Alexandre Douguine, théoricien du néo-eurasisme et parfois encore qualifié par certains médias mainstream de « gourou de Poutine » (surtout parce que la consonnance de son nom rappelle…Raspoutine) nous a livré, en 2019, un constat clair et on ne peut plus net quant à l’avenir du libéralisme. Cette analyse, qu’il applique à l’échelle du globe tout entier, affirme que « le libéralisme et le mondialisme sont définitivement foutus. »
Mais encore ? Le philosophe russe établit une analogie entre la crise que connaît le mondialisme à notre époque avec la chute de l’URSS, qu’il a personnellement connu. Il explique qu’au moment où l’URSS commence à imploser, à partir de 1989 donc, « le vrai pouvoir était encore entre les mains du parti communiste. À l’époque, même si le système communiste contrôlait quasiment tout, il était bien fini. Et c’était palpable. »
Alexandre Douguine explique encore que l’effondrement de l’ancien bloc de l’Est peut être comparé à ce qui advient de nos jours : « Aujourd’hui, nous sommes exactement dans la même situation quant à la domination de l’oligarchie libérale sur le monde. Elle contrôle toujours tout, mais elle est déjà finie. Elle disparaîtra aussi brusquement que le communisme de l’Europe de l’Est. La mobilisation contre le populisme (anti-Poutine, anti-Assad, anti-Chine, anti-Brexit anti-Iran, anti-Salvini, etc.) des Bernard-Henri Léyy, Macron, Soros, Rothschild ou Clinton, montre qu’ils sont en pleine agonie. Pour eux, c’est cuit. »
Il n’y aurait donc plus d’espoir pour tous les tenants du globalisme :
« Ne pouvant plus dominer, les libéraux sont condamnés. En s’obstinant, ils pourront peut-être gagner un peu de temps avant de disparaître définitivement et irrévocablement, mais leurs jours sont comptés. N’ayant plus le pouvoir d’influer sur l’avenir, ils ont perdu. » De plus : « Il n’y a pas de survie possible pour le libéralisme dans l’avenir. Nous approchons le moment d’une grande rupture de paradigme. »
Douguine, qui a dernièrement réaffirmé son soutien à la cause palestinienne, enfonce le clou par une petite estocade antisioniste : « Le Messie ne viendra pas dans l’Etat d’Israël tel qu’il est à présent. »
Tel un prophète de l’Ancien Testament, le philosophe russe martèle l’arrivée de la fin des temps où les ennemis de Dieu (les libéraux) souffriront : « La fin est donc proche ».
Avec la chute des libéraux, tombent en même temps leurs rêves les plus insensés. Ainsi, « – la fin de l’histoire – proclamée par les libéraux à la chute de l’URSS. Cette prétention était radicalement à côté de la plaque. Même chose avec l’idéologie des droits de l’homme. Personne ne croit plus le mensonge néo-impérialiste, cette hypocrisie du deux poids, deux mesures. Il en va de même pour la croissance économique infinie, la classe moyenne mondiale, la société civile. Même chose en ce qui concerne le post-modernisme et les Lumières. »
Qu’est-ce qui permettrait à Alexandre Douguine d’avancer de pareilles certitudes ? C’est ce qu’il nomme des « signes avant-coureurs » : « [Le changement de paradigme] ne veut certes pas dire que l’avenir nous appartiendra, mais il est vrai que ce ne sera plus le leur. Une fois encore, l’avenir sera ouvert. La censure de mes livres, par les libéraux sur Amazon, les Gilets Jaunes ou le bannissement sur Facebook de toute forme de discours non libéral (des formes de vie non-libérales, de la vie tout court) sont les signes avant-coureurs de la fin. »
De plus, il précise que : « Tous ceux qui sont réprimés et interdits aujourd’hui, tous ceux qui sont accusés d’être des pays voyous ou des poutinistes, tous ceux qui sont marginalisés et criminalisés -Blancs, populistes, genre masculin, défenseurs de la justice sociale, traditionnalistes, conservateurs, etc.- seront probablement les premiers revalorisés dans la période de l’après libéralisme. Mais cela n’est pas certain car il n’y a ni plan, ni stratégie pour l’avenir. Ce sera peut-être une victoire à la Pyrrhus. »
La fin du libéralisme ne signifie pas pour autant le retour à un âge d’or : pas de rêvasserie gratuite et illusoire. Il n’y a aucune garantie que le monde qui viendra après bénéficiera à la majorité du genre humain.
Douguine nous met d’ailleurs en garde contre notre propre irrationnalité : « Il est bien possible que notre aversion instinctive du libéralisme soit très sensée et logique, mais ce n’est qu’une réaction contre le mal à l’état pur devenu trop voyant. Quand le règne des libéraux prendra fin, aucun d’eux ne sera préparé aux changements qui suivront. Ils n’ont donc pas d’avenir. Mais il est possible que nous n’en ayons pas non plus. »
L’essentiel est aussi de commencer à songer au monde d’après :
« Je propose d’abord de laisser disparaître les libéraux et nous verrons quoi faire ensuite. Sauf que demain est déjà là, et ils ne seront pas dans l’ère qui vient. Il nous faut donc être mieux préparés pour la suite. Bien que l’agonie du monstre libéral soit dangereuse, l’avenir est aussi très problématique. Les libéraux règnent sur le monde aujourd’hui, et ils en assument toute la charge. En faisant chou blanc, ils perdent leur légitimité et disparaîtront. »
Ainsi Douguine pose la question très sérieusement, en demandant, par une question qui n’a rien de rhétorique et adressée au lecteur, où il demande ce qui adviendrait après la chute du gouvernement des libéraux, « Qui prendra vraiment la responsabilité de l’humanité après eux ? Nous voyons ce qui ne va pas, et nous sommes plus ou moins d’accord sur cela, mais nos idées sur la façon de sortir du pétrin sont encore plutôt vagues. »
Il donne alors son analyse quant à la situation du pays qu’il connaît le mieux, et qu’il désigne souvent sous le nom de « Troisième Rome », pour exposer les difficultés à imaginer le monde d’après :
« En Russie, nous sommes surtout en désaccord à propos de ce qui est bon. Il se pourrait que ce soit un défi sérieux de le trancher. [ Les libéraux ] sont finis et je suppose qu’ils le savent déjà. Mais le fardeau de prendre vraiment en charge le sort de l’humanité, même en dehors du fait que ce ne soit certes pas le meilleur moment, est énorme. »
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Alexandre Douguine nous propose de nous préparer non à l’étape qui verra le globalisme s’effondrer sur lui-même, parce que cet écroulement adviendra de lui-même, mais à la suivante, celle de la naissance du monde nouveau :
« Quand ils partiront, qui fera l’effort d’assumer le pouvoir ? Le temps d’y penser est maintenant venu… »
Comme le savent les lecteurs de Douguine, celui-ci a déjà proposé des éléments de réponse pour tenter de définir le monde d’après : ce monde, déjà en germe aujourd’hui, serait « multipolaire ». Bien que le théoricien du néo-eurasisme ne donne pas de doctrine rigide dans les ouvrages et articles qu’il a consacré à ce concept, par souci de pragmatisme comme par nécessité d’adapter ses thèses à tous les contextes ethno-civilisationnelles du globe, il offre à tous les ennemis du cosmopolitisme dénaturé une conception du monde où tous sont libres de puiser les éléments qui leur sembleront utiles pour émanciper leur civilisation des apatrides de la finance. C’est ce que nous aborderons en détail dans un prochain article…
Vincent Téma (vincentdetema@gmail.com)