéter à travers les âges.
Le crypto-sioniste est plutôt un intellectuel. Il a un haut niveau culturel. Son idéologie demande, en effet, l’élaboration d’un argumentaire culturellement assez compliqué. Elle nécessite de manier le paradoxe comme par exemple qu’Israël libère les palestiniens du Hamas en les bombardant, que « c’est Hamas qui est responsable du carnage de Gaza et de tout ce qui se passe » etc.
Le crypto-sioniste se réclame, avant tout, d’un humanisme. Il se rattache souvent à des traditions de la gauche européenne. Ainsi, il a par exemple ses références dans les « kibboutz socialistes ». Il verse des larmes de tendresse sur ces kibboutz, autour de Gaza , qui ont été, pourtant, déplore-t-il, « les premières cibles » des habitants de Gaza. « Les ouvriers palestiniens de Gaza venaient y travailler, ils y étaient soignés », soupire le crypto-sioniste de gauche, déçu par tant d’ingratitude. Mais le même ne supportera pas que ces Palestiniens, qu’il aime tant, lui rappellent que les Kibboutz sont sur leurs terres.
Le palestinien errant depuis des décennies de la Palestine, à la Jordanie, et de la Jordanie à Beyrouth, et de Beyrouth à Tunis, et puis dans le monde entier, a remplacé le mythe du juif errant. Mais cela n’attire aucune compassion chez le crypto-sioniste. Il est d’ailleurs contre le retour de la diaspora palestinienne pour des raisons « objectives », car cela renverserait, dit-il, l’équilibre démographique.
Le crypto-sioniste est un démocrate
Preuve que le crypto-sioniste est plein de bons sentiments envers les Palestiniens, il est contre l’extrême droite israélienne contre laquelle il n’a pas de mots assez durs. Le crypto-sioniste est toujours un démocrate.
Il s’évertue à voir en Israël une droite et une gauche. Il dénonce l’extrême droite, le gouvernement de Netanyahou comme seul responsable de la situation. Cela lui permet, du coup, de dépeindre Israël comme un État « normal » et de cacher ses problèmes structurels en tant qu’État en fait colonialiste, ce qui y rend impossible toute démocratie, sauf celle au bénéfice de la population coloniale. Un tour de passe-passe. Dans le discours crypto-sioniste, il ne s’agit donc, au fond, que d’attendre simplement que la gauche et la démocratie triomphent en Israël pour que le conflit israélo-palestinien soit réglé. Cela fait 75 ans.
Mais dès que l’affaire devient sérieuse, dès qu’Israël entre en situation de crise, comme ce fut le cas le 7 Octobre et en bien d’autres occasions, lorsqu’on en arrive au concret, au crucial, au passage à l’acte, c’est l’union sacrée, le crypto sioniste fait front avec la droite et l’extrême droite israéliennes, car Israël, clame-t-il, a « le droit de se défendre ». Il n’est plus question alors pour lui que des Israéliens et de l’existence d’Israël. On s’aperçoit alors que le crypto sionisme n’est que le visage soft du sionisme. Il en est le versant gauche. Tout son rôle est de faire accepter, par sa présence, l’autre versant, celui de la droite et de l’extrême droite, et convaincre qu’il les contrebalance. Dès lors son existence apparait, comme la justification de la droite sioniste, voire comme son alibi. Le sionisme ne devient plus alors qu’une opinion, un courant, une tendance, dans « un État de droit, où se fait le débat démocratique, dans la seule démocratie de la région ».
L’idéologie victimaire
La posture victimaire est le point de rencontre entre le sioniste et le crypto-sioniste. Le crypto-sioniste est très sensible à l’argument du sionisme du Juif éternellement persécuté. Le crypto-sioniste fonde l’existence de l’État d’Israël sur les persécutions dont ont été victimes les Juifs. Le sionisme a largement utilisé cette idée d’un État juif, protecteur des Juifs, victimes de tous temps de discriminations. C’est donc un point très fort de rencontre, de convergence, notamment dans les périodes de crise où cet esprit victimaire s’exacerbe, comme cela a été le cas le 7 Octobre, où il a été exploité intensément dans la propagande sioniste et crypto-sioniste.
Les choses en effet ne sont pas simples. Cette idéologie victimaire est restée très vivante chez les Juifs malgré la création de l’État israélien. Son armée est la plus forte de la région et, en principe, ce danger n’existe pas. Cela n’empêche pas les sionistes de crier à la volonté d’effacer Israël. La propagande décrit de nouveaux pogroms fantastiques et bat le rassemblement autour d’un point de sensibilité extrême, une sorte de blessure historique jamais fermée car entretenue. L’inversion est totale car s’il y a victimes et danger existentiel pour un peuple, c’est bien du côté du peuple palestinien.
Cela n’empêche pas cette idéologie victimaire, non seulement d’exister, mais de justifier les pires massacres des Palestiniens, dans une pathologie évidente de délire paranoïaque collectif, où le paranoïaque, comme c’est connu, passe à la violence parce qu’il se sent menacé, et qu’il vit dans un sentiment permanent de persécution.
Le crypto-sioniste croira dur comme fer à la version officielle israélienne sur les évènements du 7 Octobre, bien qu’elle soit de plus en plus mise en doute. C’est d’ailleurs un indice aussi pour le reconnaitre. On croit à ce qu’on veut croire.
Le crypto-sioniste, bien dans son rôle, ajoutera à ce récit, des détails de psychologie de masse, « la sidération qu’aurait ressentie Israël ». Il y puisera des excuses aux bombardements et au carnage qui va suivre, voire leur légitimation. Il dira bien sûr quelques généralités sur les victimes palestiniennes, mais il ne désavouera jamais les tueries massives à Gaza, oubliant que c’est la population de Gaza qu’Israël élimine, et pas le Hamas comme il feint de le croire. « Il faut bien d’abord éradiquer le Hamas », l’éliminer, ou alors comment faire pour que le 7 Octobre ne recommence pas ? », dira le crypto- sioniste l’air désolé, sans même songer une seconde à l’habit de paix et d’une solution politique qu’il revêt les autres jours de l’année.
Quand donc Israël estimera-t-il que le Hamas est éliminé et quand arrêtera-t-i cette tuerie de masse ? Un objectif aussi imprécis donne évidemment tout loisir à Israël aussi bien de continuer le massacre que de l’arrêter, comme il le veut. Mais surtout, de masquer le véritable objectif, celui d’éliminer, d’une façon ou d’une autre, physiquement ou par l’exil, la population de Gaza, et, pourquoi pas, de proche en proche, tous les Palestiniens.
Il n’y a plus alors qu’un seul point de différence entre le sioniste et le crypto-sioniste : le sioniste assume, cyniquement, son projet d’effacer le peuple palestinien de la Palestine, le crypto-sioniste en fait porter la responsabilité aux « extrémistes » palestiniens. Dans les situations de crise aigüe, le crypto-sioniste n’est même plus la version soft du sionisme.
Le juif anti-sioniste versus le crypto-sioniste
Le crypto-sioniste se reconnait aussi à cela qu’il ne parlera jamais, ou rarement, des causes du conflit israélo-palestinien, de ses causes profondes historiques et actuelles, mais préfèrera toujours centrer le débat sur la question de la violence. C’est ce qu’il fait en permanence dans sa propagande, comme, dernièrement, en faisant commencer la tragédie actuelle à ce qu’il appelle « le pogrom du 7 Octobre ».
Le crypto-sioniste est l’antithèse du juif antisioniste. Celui-ci se manifeste actuellement de plus en plus dans le monde au fur et à mesure de l’escalade de la violence israélienne. Le Juif antisioniste refuse cette propension sioniste de considérer le martyre du peuple palestinien comme une réparation du martyre juif. Il refuse de considérer l’État d’Israël comme une solution à l’identité juive. Il refuse de relier l’existence de la religion juive à un État, et il veut qu’elle soit comme toutes les religions, à vocation universelle.
Enfin, le crypto-sioniste voit l’antisémitisme partout. Il le décèle là où personne ne le voit. Il recherche avec obsession tous les masques derrière lesquels se cache l’antisémite. Et pour terminer, voici à ce sujet, une perle de l’argumentaire crypto-sioniste. C’était le 20 décembre dernier, sur le plateau de la chaine d’information française LCI, un intellectuel et journaliste français bien connu qui expliquait, dans un raisonnement laborieux que : « dire qu’Israël commet un génocide à Gaza est une affirmation antisémite car elle fait référence sans le dire au fait que les Juifs ont été victimes d’un génocide et que donc ils en commettent à leur tour un. ».
Il faut le faire !
Djamel Labidi.
Article repris de Le Grand Soir.