Les Gardes noirs du Führer

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Des rapports entre l’Allemagne nationale-socialiste et les Noirs africains ou afro-américains, on ne connaît habituellement pas grand-chose sinon de banales généralités. La plus marquante étant le refus du chancelier Adolf Hitler de serrer la main du quadruple médaillé d’or américain Jesse Owens, aux jeux olympiques de 1936, parce qu’il était noir. Or, comme toujours, la réalité est beaucoup plus complexe et quelques travaux récents (1) nous font découvrir des faits que personne n’avait jusqu’alors soupçonnés : il y eut des noirs dans la Hitler Jugend, le Deutsche Arbeiter Front et l’Organisation Todt, il y en eut aussi dans les rangs des partis collaborationnistes français et dans la LVF, il y en eut enfin parmi les propagandistes internationaux d’une alliance avec l’Allemagne…

Pour Jesse Owens, l’Amérique c’était pire…

En août 2009, le journaliste Philip Delves Broughton publia dans le quotidien britannique Daily Mail un article de fond au titre sans ambiguïté : « Oubliez Hitler, c’est l’Amérique qui a fait affront au champion olympique Jesse Owens. »

Selon lui, Hitler ne refusa jamais de serrer la main d’Owens parce qu’il était noir mais parce que, quand celui-ci gagna ses médailles, il ne serrait plus la main de personne quelle que soit sa race. En réalité, le chancelier du Reich avait entrepris de congratuler tous les vainqueurs les premiers jours, mais le Comité olympique international le lui reprocha estimant que cela était contraire au protocole. Hitler s’en abstint donc pour Owens comme pour tous les autres athlètes médaillés par la suite.

D’ailleurs, selon Philip Delves Broughton, Jesse Owens ne reprocha jamais rien à Hitler alors qu’il ne manquait pas une occasion de relater les affronts qu’il dut subir après son retour aux États-Unis : malgré ses quatre médailles, il ne pouvait pas monter à l’avant des bus, le président Roosevelt ne le félicita pas et lors de la réception donnée au Waldorf Astoria pour le retour des sportifs des jeux olympiques on lui refusa l’accès aux ascenseurs car ils étaient réservés … aux Blancs ! Pire, il fut exclu de l’équipe d’athlétisme américaine et il dut gagner sa vie en se produisant comme attraction de cirque, puis comme employé dans une station-service, avant de faire carrière dans le jazz comme artiste et impresario.

L’étrange situation des Afro-allemands

En 1933, la population afro-allemande ne dépassait pas les 20 000 personnes issues pour la plupart des colonies et pour quelques-uns de contact sexuels entre Allemandes et soldats d’occupation des troupes coloniales françaises.

S’ils furent comme les juifs soumis aux lois raciales, si de ce fait leur vie fut difficile et s’il y eut un certain nombre de cas de castration, les considérations géopolitiques du ministère des Affaires étrangères les protégèrent du pire. En effet, souhaitant non seulement récupérer ses anciennes colonies mais encore augmenter son empire colonial, le Reich fit donc recommander aux services de propagande « de ne pas prêter le flanc à la propagande ennemie à propos de la question des gens de couleur » et d’« éviter au maximum un malaise chez les Africains vivant chez nous. »

Cette protection fit que les Afro-allemands ne furent victime d’aucune campagne de dénonciation et purent continuer à se considérer comme des Allemands a peu près comme les autres. Dans son livre sur « les Noirs et l’Allemagne », Catherine Coquery-Vidrovitch relate ainsi de nombreux cas de jeunes métis, ou d’origine africaine, se reconnaissant pleinement dans l’idéologie nationale-socialiste, et cherchant à adhérer à la Hitler Jugend (en y réussissant parfois) ou à s’engager dans la Wehrmacht pour défendre leur nation.

Des collaborateurs de couleur

Si dès le lendemain de la première guerre mondiale, il y eut des « hommes de couleur » dans la plupart des ligues (Action française, Croix de feu, Jeunesses patriotes, etc.), c’est incontestablement avec le Parti populaire français de Jacques Doriot que le courant passa le mieux et nombreux furent les Antillais, Guadeloupéens, Réunionnais et Africains à rejoindre ses rangs.

La Deuxième Guerre mondiale ayant éclatée on retrouva tout naturellement ceux-ci dans les partis de la collaboration, à la Milice, ainsi que dans la Légion des volontaires français. Or, on sait que l’engagement à la LVF comportait une clause d’aryanité. Celle-ci fut interprétée de manière très restrictive et l’on considéra simplement que tout non-juif était un aryen ! De même, la LVF, en 1942, refusa d’appliquer une circulaire de l’OKH demandant le renvoi de ses soldats noirs. Ce n’est qu’en 1944, quand les légionnaires furent versés dans la Division SS Charlemagne que la croisade européenne des Noirs français s’interrompit. Ils estimèrent, pour la plupart, que cela était sans importance et ils continuèrent à servir qui dans l’Organisation Todt, qui comme travailleurs volontaires.

Cet engagement militaire sur le Front de l’Est ne fut pas le seul. On retrouva nombre de Noirs dans les francs gardes de la Milice, y compris y occupant des postes d’encadrement. Il s’en trouva même, comme le révèle Serge Bilé, pour participer avec le PPF aux tentatives de création de « maquis blancs » après la libération de la France !

Un Noir devenu … Blanc et admirateur d’Adolf Hitler

Peu de personnalités de l’histoire des idées politiques des États-Unis sont aussi paradoxales que Lawrence Dennis (2). Notre homme avait assisté, dès 1935, à Nuremberg, au congrès du NSDAP et il avait été reçu, à cette occasion, à Berlin par Rudolf Hess, Hermann Goering et Joseph Goebbels. L’année suivante, il s’était fait remarquer comme le principal intellectuel fasciste yankee en publiant The Coming American Fascism. Ayant fait de brillantes études à Harvard, Lawrence Dennis avait ensuite été diplomate, banquier puis journaliste. Son influence était si grande que, lors du procès qui lui fut fait, en 1944, pour « intelligence avec l’ennemi », il fut décrit par le procureur comme « l’Alfred Rosenberg de la cinquième colonne », tandis qu’un témoin le présentait comme l’équivalent américain d’Oswald Spengler.

Or, Lawrence Dennis était un « nègre blanc »…

Né en 1893, à Atlanta, il était le fruit des amours d’un couple mixte. Sa mère, Afro-américaine, était un prédicateur évangéliste et elle l’avait emmené avec elle, peu de temps après sa naissance, dans une tournée de propagande religieuse en Europe. Comme il était un métis de peau claire, Dennis profita de cette absence prolongée des États-Unis pour « passer la ligne » et pour se présenter à son retour dans un pays où absolument personne ne le connaissait, comme un blanc au teint olivâtre… Mais, même s’il la niait ainsi, il ne pouvait ignorer son origine. Cela ne l’empêcha nullement de se reconnaître dans l’Allemagne du Troisième Reich et de devenir un de ses plus ardents propagandistes du Nouveau monde.

Appendice

 Les Peaux-Rouges et le Troisième Reich, un même amour du svastika

À partir de 1934, le géopoliticien Colin Ross, conseiller privé d’Adolf Hitler pour les affaires nord-américaines, prit conscience de la potentialité désintégratrice des tribus amérindienne et entreprit de tisser des liens avec leurs chefs les plus radicaux et les plus hostiles aux États-Unis qui étaient alors regroupés dans l’American indian federation.

Ceux-ci, qui réclamaient l’autonomie administrative de leurs réserves, la dissolution du Bureau des affaires indienne – l’administration qui avait tout pouvoir sur eux – et dénonçaient le New Deal comme une « conspiration judéo-bolcheviques » avaient déjà tissé des liens avec les Silver Shirts de William Dudley Peller, considérée comme l’organisation fasciste la plus importante des États-Unis.

Il y avait donc chez ces chefs un a priori favorable aux régimes autoritaires européens que renforçaient tant certaines légendes sur l’appartenance des Amérindiens à un rameau perdu de la race aryenne qu’un usage commun de la croix gammée.

Ainsi, se créa un courant pro-Allemand dirigé par une Seneca-Cherokee Alice Lee Jemison, et par le chef coutumier héréditaire des Hoopas Eric Towner (alias Nuage rouge). Leur activisme, financé par l’Allemagne, fut une des raisons du vote de la loi qui, en 1938, obligea toute personne publique à déclarer les sommes ou avantages en nature qu’elle recevait d’un État étranger.

Malgré cela, la loyauté de la quasi-totalité des tribus amérindiennes à l’égard de Washington resta totale. Dès le début du conflit, certains conseils tribaux abandonnèrent publiquement l’usage du svastika et certains déclarèrent même la guerre à l’Allemagne, déjouant ainsi la prédiction de Goebbels qui affirmait que « les Amérindiens vont se soulever en masse contre le gouvernement américain. »

Cela étant, preuve du maintien d’une certaine ligne idéologique, il est intéressant de noter que c’est la petite fille de Nuage rouge qui est actuellement à la tête d’un mouvement indigéniste qui dénonce le métissage comme un ethnocide et qui s’oppose à la reconnaissance du statut d’Amérindien aux « sangs mêlés ».

Article rédigé pour Réfléchir et agir en septembre 2012.

1 – On lira : Serge Bilé, Sombres bourreaux, collabos africains, antillais, guyanais, réunionnais et noirs américains dans la deuxième guerre mondiale, Pascal Galodé, Saint-Malo, 2011 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Des victimes oubliées du nazisme, les Noirs et l’Allemagne dans la première moitié du XXe siècle, Le Cherche midi, Paris, 2007 ; Frédéric Pineau, « Antillais et Réunionnais, des ligues à la Milice française : 1930-1945 », Uniformes n° 283, juillet 2012.

2 – Gerald Horne, The Color of Fascism: Lawrence Dennis, Racial Passing, and the Rise of Right-Wing Extremism in the United States, New York University Press, New York, 2007.

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